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Drogues à Marseille: Darmanin annonce "un très gros travail" contre les "Uber shit", les policiers sceptiques

Gérald Darmanin à Marseille le 3 janvier 2024

Gérald Darmanin à Marseille le 3 janvier 2024 - NICOLAS TUCAT / AFP

Face au développement des livraisons de drogue à domicile dans les Bouches-du-Rhône, Gérald Darmanin veut des "contrôles systématiques de livreurs" et des Uber. Les syndicats des forces de l'ordre jugent qu'avec "les difficultés liées au refus d'obtempérer", ces opérations s'annoncent "difficiles".

Les annonces de Gérald Darmanin peuvent-elles être vraiment appliquées? La question se pose après la trentième visite de Gérald Darmanin à Marseille ce mercredi 3 janvier. Dans une interview à La Provence, le ministre de l'Intérieur a annoncé vouloir "lancer un très gros travail sur les livraisons de drogue, les Uber shit".

Gérald Darmanin veut multiplier les efforts pour mettre fin aux nouveaux systèmes de vente de stupéfiants qui passent notamment par les VTC qui se rendent au domicile des consommateurs.

Des commandes qui arrivent par livreur à domicile

Alors que le gouvernement s'était concentré ces derniers mois sur le démantèlement de points de deals dans certaines cités marseillaises, l'exécutif semble donc vouloir faire évoluer sa stratégie de lutte contre le trafic de drogue.

Sans chiffre précis, le ministre de l'Intérieur a souligné que "le pilonnage" des points de deal incite les réseaux de trafiquants à faire évoluer leur organisation en livrant des stupéfiants au lieu de faire venir les clients sur place.

Très concrètement, les consommateurs passent leur commande par SMS ou par des réseaux sociaux comme Snapchat ou Instagram avant de voir un livreur venir directement chez eux.

"J'ai demandé à la préfète de préparer de très nombreuses opérations" pour cibler les livreurs suspects, a encore asséné l'ex député-maire de Tourcoing.

Des opérations "pas faciles" liées à d'éventuels refus d'obtempérer

Certains syndicats de police affichent leur scepticisme.

"Il y a beaucoup de livreurs en scooter et qui passent totalement incognito dans la masse. Le sujet, ce n'est pas vraiment les Uber pour moi", juge ainsi Rudy Maana, porte-parole d'Alliance zone sud ce jeudi matin sur BFMTV.

"On va avoir une vraie difficulté à contrôler. Imaginez bien que si le mec (qui est trafiquant de drogue) a 400 grammes sur lui, il ne va pas s'arrêter en voyant un policier. Avec les difficultés qu'on a avec le refus d'obtempérer, ça ne va pas être facile", a encore avancé le policier.

Des difficultés à identifier les cibles

Depuis février 2017, les conditions d'utilisation des armes à feu par les policiers en cas de refus d'obtempérer ont été fortement assouplies. 13 personnes ont été tuées après un tir des forces de l'ordre en 2022, selon un rapport de l'Inspection générale de la police nationale (IGNPN).

Une partie de la France dont la cité phocéenne s'était enflammée l'été dernier après la mort du jeune Nahel, tué par un tir de police. Autant dire que la question est très sensible. La question d'identifier les personnes cibles dans le cadre d'opérations coups de poing contre les "Ubershit" reste également entière.

Au micro de RMC, Manolo (pseudonyme), un jeune dealer de 17 ans qui se situe dans le Rhône, témoigne. Le jeune homme livre dans les Bouches-du-Rhône à vélo, en trottinette et parfois même... grâce à des livreurs Ubereats ou Deliveroo. “Si, par exemple, le client a commandé un 'tacos', on prend un bout de shit, on l’enroule dans de la cellophane, on le met à l’intérieur de la nourriture, et on referme", explique-t-il.

"Les flics, ils ne vont pas se dire qu’il y a de la drogue à l’intérieur d'un 'tacos'. Donc ça permet plus de sécurité, et d’anonymat", confie le jeune homme.

La question des points de deal reste entière

Si ces opérations coup de poing sont saluées par des syndicats de police, la question du suivi par la justice se pose.

"Occuper le terrain, faire de la prévention, c'est bien. Mais après, il faut travailler sur le long terme. Si on n’a pas un officier de police judiciaire derrière, pour ficeler la procédure et pour transmettre au parquet, ça ne sert à rien", juge Jean-Christophe Couvy, secrétaire National Unité-SGP Police-FO sur RMC.

Le démantèlement des points de deal reste encore la priorité pour le syndicat Alliance. "Les gros points marseillais sont quand même restés en place. On a l'impression qu'il n'y pas plus que des Uber shit mais ce n'est pas le cas", remarque encore Rudy Maana, porte-parole d'Alliance zone sud.

47 morts en 2023 liées au trafic de drogue

Gérald Darmanin a évoqué à plusieurs reprises la fermeture de points de deal lors de son déplacement. Selon les chiffres transmis par le ministère de l’Intérieur, ces fermetures sont passées de "160 en 2021" à "90 en 2023".

Le ministre de l'Intérieur mise également sur le déploiement de la CRS 8, une unité spécialisée dans les violences urbaines pour mener "des opérations ciblées contre les trafics de drogue au cour des prochains jours". Une nouvelle unité de CRS a également été installée durablement à Marseille à l'automne.

En 2023, 47 personnes ont été abattues dans le cadre du trafic de drogue, soit 14 de plus qu'en 2022. Quatre d'entre elles ont perdu la vie en étant victimes de tir à l'aveugle ou d'erreurs de cible comme Socayna, tuée d'une balle perdue alors qu'elle étudiait dans sa chambre.

Marie-Pierre Bourgeois