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Terrorisme

Nora, 15 ans, partie faire le jihad en Syrie: retour sur le parcours d'une ado ordinaire

Nora, prise en photo devant la Tour Eiffel lors d'un précédent voyage.

Nora, prise en photo devant la Tour Eiffel lors d'un précédent voyage. - -

Nora, adolescente originaire d'Avignon, a disparu depuis le 23 janvier. Selon ses déclarations, elle serait partie faire le jihad en Syrie. Sa famille, qui n'a rien vu venir, est anéantie. Elle témoigne.

La peau mate, les yeux rieurs, la jeune Nora affiche un doux sourire sur les photos prises lors d'une visite à Paris, devant la Tour Eiffel, il y a quelques mois. Elle a 15 ans, mais semble plus jeune, ses cheveux plaqués avec des barrettes noires. Depuis ce soir fatidique du 23 janvier dernier, Nora n'habite plus dans la cité de Champfleury, à Avignon. Elle se terrerait quelque part en Turquie, à la frontière avec la Syrie.

Son grand frère, Fouad, comme le reste de ses proches, est complètement anéanti. Il a réussi à échanger quelques messages et coups de fil avec elle, et lui a dit qu'elle allait "tuer" ses parents si elle ne rentrait pas. "Je ne vais jamais revenir, c'est impossible", répond-elle en substance. "Quand je l'ai eu au téléphone, j'entendais des voix derrière elle. Je suis sûr qu'on lui dicte quoi répondre. Elle est sous leur emprise", lâche Fouad, la voix chargée de fatigue.

Dans sa chambre d'adolescente, rien ne laisse penser à une radicalisation de la jeune fille, élevée dans une "tradition paisible et sereine" de la religion musulmane. La décoration est sobre, les murs sont d'un orange pâle, le lit recouvert d'une couverture colorée. Seul indice dans son comportement: l'hijab, ce voile islamique qu'elle a commencé à porter en octobre dernier sur ses cheveux, alors que sa soeur ne le portait pas, raconte l'avocat de la famille Me Guenoun, à BFMTV.com "On n'a absolument rien vu venir", regrette, dépité, Fouad.

"Elle est partie dans l'idée d'aider les gens"

Retour sur son départ. "Ce jeudi soir, elle devait rentrer à 18 heures. A 18h30, on a commencé à se poser des questions. A 20h30, on était inquiets. Je suis allé dehors dans le quartier. J'ai appelé les urgences. Rien. Ma mère m'a alors dit de contacter la police. Ensuite, on a fait une nuit blanche, à l'attendre, à pleurer", explique Fouad.

Le lendemain, ils se rendent au lycée. Parmi les copines de Nora, les langues se délient. Fouad découvre l'existence d'un compte Facebook secret de sa petite soeur, et fait défiler les photos, abasourdi. Ce sont des images de propagande jihadiste, où des filles voilées tiennent les armes. Fouad comprend alors que la disparition de sa soeur est peut-être un départ voulu.

Dimanche, à 18 heures, tombent enfin les premières nouvelles. Nora envoie un texto à son frère, où elle lui dit qu'elle est en Syrie, à Alep, et "qu'elle préfère être là-bas". Son frère ne peut pas croire qu'elle veuille prendre les armes. "Elle ne supporte pas la vue du sang! Je pense qu'elle est partie dans l'idée d'aider les gens, c'est dans son caractère. Elle se montrait très sensible à ce que vivent les gens en Syrie."

"Je crains qu'elle ne serve au 'repos des guerriers'"

Depuis le début de la semaine, le parquet anti-terroriste de Paris s'est saisi de l'affaire, et a confié l'enquête conjointement à la sous-direction anti-terroriste, à la direction centrale du renseignement intérieur et l'antenne de la police judiciaire d'Avignon. "Nous sommes face à une urgence humanitaire", martèle Me Guenoun. "Il faut la faire rapatrier d'urgence, on peut encore la sauver."

Lui pressent une situation extrêmement grave. "Ce n'est pas une amazone, qui va porter la kalachnikov. Ce que je crains? Qu'elle serve au 'repos des guerriers'", dit-il pudiquement. "Cette affaire révèle la prédation psychique dont sont capables certaines personnes, via Internet. Nora en a été victime", estime-t-il. Son frère en est lui aussi convaincu. "Ils ont détruit son cerveau. Toute l'éducation qu'on lui a donné est partie en fumée."

Son histoire ne semble malheureusement pas un cas isolé. Une douzaine de mineurs ont été recensés parmi les personnes parties de France en Syrie combattre Bachar al-Assad. Outre les deux ados jihadistes toulousains, récupérés dimanche et mis en examen vendredi, plusieurs mineurs figurent aussi parmi un petit groupe qui a quitté Nice en décembre.

A son retour, "on lui donnera encore plus d'amour"

Selon les premiers éléments de l'enquête, la lycéenne aurait rejoint Paris par le train, où elle aurait pris un premier avion pour Istanbul, en Turquie, puis un second pour rejoindre la frontière syrienne. "On pense qu'elle est en Turquie, à la frontière", où elle aurait été prise en charge par un réseau, précise une source proche de l'enquête. Nora est partie avec très peu d'affaires, son téléphone portable, et 550 euros en poche, qu'elle a retiré sur son livret A à un distributeur.

Juste avant les vacances scolaires, un de ses frères était tombé sur un message Facebook envoyé par Nora, rapporte l'avocat. "Elle écrivait qu'elle s'ennuyait de ne plus aller à l'école la journée. Le lycée n'avait pourtant pas averti la famille de son fort absentéisme scolaire. Son frère a mis ça sur le compte d'une crise d'ado", explique-t-il.

Malgré son abattement, Fouad reste déterminé. "Je vais aller la chercher dès que les enquêteurs l'auront localisé. Je donnerai ma vie pour elle, sans hésiter. C'est ma petite soeur." Il pense déjà à son retour. "On lui donnera encore plus d'amour, on va la chouchouter. Il faut juste que ces monstres nous la rendent."

Alexandra Gonzalez