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Présidentielle

"Un vrai moyen d'expression politique": ce chercheur dévoile chaque jour un bulletin de vote nul

Quelques photos de bulletins de votes blancs ou nuls étudiés par le chercheur Jérémie Moualek.

Quelques photos de bulletins de votes blancs ou nuls étudiés par le chercheur Jérémie Moualek. - Archives départementales de l'Oise

Photomontages, dessins parodiques, pamphlets: sur Twitter, un chercheur en sociologie s'amuse à dévoiler chaque jour un bulletin de vote insolite issu des archives de l'Oise. À deux semaines du premier tour de la présidentielle, Jérémie Moualek explique à BFMTV.com en quoi ces bulletins de contestation sont plus révélateurs qu'on ne l'imagine.

"J'ai voulu montrer que le vol nul était digne d'intêrêt". Depuis le mois de février, Jérémie Moualek, chercheur en sociologie à l'université d'Évry, dévoile chaque jour sur Twitter un bulletin de vote insolite qu'il a retrouvé dans les archives départementales de l'Oise. À quelques semaines du premier tour de la présidentielle, le chercheur, qui a consacré sa thèse à l'étude des votes blanc et nul en 2018, veut mettre un coup de projecteur sur ce vote souvent discrédité ou invisibilisé à tort.

"C'est un véritable moyen d'expression politique", explique à BFMTV.com le chercheur en sociologie. "On en parle très peu alors que de plus en plus de personnes y ont recours: 4 millions de personnes ont voté blanc ou nul au second tour de l'élection présidentielle de 2017. Qu'est ce qui pousse les électeurs à user de ce type de vote? On ne s'interroge jamais vraiment sur ce qui pousse les uns et les autres à émettre ce type de vote. Eh bien mon but c'était de visibiliser ces voix-là: leur donner une place de façon quotidienne et ludique".

Contrairement au vote blanc qui ne se prononce en faveur d'aucun candidat, "le vote nul correspond à des bulletins déchirés ou annotés, qui ne peuvent pas être pris en compte dans les résultats de l’élection", rappelle sur son site le ministère de l'Intérieur, qui juge qu'il est "parfois difficile d’interpréter son sens".

"Des dessins, des photo-montages, des poèmes, des pamphlets, des slogans, des mots d'ordre"... Sur les 16.000 bulletins de vote issus de plusieurs scrutins des années 1970 à 2010 (présidentielles/municipales/référendums, législatives) conservés par les archives de l'Oise, Jérémie Moualek a retrouvé "de tout".

"C'est intéressant sur ce que ça raconte sur le vote lui-même", note le chercheur originaire de Beauvais (Oise). Selon lui, le processus électoral français est aujourd'hui "plus un instrument de légitimation des élus qu'un réel moyen d'expression pour l'électeur: dès que l'électeur en fait un moyen concret d'expression en mettant un mot sur son bulletin, cette expression-là est exclue et disqualifiée".

Faire un choix entre "la peste et le choléra"

À travers l'étude qu'il mène depuis 2012 (il a soutenu sa thèse À la recherche des voix perdues en 2018 mais poursuit son enquête depuis), Jérémie Moualek pointe un système de plus en plus rejeté par les électeurs.

"Les gens tendent de plus en plus à refuser cet aspect utilitaire du vote. À chaque élection, ils sont de plus en plus nombreux à refuser la logique du 'vote utile' et à exercer leur droit de 'ne pas choisir'. Ils ne veulent plus voter à contre-opinion, considérent qu'on les pousse à voter par défaut, à faire barage d'élection en élection".

"On le voit, ça se traduit dans des bulletins sur lesquels l'électeur va littéralement refuser de choisir. Il préfère écrire 'ni l'un ni l'autre', 'la peste et le choléra' ou encore 'tous les deux nuls'".

"En vérité, on présente souvent ces bulletins comme des bulletins insultants alors que les insultes sont très, très minoritaires", défend le chercheur, spécialiste des questions politiques. "Sur 16.000, si j'en ai 100 c'est déjà beaucoup", insiste-t-il. "Et ce sont rarement de simples insultes gratuites: ce sont plutôt des détournements de slogans ou de partis".

Jérémie Moualek exprime plutôt "le malaise qui prédomine" lorsqu'il doit étudier les bulletins de vote annotés de personnes manifestement "perdues, ou en détresse sociale". "Ces votes-là sont précieux car ils montrent tous les exclus sociaux du process politique".

"Ce qui m'a le plus marqué, ce sont les lettres minutieusement pliées dans l'enveloppe. On trouve parfois de véritables lettres, de parfois plusieurs pages, dans lesquelles les électeurs racontent leur quotidien", décrit le chercheur. "Sur ces bulletins, on a parfois affaire à de vraies personnes qui mettent en avant leur souffrance sociale, leur détresse, leurs difficultés au quotidien".

Souvent, le vote nul "s'apparente à un dernier ressort": "ils font de leur bulletin de vote un dernier acte de communication, ils préfèrent gâcher leur acte de vote pour faire part de leurs difficultés au maire de la commune. Par ces bulletins-là, on voit l'absence de liens sociaux et le manque de prise en charge de certains problèmes".

"C'est encore plus le cas dans les petites communes", selon lui, où les électeurs "veulent parfois envoyer un message parce qu'ils savent que le bulletin va être reçu d'une façon ou d'une autre par les élus locaux. C'est dans ce genre de cas qu'on a souvent affaire à des 'votes collectifs', le même vote au sein d'un groupe d'amis iu d'une même famille dans l'espoir de faire passer une revendication. Dans le cas de la présidentielle en revanche, ces votes ressemblent plus à des bouteilles à la mer".

Jeanne Bulant Journaliste BFMTV