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Notre-Dame-des-Landes: cinq ans après l'abandon du projet d'aéroport, qu'est devenue la ZAD?

Des personnes sur la ZAD célébrant l'annonce de la fin du projet de l'aéroport le 17 janvier 2018

Des personnes sur la ZAD célébrant l'annonce de la fin du projet de l'aéroport le 17 janvier 2018 - LOIC VENANCE / AFP

Parmi les zadistes venus pour protester contre la construction d'un aéroport, certains sont restés sur place et tentent de perpétuer le mode de vie mis en place depuis 2012.

"Le projet de Notre-Dame-des-Landes sera donc abandonné." Par ces mots, le 17 janvier 2018, le Premier ministre Edouard Philippe actait l'arrêt définitif du projet de construction d'un aéroport à Notre-Dame-des-Landes. Et entraînait, dans le même temps, la fin de la lutte menée depuis plusieurs années par les opposants sur la ZAD ("Zone à Défendre").

Cinq ans plus tard, certains zadistes sont partis. "Ils étaient là uniquement pour la lutte et n'avaient pas vocation de rester", explique à BFMTV.com Dominique Le Lay, riveraine de la ZAD et co-présidente de l'association "Notre-Dame-des-Landes poursuivre ensemble". D'autres ont été expulsés. Mais environ 200 personnes vivent toujours sur place.

De zadiste à agriculteur

Car après l'annonce du Premier ministre, plusieurs ont exprimé leur souhait de rester sur ce territoire. "C'était une évidence pour moi de rester", explique Jacques*, habitant de la ZAD, arrivé sur place en 2012. "En plus de cinq ans, il y a un ancrage sur les activités, un ancrage affectif avec des amitiés qui se créent et un ancrage politique".

Après l'abandon du projet aéroportuaire, le département de Loire-Atlantique avait demandé à l'État la rétrocession d'une partie des terres. Sur les 1400 hectares de la zone, il en possède aujourd'hui 1026 et s'est chargé de les répartir à la suite de l'abandon du projet. Édouard Philippe avait de son côté donné quelques mois aux occupants pour régulariser leur situation en proposant un projet agricole.

Grégoire Minday, arrivé en 2014 à Notre-Dame-des-Landes, a par exemple choisi de se lancer dans l'élevage de vaches. "J'ai découvert les activités agricoles sur la ZAD", explique-t-il à BFMTV.com, mais "avant 2018, le contexte faisait qu'il était difficile d'avoir une exploitation agricole". Comme d'autres, il a présenté un projet aux autorités et a obtenu un bail rural de 9 ans du département de Loire-Atlantique.

Un zadiste s'occupant d'un troupeau de moutons sur la ZAD en janvier 2018
Un zadiste s'occupant d'un troupeau de moutons sur la ZAD en janvier 2018 © LOIC VENANCE / AFP

Sur les 29 jeunes agriculteurs installés sur ce territoire depuis 2018, 21 sont issus de l'ancienne ZAD, explique le département. 26 agriculteurs historiques de la zone (présents avant le début de la ZAD) ont eux aussi des baux ruraux sur place. Mais la répartition des terres n'a pas été simple.

Au départ, "un vaste bazar"

"Quand les zadistes se sont installés en 2012, toutes les parcelles étaient exploitées" par des agriculteurs, déclare à BFMTV.com Mickael Mary, président de l'Amelaza (Association pour le maintien des exploitations légales sur l'ancienne zone aéroportuaire).

Comme les agriculteurs des alentours, il explique qu'une partie des terres qu'il louait et exploitait se sont donc retrouvées sur le territoire occupé par les zadistes et qu'il ne les a pas forcément récupérées depuis janvier 2018. Pendant cette période, il déclare toutefois qu'il n'avait plus à payer de bail sur cette partie de son terrain et ajoute que "des terres à l'extérieur de la zone" ont été trouvées en compensation.

Du côté des zadistes, on assure que ces agriculteurs avaient reçu une compensation pour les terres qu’ils utilisaient et qui avaient été requises dans le cadre de la construction de l’aéroport.

Au moment de l'attribution des terres, après janvier 2018, "il y avait un conflit de priorité", explique le département de Loire-Atlantique: les anciens zadistes cherchant à s'installer étaient d'une part occupants illégaux des terrains, mais également jeunes agriculteurs, donc prioritaires pour s'installer.

