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Police-Justice

Sainte-Soline: un rapport pointe la responsabilité de l'État et un usage "disproportionné" des armes

Affrontements entre des forces de l'ordre et des opposants à la construction de "bassines" de rétention d'eau, à Sainte-Soline dans les Deux-Sèvres, le 25 mars 2023

Affrontements entre des forces de l'ordre et des opposants à la construction de "bassines" de rétention d'eau, à Sainte-Soline dans les Deux-Sèvres, le 25 mars 2023 - Yohan BONNET

Un rapport de la Ligue des droits de l'Homme, appuyé par des observations de terrain, étrille la gestion de la manifestation anti-bassines survenue en mars dans les Deux-Sèvres. 200 manifestants avaient été blessés, selon les organisateurs.

Entrave aux secours des blessés, usage "disproportionné" des armes par les forces de l'ordre... Un rapport publié ce lundi par la Ligue des droits de l'Homme (LDH) pointe la responsabilité de l'État lors de la manifestation du 25 mars à Sainte-Soline, dans les Deux-Sèvres, contre les méga-bassines.

Une période de "répression des mobilisations sociales"

"Sainte-Soline est très emblématique de la période que nous vivons en matière d'atteinte aux libertés et de répression des mobilisations sociales", a déclaré ce lundi en conférence de presse le président de la LDH, Patrick Baudouin.

"La volonté politique était claire: la manifestation de Sainte-Soline ne devait pas avoir lieu" et toute personne qui bravait l'interdiction préfectorale "s'exposait à des risques pour son intégrité tant physique que morale", soulignent dans leur rapport plusieurs observatoires des libertés publiques et des pratiques policières, dont la LDH est à l'initiative avec le Syndicat des avocats de France (SAF) et la Fondation Copernic.

Le compte-rendu de 150 pages s'appuie sur le travail de terrain des observateurs présents lors de la mobilisation, qui avait donné lieu à de violents affrontements entre manifestants et forces de l'ordre.

Une "volonté délibérée de ne pas porter secours au plus vite"

"La priorité donnée à des enjeux de maintien de l'ordre sur toute autre considération a révélé son absurdité lors des entraves aux secours", étrillent les auteurs.

"La responsabilité des pouvoirs publics et notamment de l'État, est manifestement engagée du fait de l'absence d'anticipation, puis de la volonté délibérée de ne pas porter secours au plus vite, cela en plus des responsabilités pénales liées aux conséquences d'une possible non-assistance à personne en danger", ajoutent-ils.

La préfète des Deux-Sèvres "réfute les accusations"

Dans un communiqué, la préfète des Deux-Sèvres, Emmanuelle Dubée, a contesté ces affirmations. Elle "réfute à nouveau les accusations sur une prétendue entrave délibérée aux secours" et affirme que "les déclarations du SAMU, des pompiers et de tous les services mobilisés montrent que ces propos sont infondés".

"Comme elle en a rendu compte dans son rapport public dès le 28 mars 2023, la préfète des Deux-Sèvres indique que l’ensemble des services mobilisés - pompiers, SAMU et forces de l’ordre – ont agi sous son autorité avec professionnalisme et rigueur, dans un contexte compliqué par l’absence délibérée d’échanges de la part des organisateurs de ce rassemblement interdit", ajoute ce communiqué.

La préfète a par ailleurs tenu à rappeler que "ce rassemblement avait été interdit par arrêté préfectoral" étant donné les "risques de troubles graves à l’ordre public", soulignant que "l’interdiction n’avait pas été contestée".

Enfin, concernant la Ligue des droits de l'homme qui avait souhaité être reconnue comme "observateur", la préfecture dans cet écrit rappelle que "le tribunal administratif de Poitiers avait écarté cette requête".

Des manifestants affrontent des gendarmes mobiles anti-émeutes le samedi 25 mars 2023.
Des manifestants affrontent des gendarmes mobiles anti-émeutes le samedi 25 mars 2023. © Yohan Bonnet / AFP

La manifestation avait rassemblé de 6000 à 8000 personnes selon les autorités, 30.000 d'après les organisateurs. Ces derniers ont fait état de 200 blessés, dont 40 graves, côté manifestants.

Un "usage disproportionné" des armes par la police

D'après les chiffres officiels, 5015 grenades lacrymogènes ont été tirées, soit environ une par seconde. La gendarmerie a eu recours aussi à 89 grenades de désencerclement de type GENL, 40 dispositifs déflagrants ASSR et 81 tirs de LBD.

Dans deux rapports, préfecture et gendarmerie défendent une riposte ciblée et proportionnée face à 800 à 1000 manifestants "radicaux". Les observateurs dénoncent au contraire les "nombreuses blessures causées par l'usage disproportionné et à plusieurs reprises non nécessaire des armes" par les forces de l'ordre.

Parmi eux, deux manifestants grièvement blessés, Serge D. et Mickaël B., lors d'affrontements avec les forces de l'ordre, ont passé plusieurs semaines dans le coma. Le délai de prise en charge de Serge D. à Sainte-Soline est dénoncé par les organisateurs et des observateurs pour qui les autorités ont entravé l'intervention des secours.

"Ces derniers se sont rendus auprès du blessé et n'ont pu confirmer le diagnostic que 46 minutes après le premier appel aux secours", souligne le rapport.

Les autorités justifient le délai d'intervention des secours par la nécessité, pour les gendarmes, d'assurer leur sécurité.

Darmanin pointé du doigt

Par ailleurs, les auteurs du rapport affirment que la zone a été le théâtre d'un "déploiement massif de moyens de surveillance, comprenant des mesures de renseignements prises à l'encontre de personnalités du mouvement opposées aux méga-bassines et de certains élus".

Ils déplorent aussi la communication officielle sur le déroulé de la manifestation, alimentée par une "rhétorique guerrière et fallacieuse, alimentée par le ministère de l'Intérieur". Ou encore les "déclarations hâtives" de Gérald Darmanin qui ont contribué "à la divulgation de fausses informations" et constitue une "réécriture alarmante des événements".

Gérald Darmanin avait déclaré en conférence de presse le 27 mars - deux jours après la manifestation - qu'aucune arme de guerre n'avait été utilisée et que les gendarmes n'avaient pas lancé de LBD en quad. "Nos équipes d'observation ont constaté l'usage de GM2L, GENL, ASSD, lanceur Cougar et de LBD, toutes classées comme armes de guerre", précise pourtant le rapport.

J.D. avec AFP