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Emmanuel Macron et la Corse: un quinquennat d'incompréhension

Emmanuel Macron à Bonifacio le 10 septembre 2020

Emmanuel Macron à Bonifacio le 10 septembre 2020 - Ian LANGSDON / EPA POOL / AFP

Alors que Gérald Darmanin se dit "prêt à aller jusqu'à l'autonomie" de la Corse après des jours de tensions, les relations entre Emmanuel Macron et l'île ont été teintées de méfiance tout au long de son mandat.

Comme un air de malentendu. Alors que Gérald Darmanin est arrivé en Corse pour deux jours ce mercredi, après avoir affirmé sur BFMTV que "le moment" était venu de mettre sur la table la question "de l'autonomie", Emmanuel Macron a passé les 5 ans de son mandat à tenir des propos très éloignés. BFMTV.com revient sur la relation complexe du président avec l'île.

"Prêt à réviser la Constitution"

Tout avait pourtant commencé sous les meilleurs auspices. En 2017, quelques jours avant le premier tour, le futur président tenait à Furiani un discours très apprécié des nationalistes. Le candidat déclarait être prêt à "envisager de réviser la Constitution s’il (apparaissait) que le cadre actuel ne (permettait) pas à la Corse de développer ses potentialités."

"Nous voulons donner les moyens aux Corses de réussir dans la République en prenant en compte ses spécificités et son insularité", nuançait-t-il cependant dans le même discours. Ce positionnement très souple qui permettait à la fois de contenter les nationalistes corses et les tenants de l'État centralisateur ne tient cependant pas une fois Emmanuel Macron au pouvoir.

De retour en Corse en février 2018, le ton de celui qui, entre-temps a accédé à l'Élysée, change.

"Je vous annonce solennellement aujourd'hui que je suis favorable à ce que la Corse soit mentionnée dans la Constitution mais au-delà, il nous faut maintenant entrer dans le contenu. Est-ce que la clef de tout est forcément cela? Je vais vous le dire très franchement. Ma conviction est que non", lance alors Emmanuel Macron à Bastia.

Le mot "autonomie" pas dans la Constitution

Il faut dire que le contexte a changé. Les nationalistes ont remporté quelques mois plus tôt les élections territoriales et posent très vite sur la table plusieurs revendications comme un statut officiel pour la langue corse, la reconnaissance du statut de résident corse ou encore l'amnistie des "prisonniers poitiques".

C'est Jacqueline Gourault, alors ministre des collectivités territoriales, qui est envoyée par le président pour avancer sur le contenu d'une révision constitutionnelle. Ces efforts sont appréciés sur l'île. "Un point de blocage juridique et politique a été levé" lors des discussions avec elle, salue alors Gilles Simeoni, le président autonomiste de l'exécutif corse.

Mais en mars 2018, c'est la douche froide. "Le mot autonomie ne sera pas dans la Constitution", annonce finalement Jacqueline Gourault dans Dimanche en politique, sur France 3.

La révision constitutionnelle n'ira de toute façon jamais à son terme, faute d'accord avec le Sénat.

Un nouveau déplacement pour parler de l'épidémie de Covid-19

Après cet épisode, les relations entre Emmanuel Macron et la Corse se tendent. Au point que, lorsqu'il se rend dans le village de Cozzano en avril 2019 à l'occasion d'un Grand débat organisé pour répondre à la crise des Gilets jaunes, les indépendantistes boudent ce rendez-vous, tout en lui proposant de venir échanger avec eux à l'Assemblée de Corse.

Refus catégorique d'Emmanuel Macron, qui pose ses conditions. "Le président de la République est tout à fait disponible pour un échange à Cozzano ou à Paris".

En 2020, l'Élysée tente cependant de recoller les morceaux lors d'un dîner avec les élus insulaires et marque un coin dans leur unité. Si le chef politique de Corsica Libera indique ne pas vouloir prendre part à ce repas "mondain", Gilles Simeoni s'attable avec le président pour parler... du Covid-19.

L'agression d'Yvan Colonna change la donne

En septembre dernier, c'est ce dernier qui vient à Paris pour rencontrer Emmanuel Macron pour aborder à nouveau le statut institutionnel de la Corse, sans grande avancée.

Jusqu'à ces derniers jours. Depuis l'agression violente d'Yvan Colonna et les émeutes qui agitent le territoire depuis plus de 2 semaines, le ton a changé. Reconnaissance de la "responsabilité de l'État" dans ce drame pour Gérald Darmanin, levée du statut de prisonniers particulièrement signalés pour les deux autres membres du commando Erignac par Jean Castex, ouvrant ainsi la porte à un transfèrement dans la prison corse de Borgo... Le gouvernement multiplie les gestes d'apaisement.

Jusqu'à l'interview de Gérald Darmanin ce mardi soir dans Corse Matin, dans laquelle il explique que le gouvernement est "prêt à aller jusqu'à l'autonomie". C'est que l'exécutif cherche à tout prix à sortir de la flambée de violences sur l'île, à 25 jours du premier tour.

"Une mesure électoraliste"

"En 7 jours de violence, les manifestants ont obtenu plus qu'à travers le dialogue démocratique en 7 ans. C'est ça, le problème politique (...). Très honnêtement, le gouvernement a du mal à savoir comment rétablir l'ordre en Corse. Le timing est très suspect et électoraliste", estime l'éditorialiste politique de BFMTV, Laurent Neumann.

Emmanuel Macron sait qu'il joue sur du velours. Une majorité de Français (53%) soutient un éventuel "statut d'autonomie de plein droit et de plein exercice" pour la Corse, d'après un sondage Ifop.

Marie-Pierre Bourgeois