La répartition "ne s'est pas faite sans tension", reconnait Benjamin Bruneteau, directeur général aménagement au département.
Carte du projet de répartition des terres sur la ZAD de Notre-Dame-des-Landes en 2018
Carte du projet de répartition des terres sur la ZAD de Notre-Dame-des-Landes en 2018 © Préfecture de Loire-Atlantique

Du côté des agriculteurs historiques, comme des occupants de la ZAD, on parle de coups de pression entre les deux camps, voire de menaces. Au-delà du partage difficile des terres, "on a une image de l'agriculture différente", estime Mickael Mary.

"Ça a été un vaste bazar" et "il a fallu des arrangements pour avancer, trouver des compromis", explique l'agriculteur, qui affirme que les zadistes aussi "ont fait des concessions".

Des clauses environnementales

Sur place, les nouveaux baux ruraux accordés sont renforcés par des clauses environnementales pour protéger le lieu - ils en comportent presque tous, indique le département. L'idée est de "tester sur ce territoire des pratiques agricoles novatrices, notamment face au changement climatique".

"On est quasiment tous installés en bio", note ainsi Grégoire Minday.

Un Péan (périmètre de protection des espaces naturels et agricoles) a également été mis en place.

Car le terrain est une zone humide qui "contient une densité de mares exceptionnelle avec 210 mares, des zones de source et des cours d’eau", expliquait par exemple un document du département en 2019, soulignant également que les prairies humides constituent "des habitats naturels essentiels pour une faune remarquable et fragile".

"Après avoir arraché la zone du béton, on n'allait pas la livrer à l'agriculture intensive", lance Dominique Le Lay.

Des profils qui "passent au travers des arrangements"

Cinq ans après l'arrêt du projet d'aéroport, tout n'est pas résolu. La question du bâti se pose: d'anciens zadistes avaient par exemple construit ou rénové des bâtiments sur des terrains qui appartiennent aujourd'hui au département. Qui est alors propriétaire de ces habitations?

"On est encore en cours de négociation", déclare Jacques. Pour l'instant, "des bâtis sont occupés sans droit ni titre", explique également Tim*, habitant de la zone depuis 2012.

Plusieurs pistes sont envisagées, comme la possibilité de faire des baux emphytéotiques, soit des baux immobiliers particulièrement longs pouvant courir sur plusieurs dizaines d'années.

Une pelleteuse détruisant des habitats jugés illégaux sur la ZAD de Notre-Dames-des-Landes en juillet 2020
Une pelleteuse détruisant des habitats jugés illégaux sur la ZAD de Notre-Dames-des-Landes en juillet 2020 © SEBASTIEN SALOM-GOMIS / AFP

Il y a aussi la question des lieux collectifs. "Sur la ZAD il y en a une quarantaine, avec entre 5 et 15 personnes qui y vivent", indique Tim. "Il y a une multitude de lieux de vie et chacun a sa spécificité", décrit Jacques. "On peut avoir une ferme avec une partie habitation, une bergerie et des lieux partagés d'activités au même endroit."

Sauf qu'un bail rural est pris au nom d'une personne. Une demande pour des baux collectifs sur les terres (signés à plusieurs) a été refusée, précise-t-il.

Des activités associatives, culturelles, forestières...

Le cas des non-agriculteurs pose également question au département, car il n'est pas possible de leur accorder des baux ruraux. Il y a en effet "des activités associatives, culturelles sur place", déclare Grégoire Minday. "On essaye de trouver des baux qui correspondent à chacun" mais "les situations administratives et juridiques sont compliquées". Des profils "passent au travers des arrangements", abonde Dominique Le Lay.

Pour toutes ces personnes, "il faut trouver des solutions ad hoc", explique Benjamin Bruneteau.

Cela n'empêche pas les habitants de développer des activités très diverses: la salle de l'Ambazada, où sont organisés des spectacles mais aussi des rencontres et débats, ou encore la bibliothèque du Taslu, sont ainsi des lieux emblématiques de la zone. Il y a également de la vente de galettes et de crêpes confectionnées sur place.

