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Explosions en Corse: le FLNC signe-t-il son grand retour après sa "nuit bleue"?

Si le FLNC avait engagé un processus de démilitarisation en 2014, la Corse connaît une recrudescence d'incendies criminels et d'explosions ces dernières années.

"Nous n'avons pas de destin commun avec la France. Revendiquons la série d'actions de la nuit au 8 au 9 octobre 2023. A Francia Fora ! (La France dehors !)". C'est par ce communiqué laconique, envoyé au quotidien Corse-Matin, que le Front de libération nationale corse (FLNC) a revendiqué les explosions qui ont frappé dans la nuit de dimanche à lundi une vingtaine de bâtiments de l’île de Beauté, notamment des résidences secondaires.

La Corse, qui avait renoué avec le calme depuis quelques années, connaît une recrudescence d'incendies criminels et d'explosions ces dernières années, visant principalement des résidences secondaires. Ces explosions ont été souvent revendiquées par le FLNC, qui réclame l'indépendance de l'île, et certains par le mouvement GCC (Ghjuventù Clandestina Corsa), un mouvement clandestin de jeunesse corse.

Selon une source judiciaire, 50 enquêtes "en lien avec des incendies criminels ou faits de destruction de diverses natures" en Corse ont été ouvertes par le parquet national antiterroriste depuis le début de l'année. Il y en avait eu 22 en 2022, trois en 2021 et quatre en 2020. À la même date, le pôle antiterroriste du tribunal de Paris était chargé de 14 informations judiciaires en lien avec le terrorisme corse, avait-elle précisé.

"On pensait que les années difficiles étaient derrière"

Pourtant, en 2014, après des années de lutte armée, le FLNC avait engagé un processus officiel de démilitarisation et de sortie de la clandestinité. "En 2014, ils avaient déposé les armes pour laisser le champs libre à l'action institutionnelle", dans la perspective d’obtenir rapidement l’autonomie, rappelle à BFMTV.com André Fazi, politologue et maître de conférences en science politique à l’Université de Corse. À cette époque, cette démilitarisation s'était enchaînée, en 2015, avec l'arrivée d'une coalition nationaliste - composée d'autonomistes et d'indépendantistes - au pouvoir à l'Assemblée de Corse. En 2017, les nationalistes avaient poursuivi leur succès en remportant les élections législatives.

"C’était la première fois que les planètes étaient alignées pour obtenir un statut d'autonomie", explique Thierry Dominici, enseignant-chercheur en sciences politiques à l'université de Bordeaux et spécialiste du nationalisme corse, contacté par BFMTV.com.

"On pensait que les années difficiles étaient derrière nous. Le conflit semblait s'être éteint, depuis 2014 où le FLNC est sorti de la clandestinité et en 2017 avec la victoire des nationalistes aux élections législatives. C'était une période très positive", estime Jean-Guy Talamoni, ancien président de l'Assemblée corse et leader indépendantiste auprès de BFMTV.com. Mais six ans plus tard, les choses n'ont pas tellement bougé et l'autonomie se fait toujours attendre.

"Après la victoire de 2017, Paris aurait dû reconsidérer le statut de Corse. Mais, à l'inverse, on a cessé de s'intéresser à la Corse quand les choses se sont calmées", ajoute Jean-Guy Talamoni.

Le débat sur le statut de l'île de Beauté avait finalement été relancé en catimini par le ministre de l'Intérieur, Gérald Darmanin, après la spectaculaire explosion des violences insulaires en 2022, consécutives à la mort du militant indépendantiste Yvan Colonna. L'ancien berger, qui purgeait une peine à perpétuité après l’assassinat du préfet Erignac en 1998, avait été mortellement agressé par un codétenu, le 2 mars 2022 à la prison d'Arles.

Un message "clairement adressé à Gilles Simeoni"

Cette "nouvelle nuit bleue" - une série d'attentats simultanés à l'explosif -, comme la Corse n'en avait plus connu de cette ampleur depuis 2012, survient une dizaine de jours après la visite d'Emmanuel Macron en Corse, les 28 et 29 septembre dernier. Le président de la République est venu clore près de 18 mois de négociations entre les élus locaux et le gouvernement.

Devant les élus insulaires, le chef de l'Etat avait proposé "une autonomie à la Corse dans la République". Mais il avait prévenu, "ce ne sera pas une autonomie contre l'Etat, ni une autonomie sans l'Etat". Si le courant autonomiste s'est montré optimiste après ces déclarations, c'est tout l'inverse pour les indépendantistes. Car aucune de leurs revendications - reconnaissance du "peuple corse", "coofficialité" de la langue ou instauration d'un "statut de résident" pour les habitants de l'île - ne fait partie des concessions présidentielles.

Dans un communiqué publié début août, le FLNC avait pourtant prévenu: "aucun accord entre la Corse et la France ne pourra être qualifié d'historique tant qu'il n'entérinera pas la reconnaissance des droits du peuple corse sur sa terre", écrivait le mouvement nationaliste.

Mais encore plus qu'Emmanuel Macron, "le message du FLNC est clairement adressé à Gilles Simeoni", le président de l'Assemblée corse, estime André Fazi. Le jour de la venue du chef de l'Etat, le patron de l'exécutif territorial - et chef de file des autonomistes -, avait évoqué "une volonté de construire avec (vous), dans le dialogue avec l'État et au sein de la République française, le présent et l'avenir".

"On n’est pas dans un retour du FNLC à l’ancienne"

Un discours qui ne plaît pas du tout au FLNC, selon les chercheurs. "En déposant les armes, le FLNC voulait gagner légitimement l'autonomie. Mais ils estiment qu'il n'y a pas d'avancée historique dans le processus engagé", analyse Thierry Dominici. "Pour eux, ces discussions n'ont aucun avenir. Ils veulent réenclencher un rapport de force, qui soit plus bénéfique au projet nationaliste", complète André Fazi.

Pour autant, pas question d'y voir le retour du FLNC, tel qu'on le connaissait à sa grande époque, estime Thierry Dominici: "On n’est pas dans un retour du FLNC à l’ancienne. Il n’a aucun intérêt. Ce retour à la violence, c'est une petite piqûre pour rappeler à l’exécutif régional que les indépendantistes sont là, même s'ils sont dans l'opposition".

"C’est davantage un message envoyé en interne, à l'exécutif corse, que le retour de la lutte de libération nationale, basée sur la violence politique", complète Thierry Dominici.

Pour son confrère, André Fazi, le but du FLNC, c'est "aussi de séduire ceux qui n'étaient pas totalement convaincus par ces discussions sur l'autonomie, de récupérer des soutiens".

"Le FLNC espère, au moins, déligitimer ces négociations, au mieux, les arrêter", assure André Fazi.

Quoiqu'il en soit, le parquet national antiterroriste a annoncé, lundi 9 octobre, avoir ouvert une enquête sur 22 explosions, et la revendication par le FLNC, pour participation à une association de malfaiteurs terroriste en vue de la préparation d'une destruction par substances explosives ou incendiaires susceptible d'entraîner la mort et d'un acte de terrorisme, destruction par moyen dangereux pour les personnes en bande organisée et en relation avec une entreprise terroriste ainsi que tentative d'assassinat en relation avec une entreprise terroriste, a détaillé le Pnat.

Manon Aublanc