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Politique

Une association bénéficiaire du fonds Marianne soupçonnée d'avoir financé des contenus politiques en période d'élections

La secrétaire d'État chargée de l'Économie sociale et solidaire Marlène Schiappa, le 4 janvier 2023 à Paris

La secrétaire d'État chargée de l'Économie sociale et solidaire Marlène Schiappa, le 4 janvier 2023 à Paris - Alain JOCARD © 2019 AFP

Après une première enquête de France 2 et Marianne qui décrivait une gestion opaque de l'argent de ce fonds, Mediapart révèle à son tour qu'il aurait servi à financer des contenus dénigrant les opposants d'Emmanuel Macron lors des campagnes présidentielle et législative.

Le 29 mars dernier, une enquête conjointe de Marianne et de France 2 décrivait une gestion opaque de l'argent du fonds Marianne, avec une liste de bénéficiaires tenue secrète.

Mercredi, c'est cette fois Mediapart qui a publié une nouvelle enquête sur l'affaire, en s'intéressant à une autre association financée par le fonds, qui aurait publié des contenus politiques dénigrant des opposants d'Emmanuel Macron lors des campagnes législatives et présidentielle.

Soupçons de détournement de fonds

Retour en avril 2021. Marlène Schiappa, alors ministre déléguée à la Citoyenneté, annonce le lancement d'un "fonds Marianne pour la République", de 2,5 millions d'euros, visant à "financer des personnes et associations qui vont porter des discours pour promouvoir les valeurs de la République et pour lutter contre les discours séparatistes notamment sur les réseaux sociaux et plateformes en ligne", créé après l'assassinat de Samuel Paty. Au total, 17 associations vont en bénéficier.

Or, selon la première enquête publiée par nos confrères de Marianne et France 2, l'association qui serait le principal bénéficiaire du fonds, à hauteur de 355.000 euros, l'Union des sociétés d'éducation physique et de préparation militaire (USEPPM), aurait utilisé ce fonds pour un site internet et des publications sur les réseaux sociaux très peu suivies, mais aussi et surtout pour salarier deux de ses ex-dirigeants: Cyril Kanuragaran et Mohamed Sifaoui, directeur de la communication du club de foot le SCO d'Angers, mais aussi journaliste et proche de Christian Gravel.

Ce dernier a été nommé à la tête du Comité interministériel de prévention contre la délinquance, la radicalisation et les dérives sectaires (CIPDR) et chargé de chapeauter le fonds Marianne.

Ainsi, Mohamed Sifaoui pourrait avoir bénéficié de subventions publiques et s'être enrichi grâce à sa proximité avec Christian Gravel, proche de Manuel Valls et ex-conseiller en communication de François Hollande. Des accusations de favoritisme démenties par Marlène Schiappa, dont le secrétariat d'État à la Citoyenneté a saisi l'inspection générale de l'administration d'un audit sur la question. Le parquet de Paris, lui, attend de se prononcer sur l'ouverture ou non d'une enquête préliminaire.

Des contenus politiques dénigrant extrême gauche et droite

Dans cette nouvelle enquête, Mediapart s'est intéressé à une autre association, "Reconstruire le commun", deuxième bénéficiaire principal du fonds, à hauteur de 330.000 euros. Selon nos confrères, la structure venait d'être créée lorsqu'elle a postulé à l'appel à projets du fonds: les statuts auraient été enregistrés 13 jours après l'assassinat de Samuel Paty, et déposés deux mois seulement avant l'appel à projets.

L'association, dont l'objectif était de "promouvoir l’universalisme républicain, la laïcité et les valeurs de la République au sens large", rassemblait, selon nos confrères, des personnes ayant les mêmes visées politiques que Marlène Schiappa et Christian Gravel.

"Reconstruire le commun" voulait ainsi "déployer un discours républicain adapté aux codes et référents culturels des 18-25 ans sur les réseaux sociaux et sur le Web sous forme de vidéos, visuels, mèmes, interviews, reportages, documentaires et événements." 

De janvier à août 2022, en pleines campagnes présidentielle et législative, l'association a diffusé 57 vidéos sur une chaîne YouTube, appelée "Comme un". Les vidéos, déclinées sous plusieurs formats, et faisant intervenir de jeunes intervenants, dénigrent principalement l'extrême gauche et l'extrême droite, souvent ramenées dos à dos.

Dans l'une d'entre elle, un intervenant fustige Jean-Luc Mélenchon, autour de qui gravitent "les décolonialistes, le parti des indigènes de la République". "Toute cette sphère-là, qui est extrémiste, très dangereuse, il ne s’en distingue pas, limite il va reprendre leur thèse par subtils passages", ajoute-il. Une autre chroniqueuse décrit une "vraie personne de gauche" en 2015, "après Charlie", qui est ensuite "allé défiler avec certains islamistes" en 2019, fustigeant un "retournement de veste" "assez choquant".

Christian Grave affirme avoir "convoqué" les responsables de l'association

Alors qu'utiliser des moyens publics pour influencer le résultat d'un scrutain est interdit, comme le rappelle Mediapart, les réactions ont été mitigées au ministère de l'Intérieur. "Nous nous sommes rendu compte que certains contenus avaient des références à caractère politique", a reconnu Christian Gravel, assurant que ses "équipes leur ont immédiatement signalé lors de réunions de suivi" et affirmant avoir lui-même "convoqué" les responsables de l'association en mai 2022 pour "condamner fermement ces initiatives qui n’étaient pas tolérables et s’inscrivaient en dehors du projet pour lequel un financement du fonds Marianne avait été attribué".

Depuis l'été, et la fin des campagnes, l'association a cessé ses activités, selon le média d'investigation, alors que le fonds demandait une "pérennité de l'action". La présidente de "Reconstruire le commun", Ahlam Menouni, a assuré auprès de nos confrères que "le projet est actuellement en pause pour des raisons professionnelles et personnelles", mais "une pause n’est pas un arrêt, au contraire, nous sommes très fiers de ce que nous avons entamé".

Fanny Rocher