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Fonds Marianne: les questions auxquelles Marlène Schiappa va devoir répondre face aux sénateurs

La secrétaire d'État, qui nie être intervenu dans l'attribution des subventions du fonds Marianne, va être confrontée devant la commission d'enquête parlementaire aux conclusions accablantes d'un rapport administratif. Le témoignage de son ancien directeur de cabinet pourrait également mettre à mal sa ligne de défense.

Auditionnée ce mercredi matin par les sénateurs dans le cadre d'une commission d'enquête parlementaire, Marlène Schiappa est attendue de pied ferme. La secrétaire d'État devra répondre sous serment aux interrogations sur le fonds Marianne, lancé en 2021 par celle qui était alors ministre déléguée à la Citoyenneté après la mort de Samuel Paty, ce professeur d'histoire-géographie assassiné en octobre 2020 lors d'un attentat islamiste.

Officiellement, l'initiative avait pour objet de "financer des personnes et associations qui vont porter des discours pour promouvoir les valeurs de la République et pour lutter contre les discours séparatistes". Il a été piloté par le Comité interministériel de prévention de la délinquance et de la radicalisation (CIPDR) alors dirigé par le préfet Christian Gravel, un proche de Manuel Valls.

Problème: la réalité du travail effectué par certaines associations, dont l'USEPPM qui a bénéficié de 355.000 euros, la plus grosse subvention attribuée, interroge. Un rapport au vitriol de l'inspection générale de l'administration (IGA) a pointé "le traitement privilégié" accordé à cette dernière. Cette enquête administrative dénonce également "un défaut de vigilance" et des "défaillances" de la part de Christian Gravel, qui a depuis démissionné de ses fonctions.

Une information judiciaire menée par le Parquet national financier a été ouverte début mai. Depuis le début de cette affaire, Marlène Schiappa dénonce pour sa part des "contre-vérités allant jusqu'à la diffamation" et des "calomnies".

• Marlène Schiappa est-elle directement intervenue dans la sélection des associations lauréates du fonds Marianne?

Ce qu'a dit Marlène Schiappa. "Le choix (des 17 associations lauréates du fonds Marianne) s’est fait via l’administration, à la manœuvre dans le respect de toutes les procédures", indique son cabinet dans un communiqué de presse le 6 avril.

"Affirmer à tort" que ces désignations procédaient "d’une décision ad hominem de Marlène Schiappa est totalement faux et démentie par la procédure", ajoute encore son entourage.

Ce que vont lui demander les sénateurs. Les auditions effectuées dans le cadre de la commission d'enquête sénatoriale relativisent cette version. À son arrivée place Beauvau, la dirigeante obtient la gestion du CIPDR. Initialement cantonnée à la gestion des fonds de lutte contre la délinquance, l'institution se voit désormais voir rattacher la prévention contre la radicalisation, sous le patronage direct de la ministre.

"En 2020, il y a eu un changement radical dans les relations entre le ministère et l’administration", a expliqué devant les sénateurs Jean-Pierre Laffite, le secrétaire général adjoint du CIPDR.

"Avec l’arrivée du nouveau cabinet, de la nouvelle ministre, la décision est prise à son niveau d’élever à son niveau politique la prise de décision, d’où la mise en place des comités de programmation ministériels", a encore précisé cet ancien magistrat devant les sénateurs.

Lui aussi interrogé, l'ancien directeur de cabinet de Marlène Schiappa, Sébastien Jallet, a expliqué que la ministre avait émis une "réserve" sur l’attribution d’une subvention de 100.000 euros à une association "en raison d’un historique de relation assez ancien", sans préciser son nom. Le président de la commission d'enquête a ensuite expliqué qu'il s'agissait de SOS racisme, confirmant une information de Mediapart.

Les propos de Sébastien Jallet mettent à mal la version de la macroniste. "Qu’un ministre puisse s'exprimer sur des propositions de subvention n’est pas le sujet en soi", considère le sénateur socialiste Claude Raynal, président de la commission d'enquête. "Mais Marlène Schiappa a toujours dit qu’elle n’avait pas participé à ce choix. Il y a une contradiction très claire entre ses propos et la réalité."

• Les subventions du fonds Marianne ont-elles été attribuées avec assez de rigueur?

Ce qu'a dit Marlène Schiappa. "L'administration propose, suggère, et le pouvoir politique valide. Ça fonctionne comme ça à tous les étages dans tous les ministères et c'est la règle de notre démocratie. Chacun est dans son rôle. Et c'est exactement ce qui s'est passé", s'est défendue la ministre sur son compte Twitter.

