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"Une grande fébrilité": pourquoi la Russie de Vladimir Poutine a besoin d'armes nord-coréennes en Ukraine

Des livraisons nord-coréennes à l'armée russe pour l'effort de guerre en Ukraine seraient, selon les spécialistes, révélatrices de l'isolement croissant de la Russie sur la scène internationale et des pénuries d'armement sur le front ukrainien.

Le dirigeant nord-coréen Kim Jong Un a rencontré son homologue russe Vladimir Poutine ce mercredi dans l'Est de la Russie, au cosmodrome de Vostotchny. En amont de la rencontre, le porte-parole du Kremlin, Dmitri Peskov, avait indiqué que les deux hommes devaient parler de "sujets sensibles" sans prêter attention "aux mises en garde" américaines.

Washington, et ses alliés occidentaux, craint que la Russie ne s'approvisionne en matériel militaire pour son invasion de l'Ukraine auprès de la Corée du Nord. Si aucune annonce officielle n'a été formulée, des signaux montrent que la rencontre pourrait déboucher sur un accord de vente d'armes.

"La Russie a des besoins considérables"

"Ça atteste d'une grande fébrilité et d'une forme d'urgence de la part de la Russie", explique le général Jérôme Pellistrandi, consultant défense pour BFMTV.

La pénurie de munitions est un problème récurrent depuis le début de la guerre en Ukraine, tant pour Moscou que pour Kiev. Le Pentagone a déclaré ce mois-ci que la Russie avait demandé des munitions à la Corée du Nord, notant que cette requête était motivée par les problèmes rencontrés par Moscou pour reconstituer les armements dont elle a besoin sur le champ de bataille.

"La Russie a une énorme consommation de munitions dans ce conflit, digne de la Seconde Guerre mondiale, notamment en artillerie", détaille Jérôme Pellistrandi.

Ainsi, d'après les experts, la rencontre entre Vladimir Poutine et Kim Jong Un pourrait porter sur un accord d'envoi de munitions, d'obus et des missiles antichars à l'armée russe. "Il peut également s'agir de livraison de composants électroniques (pour les armes) car la Russie a des besoins considérables", ajoute Jérôme Pellistrandi.

Jon Finer, conseiller adjoint en chef à la sécurité nationale de Joe Biden, a lui déclaré ce dimanche que l'achat d'armes à Pyongyang "pourrait être la meilleure et peut-être la seule option" de Moscou alors qu'elle poursuit son effort de guerre.

"Le fait que la Russie doive se tourner vers un pays comme la Corée du Nord pour chercher à renforcer ses capacités dans une guerre qui devrait se terminer dans une semaine en dit long", a affirmé Jake Sullivan, conseiller à la sécurité nationale de la Maison Blanche.

Un stock "astronomique" d'armes nord-coréennes

"La Corée du Nord dispose d'un stock énorme d'armes (....). Elle est en mesure d'en fournir des quantités astronomiques à la Russie", soutient Jérôme Pellistrandi. La Corée du Nord est l'un des pays les plus militarisés au monde, possédant un excédent de munitions.

Ce pays de 26 millions d'habitants fonctionne en permanence comme en temps de guerre et l'armée nord-coréenne dispose donc de stocks importants d'obus d'artillerie et de capacités de production pour les fabriquer.

"C'est un régime fondé uniquement sur l'appareil militaire, les systèmes d'armes datent mais c'est une armée à la pointe car c'est la priorité numéro du régime", précise Jérôme Pellistrandi.

La Corée du Nord dispose d'un stock important de vieux missiles peu précis dérivés des Scuds soviétiques. Toutefois, il s'agit là d'un véritable avantage car "il y a une totale compatibilité des calibres" avec la Russie. Bien que ces armes soient basées sur une technologie plus ancienne, leur nombre pourrait les rendre très utiles à Moscou.

Des dizaines de millions d’obus d’artillerie et de roquettes pourraient ainsi être livrées. "Ça pourrait aussi être des missiles, notamment balistiques, mais ça se verrait alors que le transport de containers de munitions, ça ne se voit pas", ajoute Jérôme Pellistrandi.

Un tournant dans le conflit?

De telles livraisons pourraient changer la donne sur le front ukrainien? Non, pour le général Jérôme Pellistrandi, qui affirme toutefois que "ça montre que Moscou s'inscrit dans le temps long".

Selon Hong Min, analyste à l'Institut coréen pour l'unification nationale de Séoul, la Russie pourrait chercher à faire de la Corée du Nord une sorte de "base arrière" pour ses efforts de guerre, fournissant un flux important de munitions.

Cet accord est également un pas de plus vers une alliance entre pays parias du globe. "En bâtissant nos relations avec nos voisins, y compris la Corée du Nord, l'important pour nous est l'intérêt de nos pays et pas les mises en garde de Washington", a affirmé Dmitri Peskov. La semaine dernière, la Maison Blanche a averti que la Corée du Nord "paierait le prix" si elle fournissait des armes à la Russie.

En échange de ces envois, de son côté, Pyongyang serait en quête de technologies de pointe pour des satellites et des sous-marins à propulsion nucléaire, ainsi que d'une aide alimentaire, dans le cadre d'un accord mutuellement bénéfique.

À l'instar de l'Iran qui fournit du matériel militaire au Kremlin, ce nouvel accord pourrait aider la Russie à contourner les sanctions occidentales. Et vice-versa, puisque la Corée du Nord, premier pays à reconnaître les républiques russes de l’est de l’Ukraine en 2014, est elle-même sous sanctions à cause de ses programmes nucléaires et de mise au point de missiles.

Selon les spécialistes, ce rapprochement entre les deux pays témoigne d'une Russie de plus en plus isolée, contrainte de se tourner vers des États comme la Corée du Nord pour soutenir son effort de guerre en Ukraine.

Salomé Robles