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Un an après l'interdiction de 5 néonicotinoïdes en France, quel impact sur les colonies d'abeilles?

Une abeille noire butine une fleur

Une abeille noire butine une fleur - FRED TANNEAU / AFP

La France a interdit, en septembre 2018, cinq néonicotinoïdes, des substances dangereuses pour les pollinisateurs et employées dans des insecticides. Deux nouvelles molécules, agissant comme les néonicotinoïdes, vont également être bientôt interdites, a annoncé Elisabeth Borne, mardi, sur notre plateau. Mais les effets de ces produits, rémanents dans le sol et l'eau, pourraient mettre du temps à s'estomper.

Un "aboutissement" et un "soulagement". C'est en ces termes que Gilles Lanio, président de l'Union Nationale de l'Apiculture Française (UNAF) décrit auprès de BFMTV.com l'interdiction par le gouvernement, en septembre 2018, de cinq néonicotinoïdes (clothianidine, thiaméthoxame, imidaclopride, thiaclopride et acétamipride). Ces substances, particulièrement dangereuses pour les pollinisateurs, sont employées dans des insecticides. 

Neurotoxiques, elles s'attaquent au système nerveux des abeilles et leur font perdre la mémoire. "Or, une abeille qui ne retrouve pas sa ruche et s'égare ne peut pas vivre sans sa colonie", explique Gilles Lanio, également apiculteur dans la région de Lorient. Ces substances ont aussi un impact sur la santé des insectes et sur leur résistance à différentes maladies. 

Leur interdiction a placé l'Hexagone "comme précurseur[e] sur la protection des pollinisateurs", soulignait l'année dernière, dans un communiqué, les ministères de la Santé, de l'Agriculture et de la Transition écologique et solidaire.

"Sous l’impulsion de la France, l’Union européenne a adopté des restrictions d’usage pour trois de ces substances, interdisant leur utilisation dans la plupart des situations", ajoutaient-ils. 

Ils annonçaient également vouloir interdire "deux autres substances dont le mode d’action est identique à celui des substances de la famille des néonicotinoïdes". Ce mercredi, c'est presque chose faite. La ministre de la Transition écologique Elisabeth Borne a annoncé la veille, sur notre plateau, mettre en consultation un décret qui interdira la flupyradifurone et le sulfoxaflor, deux molécules agissant comme les néonicotinoïdes.

Une forte rémanence dans le sol

Un an après, les effets de leur interdiction se font-ils sentir au sein des populations de pollinisateurs? "On a eu une bonne sortie d'hiver mais je ne sais pas s'il s'agit d'une répercussion immédiate de l'arrêt de l'utilisation, quelques mois avant, des néonicotinoïdes", note Gilles Lanio. 

"Je pense que c'est sûrement dû à un hiver très court et à un mois de février chaud, qui a permis un renouvellement rapide des générations d'abeilles. Il ne faut cependant pas oublier qu'il y a une forte rémanence de ces produits dans la terre et dans l'eau. Il faudra encore un ou deux ans pour s'en débarrasser. Leurs effets persistants sur les abeilles ont peut-être été cachés par les mauvaises conditions climatiques de cette année qui a été catastrophique", explique l'apiculteur. 

L'enchaînement d'une fin d'hiver chaude, d'un printemps froid et d'un été caniculaire a, en effet, provoqué un fort désordre dans les ruches. Un apiculteur du Sud-Ouest qui avait 450 colonies d'abeilles en début d'année n'en a plus que 200 aujourd'hui, raconte le président de l'UNAF. La production de miel devrait donc être catastrophique pour l'année 2019.

Une contamination étendue 

En plus d'être rémanentes, ces substances semblent également contaminer des terres qui n'y ont pas été forcément traitées. Une étude menée par des chercheurs suisses, publiée en mars dernier dans la revue scientifique Journal of Applied Ecology, démontre l'étendue du problème.

Les scientifiques ont analysé plus de 700 échantillons de terre et de plantes issus de 169 champs cultivés et de "surfaces d'intérêt écologique" en Suisse. Ils ont alors détecté des néonicotinoïdes dans 93% des sols et cultures "bio" et dans plus de 80% des sols et plantes issus des "surfaces d'intérêt écologique". 

Les chercheurs notent qu'il s'agit pourtant de "deux types de terres arables qui ne sont pas censées contenir de pesticides". Les effets de ces substances ne sont donc pas près de s'estomper et leur champ d'action semble bien plus vaste qu'initialement envisagé.

Un programme d'études piloté par l'INRA

Contacté par BFMTV.com, le ministère de l'Agriculture indique que "l'interdiction ne permet pas encore d'avoir suffisamment de recul pour en évaluer les effets".

"Un programme d'études piloté par l'Institut national de la recherche agronomique (INRA) est en cours. Il s'agit de Néonet, qui permettra entre autres de mesurer l'efficacité de cette interdiction, par l'analyse de pollen et nectar sur des parcelles de colza, maïs et tournesol sur l'ensemble du territoire national. Les premiers résultats devraient être disponibles début 2020", poursuit-on de même source.

Pour vérifier que l'interdiction des néonicotinoïdes est bien appliquée par les agriculteurs, le ministère précise que "des plans de contrôles sont réalisés chaque année sur les végétaux [...] via des prélèvements effectués par la Direction Régionale de l'Agriculture et de la Forêt (DRAAF) et le Service Régional de l'Alimentation (SRAL) afin de rechercher des résidus dans les cultures. La campagne en cours prévoit plus d'une centaine de prélèvements ciblés sur le maïs, la betterave, le blé et le tournesol. Elle se terminera en janvier 2020".

Concernant la mortalité des abeilles, le ministère de l’Agriculture et de l’Alimentation indique, enfin, renforcer "des dispositifs de surveillance permettant d’objectiver et de comprendre ces phénomènes de mortalité d'ordre sanitaire mais incluant légalement le risque toxique dont les néonicotinoïdes".

Deux dispositifs sont concernés. Le dispositif de surveillance des mortalités massives aiguës d’abeilles domestiques adultes (MMAA), rénové en 2018, qui "vise à détecter et à caractériser les mésusages, les effets non intentionnels et les accidents dans le process de fabrication de produits phytopharmaceutiques, de biocides et de médicaments vétérinaires". Et l'Observatoire des Mortalités et des Affaiblissements de l’Abeille mellifère (OMAA), mis en place dans trois régions entre 2017 et 2019 (Bretagne, Pays-de-la-Loire et Auvergne-Rhône-Alpes). Une enquête nationale de mortalité hivernale des colonies d’abeilles, instituée pour l'hiver 2017-2018, a également été renouvelée pour la période 2018-2019.

Une interdiction menacée?

Malgré l'interdiction de cinq néonicotinoïdes l'année dernière, et celle prochaine de deux substances similaires, l'Union Nationale de l'Apiculture Française reste pourtant sur ses gardes. 

Dans un communiqué publié au début du mois de septembre, le syndicat affirme "qu'à la suite d’un recours du lobby des pesticides pour obtenir l’annulation de l’interdiction des néonicotinoïdes, le Conseil d’État a rendu au cours de l’été plusieurs décisions par lesquelles il interroge la Cour de justice de l’Union européenne sur la légalité de l’interdiction française".

Le combat de l'UNAF "initié il y a 25 ans" contre les néonicotinoïdes semble encore loin d'être terminé. 

Clément Boutin