Ce que vont lui demander les sénateurs. La secrétaire d'État va devoir répondre au rapport de l'IGA qui pointe un appel à projets qui n'a été "ni transparent ni équitable". Plusieurs projets lauréats, dont l'USEPPM, ont été réorientés vers ce dispositif après avoir fait une précédente demande de subvention.

Autre caillou dans la chaussure de Marlène Schiappa: les fonctionnaires en charge du rapport n'ont ainsi trouvé "aucun document daté et signé de la date et de la composition précise du comité de sélection". Impossible donc de savoir qui a précisément décidé des associations lauréates.

Dans le cas de l'USEPPM, après l'attribution de la subvention, un agent administratif a fait part de ses réserves quant à son projet, jugé "peu réaliste" et le montant demandé "excessif". Le directeur de cabinet de Marlène Schiappa avait également exigé de Christian Gravel de "s'informer sur cette association inconnue" des services de l'État. Elle ne respectait "ni ses obligations légales, ni ses obligations réglementaires", soulignent encore les fonctionnaires en charge de cette enquête administrative.

Le numéro 1 du CIPDR a lui-même reconnu devant les sénateurs que "l'administration n'a eu que 10 jours entre la fin des dépôts de candidature et de la première réunion du comité de sélection".

"Nous avons proposé un autre calendrier avec mon équipe", a affirmé le préfet devant les sénateurs. "Nous considérions que pour effectuer ce travail dans ces conditions optimales, il fallait prévoir un calendrier s’étalant sur trois mois. Le cabinet a demandé que le temps soit accéléré et qu’on puisse envisager toute la procédure sur cinq semaines."

"On peut au moins voir dans ces faits au moins de la légèreté", estime le rapporteur de la commission d'enquête Jean-François Husson (LR). "Quand on connaît la rigueur qui est demandée aux responsables associatifs et aux élus, on peut sérieusement s'étonner."

• Marlène Schiappa a-t-elle des liens privilégiés avec Mohamed Sifaoui?

Ce qu'a dit Marlène Schiappa. "Je n'ai aucun ami parmi les lauréats du fonds Marianne", a affirmé la secrétaire d'État sur BFMTV le 3 juin dernier.

Ce que vont lui demander les sénateurs. Les parlementaires interrogeront la secrétaire d'État sur ses liens avec le journaliste controversé Mohamed Sifaoui, l'un des dirigeants de l'USEPPM: le connaît-elle bien? A-t-elle poussé le dossier de son association?

Mohamed Sifaoui n'a pas encore été auditionné par les sénateurs. Lors de sa première convocation devant la commission d'enquête, il était absent pour "raisons de santé". Convoqué ce mardi matin, il n'a pu se rendre au Palais du Luxembourg: son domicile était alors perquisitionné par la police. Une troisième tentative est fixée jeudi matin.

Le rapport de l'IGA met à mal les propos de la ministre. Cette enquête administrative avance qu'elle "serait venue saluer" l'un des membres de l'USEPPM à deux reprises lors d'échanges sur la demande de subvention, sans préciser s'il s'agit ou non de Mohamed Sifaoui. Marlène Schiappa a cependant déclaré auprès de BFMTV que ce rapport "démontre" qu'elle n'est "jamais intervenue en faveur de Mohamed Sifaoui".

Le journaliste a, lui, assuré sur Twitter, qu’il avait été encouragé à postuler "par les membres du cabinet de Marlène Schiappa et par elle-même". "Je n’ai pas pris cette initiative (de postuler au fonds Marianne) spontanément", affirme-t-il.

Si rien ne démontre que cet homme est proche de Marlène Schiappa, elle l'a bien rencontré officiellement à plusieurs reprises. En octobre 2020, il fait un déplacement à ses côtés dans le Tarn. Il est encore reçu en novembre 2020 au ministère dans le cadre des consultations sur la loi sur les "principes républicains".

Christan Gravel a été encore plus direct lors son audition devant les sénateurs. Il a affirmé avoir "appris que l'USEPPM pourrait bénéficier du fonds Marianne lors d’un appel téléphonique de Monsieur Sifaoui" qui lui disait "sortir d’un rendez-vous avec la ministre". Le préfet a situé cet échange en mars, plusieurs semaines avant le lancement du fonds.

"On sent bien que chacun essaie dans ce dossier de sauver sa peau et qu'on est confronté à des versions relativement éloignées de celle de Marlène Schiappa", estime un sénateur de la commission d'enquête.

Interrogée dimanche sur France 3, la Première ministre Élisabeth Borne a jugé "pas nécessaire" de se séparer de sa secrétaire d'État, sur fond de rumeurs de remaniement.

Marie-Pierre Bourgeois