Jacques indique de son côté ne pas pratiquer d'activité agricole, mais être "investi dans la forêt de Rohanne", un espace cogéré par l'association de zadistes Abrakadabois, l'ONF (Office national des Forêts) et le département. Cette semaine s'y organise par exemple "un chantier école participatif" ou des personnes peuvent venir pour être initiées à la coupe du bois, explique-t-il.

Photo dans la bibliothèque le Taslu, sur le site de l'ancienne ZAD de Notre-Dame-des-Landes
Photo dans la bibliothèque le Taslu, sur le site de l'ancienne ZAD de Notre-Dame-des-Landes © Wikimédia

"Montrer que d'autres modes de vie sont possibles"

Malgré la fin de la lutte contre l'aéroport, "les occupants sur place sont encore très engagés et très actifs dans la résistance contre le capitalisme et pour l'écologie", explique à BFMTV.com la sociologue Sylvaine Bulle, chercheuse au Laboratoire d'Anthropologie Politique (CNRS/EHESS), auteure du livre Irréductibles. Enquête sur des milieux de vie de Bure à Notre-Dame-des-Landes.

Jacques parle de la création d'une "communauté de lutte". Les habitants de la ZAD ont par exemple apporté leur soutien aux manifestations contre le projet contesté des bassines de Sainte-Soline (Deux-Sèvres).

Le projet de vie en communauté mis en place avant 2018 reste encore fort, avec par exemple "une assemblée qui se réunit tous les mois", raconte Jacques, ainsi que des commissions pour décider et organiser la vie de la ZAD. Et même si les baux collectifs n'ont pas été acceptés, "des terres sont exploitées en commun".

Tim évoque un "territoire collectif d'expérimentation", avec une "organisation horizontale" et un principe de "démocratie directe". "Même si on n'a pas toujours été d'accord sur tout, on réussit à faire ensemble", assure Jacques.

"Il ne s'agit pas seulement de lutter contre des projets, mais de montrer que d'autres modes de vie sont possibles", explique également Dominique Le Lay.

Même si les combats écologiques, anticapitalistes et la volonté de construire un monde différent persistent, Sylvaine Bulle souligne que "le projet initial d'une indépendance totale des institutions" s'est effrité et qu'il "y a eu une certaine reconfiguration de la ZAD" depuis 2018.

"L'ex-ZAD" ou "l'ancienne ZAD"

Après les années de lutte, les habitants de cette zone, qui accueille des profils très différents, avancent une volonté d'apaisement. Même si entre anciens zadistes et certains agriculteurs historiques "on ne discute pas vraiment, il y a un passif entre nous", déclare Mickael Marty. Cela ne l'empêche pas de reconnaître que "plusieurs d'entre eux ont des bons projets qui fonctionnent et je pense qu'ils seront encore là dans 10 ans".

Pour pouvoir avancer "aujourd'hui il faut faire avec tout le monde", lance Grégoire Minday.

Mathieu Drouet, agriculteur producteur de lait bio, membre de la Confédération Paysanne Loire-Atlantique, salue cet apaisement après des années d'affrontements. "Il n'y a plus systématiquement les forces de l'ordre dans le coin, les tensions, les habitants n'ont plus l'impression d'être obligés de prendre parti...", se réjouit-il. "Aujourd'hui, il n'y a plus la menace de se faire expulser du jour au lendemain", abonde Tim.

Avec ce changement d'atmosphère à Notre-Dame-des-Landes, le nom de ZAD est repoussé par certains. "Aujourd'hui ce n'est plus approprié, on dit 'ancienne ZAD' à la limite", explique Mickael Marty. "Le terme est connoté négativement" abonde Mathieu Drouet qui parle lui aussi "d'ex-ZAD".

"Parler de ZAD cela peut nous bloquer sur le quotidien", estime également Grégoire Minday, pour qui "cela créé des frontières" entre les personnes sur place.

Tim continue lui d'employer le terme ZAD, comme "la majorité des personnes sur place", déclare-t-il, même s'il y a "des sensibilités différentes" sur ce sujet. "Je ne vois pas pourquoi on en changerait", abonde Jacques, pour qui ce terme, devenu emblématique, colle désormais à l'histoire de ce territoire.

*Les prénoms ont été modifiés, à la demande des intéressés.

Salomé Vincendon
Salomé Vincendon Journaliste BFMTV