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Soulèvements de la Terre: quel est ce collectif et que lui reproche le gouvernement?

Des soutiens aux Soulèvements de la Terre le 7 avril 2023 à Nantes

Des soutiens aux Soulèvements de la Terre le 7 avril 2023 à Nantes - Sebastien SALOM-GOMIS / AFP

Ce collectif écologiste radical a été dissous en Conseil des ministres ce mercredi. Après avoir eu des difficultés juridiques à dissoudre ce rassemblement d'associations, l'exécutif espère faire redescendre la pression. Mais les Soulèvements de la Terre pourraient bien continuer leurs actions contre les projets qu'ils jugent "écocidaires".

La décision est tombée officiellement ce mercredi matin. Le mouvement des Soulèvements de La Terre a été dissous en Conseil des ministres. De Sainte-Soline au contournement autoroutier de Rouen en passant par la future ligne Lyon-Turin, ce collectif s'est fortement mobilisé ces derniers mois pour dénoncer des projets d'infrastructures aux conséquences délétères sur l'environnement.

Ce mouvement a été créé en janvier 2021 depuis la ZAD de Notre-Dame-des-Landes. "Nous sommes des jeunes révoltés qui ont grandi avec la catastrophe écologique en fond d'écran et la précarité comme seul horizon", peut-on lire dans leur manifeste.

Écologie radicale

Derrière ce collectif qui n'a pas d'existence légale, on retrouve un regroupement d'associations dont certaines sont implantées de longue date en France comme la Confédération paysanne ou Attac, d'autres plus récentes comme Extinction Rebellion on encore des fermes engagées en permaculture.

Ce mouvement qui défend des actions radicales face à l'accélération du réchauffement climatique s'est fait remarquer en octobre dernier lors d'une première manifestation contre le projet de méga-bassines à Sainte-Soline, lors de laquelle des activistes et des forces de l'ordre sont blessés. Gérald Darmanin fustige dans la foulée "l'écoterrorisme", un terme qui n'existe pas dans le Code pénal.

Quelques semaines plus tard, Le Parisien révèle une note du service central du renseignement territorial intitulée "Les Soulèvements de la Terre, vecteur de radicalité des luttes écologistes" et qui note une "appropriation du black bloc par les luttes écologistes".

Darmanin dénonce leur "écoterrorisme"

Le 28 mars, au lendemain d'une nouvelle manifestation à Sainte-Soline qui compte une quarantaine de gendarmes blessés et des manifestants dans le coma, Gérald Darmanin annonce sa volonté de vouloir dissoudre "ce groupuscule" qui "appelle à l'insurrection".

Le même jour, une note du ministère reproche au mouvement d'"inciter et participer à la commission de sabotages et dégradations matérielles". Le collectif est en outre accusé de "créer le concept de 'désarmement' destiné à faire accepter la pratique de l'écosabotage", comme l'explique France info.

Mais pendant près de trois mois, la procédure de dissolution est au point mort. La justification juridique doit en effet être suffisamment solide pour motiver une telle procédure.

La mobilisation contre le Lyon-Turin accélère la procédure de dissolution

"Aucune des personnes se déclarant officiellement des Soulèvements de la Terre, ou même pointée par vos services de renseignements comme appartenant audit mouvement, n'a fait l'objet de poursuites et condamnations pour des faits en lien avec les activités du mouvement", se défendent d'ailleurs les avocats du mouvement dans une lettre adressée à Gérald Darmanin.

Pendant ce temps, les actions du collectif continuent de se multiplier: un millier de personnes se réunissent à Rouen pour s'opposer à un projet autoroutier ou encore à Nantes pour dénoncer l'exploitation du sable à des fins industrielles.

La donne change ces derniers jours après des affrontements entre des militants écologistes et les forces de l'ordre sur le chantier de la future ligne Lyon-Turin, pour dénoncer son impact sur la biodiversité.

Une dissolution fondée sur le code de la sécurité intérieure

Mardi, quatorze personnes, proches des Soulèvement de la Terre, ont été placées en garde à vue dans l'enquête concernant une action menée en décembre 2022 contre la cimenterie Lafarge de Bouc-Bel-Air par des activistes du climat, accusée d'être un gros "pollueur" au niveau mondial.

Les Soulèvements de la Terre avaient salué cette action "contre le géant écocidaire du béton" sans pour autant la revendiquer.

Preuve que la question de la dissolution a été compliquée à établir d'un point de vue juridique: le ministre de l'Intérieur a tweeté le décret de dissolution avant même sa publication au Journal officiel - un fait rarissime.

Ce décret se fonde sur le code de la sécurité intérieure et pointe un "groupement de fait" "qui provoque des manifestations armées ou des agissements violents à l'encontre des personnes ou des biens".

"On a épuisé toutes les façons douces"

Autre caillou dans la chaussure du gouvernement: un réseau de soutien de plus en plus important. Plusieurs figures de la lutte pour le climat ont pris position en faveur du collectif, de l'écrivain de science-fiction Alain Damasio à l'activiste canadienne Naomi Klein, en passant par le réalisateur Cyril Dion ou encore Valérie Masson-Delmotte, la coprésidente du Giec.

Un ouvrage qui défend le collectif, intitulé "On ne dissout pas un soulèvement", signé notamment par Virginie Despentes, a été publié début juin.

"Si le gouvernement n'est plus capable d'entendre ces arguments écologiques, il faut passer à un niveau supérieur d'action", a avancé l'écrivain Alain Damasio sur France inter mardi, jugeant les Soulèvements de la Terre "radicaux" mais "pas du tout violents". "On a épuisé toutes les façons douces de faire les choses", a encore jugé l'auteur.

Un recours prévu et des mobilisations

Même tonalité de la part de la députée écologiste Sandrine Rousseau qui a regretté "le déni" ou "l'inconséquence" de cette décision alors que les catastrophes climatiques se multiplient "du Canada en feu", "aux oiseaux disparus" en passant "par les plastiques avalés par la faune".

Barbara Pompili, l'ancienne ministre de l'écologie d'Emmanuel Macron, déjà en froid avec la majorité, a également fait savoir sa désapprobation. "Il faut réserver les dissolutions à des cas très spécifiques. Dès qu’une association transgresse la loi, il faudrait la dissoudre? Ça peut aller loin, on prend le risque d’ouvrir une boîte de Pandore", avance la députée de la Somme auprès de Libération.

Les Soulèvements de la Terre vont désormais tenter de faire casser cette décision administative devant le Conseil d'État. Des rassemblements sont prévus ce mercredi soir devant l'institution, la préfecture et les sites Lafarge.

"Quand bien même Gérald Darmanin parviendrait à dissoudre" ce collectif, "on voit mal comment des actions dans cet esprit ne viendraient pas à se multiplier", a déjà fait savoir Basile Dutertre, l'un des porte-paroles du mouvement.

Marie-Pierre Bourgeois