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TOUT COMPRENDRE - Pourquoi la réautorisation des néonicotinoïdes fait polémique

Un plan de betterave atteint de la jaunisse, le 4 août 2020, dans le Pas-de-Calais

Un plan de betterave atteint de la jaunisse, le 4 août 2020, dans le Pas-de-Calais - DENIS CHARLET / AFP

Interdits en 2018, ces pesticides pourraient être de nouveau utilisés, afin de sauver des plans de betteraves malades, et ce alors que leur effet néfaste avait conduit à leur interdiction.

L'Assemblée nationale s'empare ce lundi du projet de loi controversé permettant la réintroduction temporaire des néonicotinoïdes pour préserver la filière betteraves, plusieurs cultures étant atteintes par la jaunisse. Il doit permettre le recours temporaire et encadré à des insecticides néfastes pour les abeilles.

Mais le gouvernement est accusé de brouiller dès cette rentrée son message sur la transition écologique avec ce texte, et se heurte à la ferme opposition du camp écologiste et de certains élus marcheurs.

· Que sont les néonicotinoïdes?

Les néonicotinoïdes, sont "des substances insecticides dites systémiques utilisées en agriculture pour protéger les cultures de ravageurs", soit des organismes s'attaquant aux cultures, explique l'Anses (Agence nationale de la sécurité sanitaire). Elles servent aussi "en tant que biocides (repousser les organismes nuisibles à une culture) ou médicaments vétérinaires".

Cinq substances de la famille des néonicotinoïdes - clothianidine, thiaméthoxame, imidaclopride, thiaclopride et acétamipride - avaient été interdites par la loi du 8 août 2016 sur "la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages", avec mise en place le 1er septembre 2018. "La loi prévoit également que des dérogations pouvaient être accordées jusqu’au 1er juillet 2020", note l'Anses.

· Pourquoi avaient-ils été interdits?

Si ces produits ont été interdits, c'est surtout pour leur impact meurtrier sur les abeilles, le terme néonicotinoïde est d'ailleurs régulièrement flanqué de l'attribut "tueur d'abeilles". Mais l'incidence néfaste de ce produit sur les insectes en général, voire sur les oiseaux, est également pointé du doigt. Certains néonicotinoïdes sont aussi suspectés d'être des perturbateurs endocriniens ou cancérogènes, donc d'être dangereux pour l'homme.

"Les néonicotinoïdes causent un mal irréparable", expliquait à BFMTV en 2018 Pierre Maigre, président de la Ligue de protection des oiseaux de l'Hérault. "Ils tuent à peu près toute vie jusqu'à 30 ou 40 cm de profondeur. Tout ce qui est insectes, tout ce qui est lombrics, tout ce qui est à la base de la chaîne alimentaire et sert à nourrir les animaux sauvages".

"Les néonicotinoides sont extrêmement dangereux. Ils sont dangereux pour les abeilles, mais bien au-delà des abeilles ils sont dangereux pour notre santé, pour notre environnement. Ils contaminent les cours d'eau, ils contaminent la flore, y compris la flore sauvage, ils restent dans les sols très longtemps", déclarait en 2016 Barbara Pompili, alors députée écologiste. Aujourd'hui ministre de la Transition écologique, elle défend le report de l'interdiction de ces produits.

· Pourquoi le gouvernement veut-il les réutiliser?

Ces substances s'apprêtent à être de nouveau autorisées, de façon temporaire, car dans de nombreuses régions de France, les betteraves issues de semences non enrobées d'insecticide sont atteintes de "jaunisse", en raison d'un puceron vert vecteur de la maladie qui affaiblit les plantes. La réintroduction des néonicotinoïdes doit permettre de protéger les rendements sucriers français et sauvegarder une filière qui emploie 46.000 personnes dont 25.000 agriculteurs.

Le gouvernement se dit donc obligé de rétro-pédaler, en s'appuyant sur le règlement européen sur les phytosanitaires qui permet de déroger à l'interdiction en l'absence d'alternative.

"C'est une question de souveraineté", a mis en avant le ministre de l'Agriculture Julien Denormandie, alors que 11 pays producteurs ont autorisé en Europe les dérogations pour les néonicotinoïdes. "Nombre de planteurs, en ce moment même, hésitent à replanter des betteraves" et "si les sucreries ferment, c'est toute la filière de la betterave qui peut disparaître en une ou deux saisons", fait valoir le ministre.

Dans une tribune publiée dans Le Journal du Dimanche, plusieurs ONG demandent aux élus de ne pas voter pour "un recul environnemental de plus". "Face à ce problème économique, écologique et climatique, il est indispensable de trouver des solutions adaptées pour préserver les emplois tout en rendant la filière plus résiliente aux futures crises", écrivent-ils.

· Seront-ils de nouveau interdits?

Selon le site officiel Vie Publique, "le projet de loi autorise jusqu'en 2023 des dérogations à l'interdiction d'utiliser des insecticides néonicotinoïdes, sous certaines conditions". Mais pour que cette prolongation soit la dernière, encore faut-il trouver et mettre en place d'autres modes de cultures d'ici là.

"Les filières vont devoir travailler très vite à trouver les alternatives parce qu'après ça sera terminé" assurait Barbara Pompili sur BFMTV début septembre. "Si on veut encore avoir de la betterave sucrière et une industrie du sucre en France dans les années qui viennent, on doit trouver des alernatives là, maintenant et on n'attend plus et on ne laisse plus traîner comme cela a été fait depuis quatre ans", ajoute-t-elle.
Selon elle, depuis l'interdiction des néonicotinoïdes, "la filière n'a pas bougé ce qu'il fallait, la recherche n'a pas avancé suffisamment et l'État n'a pas assez piloté", a déploré la ministre. "Lorsque j'arrive aux responsabilités, je me rends compte que ce qui aurait dû être fait n'a pas été fait", constatait-elle.

Dans une interview à la Revue Agricole de l'Aube, le rapporteur LaREM du texte, Grégory Besson-Moreau assure que "le budget alloué à la recherche sur la betterave" est passé "de 700.000 à cinq millions d’euros".

Salomé Vincendon avec AFP