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Orpea, Spanghero… Après un scandale, les entreprises veulent changer de nom

Après avoir été éclaboussées par des affaires qui ont profondément entaché leur image, des entreprises décident de changer de nom dans l’espoir de tourner la page et de se défaire d’une image négative.

Tout le monde a entendu parler de l’affaire Orpea, qui a plongé le gestionnaire de maisons de retraite et de cliniques de soins dans un funeste tourbillon médiatique. Accusée de maltraiter ses résidents dans le livre-enquête Les Fossoyeurs, publié en janvier 2022, l’entreprise a vu son image profondément écornée. Pour tenter de la restaurer, elle envisage de changer de nom, possiblement avant la fin de l’année.

"Il y a encore des personnes qui hésitent en voyant le nom Orpea lorsqu’ils cherchent un Ehpad pour leurs proches", confie au Figaro le directeur général du groupe, Laurent Guillot.

“Un nom peut être tellement lié à une histoire, à un scandale, que le fait de se renommer va permettre à l'entreprise de ne plus être associée dans son présent à certains événements”, explique Arnaud Marion, fondateur de l’Institut des hautes études en gestion de crise (IHEGC).

“Il y a une dimension régénératrice. C’est une façon de laisser le passé derrière soi et de se débarrasser d’un héritage médiatique”, ajoute-t-il.

Échapper à un référencement néfaste sur Internet

Dans un monde où une actualité tend à en balayer une autre, un nouveau nom peut aider à faire oublier l’ancien, chargé de négativité. "Et l’effet est double aujourd’hui: avec le référencement sur Internet, le jour où vous vous rebaptisez, vous n’allez plus traîner avec vous une empreinte numérique et médiatique néfaste pour votre image", souligne Arnaud Marion.

Changer de nom sert donc aussi à se défaire d’un historique sur le Web. Les internautes ne tomberont plus automatiquement sur les scandales passés en tapant la nouvelle dénomination de l’entreprise dans leur moteur de recherche.

Korian, leader européen des maisons de retraite, a déjà modifié son nom, officiellement adopté mi-juin, dans le sillage de l’affaire Orpea. S’il n’a pas été directement visé par le livre Les Fossoyeurs, le gérant d’Ehpad a également été accusé de maltraitances par des familles. Le groupe a toutefois décidé de changer uniquement le nom de sa structure de tête, devenu Clariane, tout en conservant la marque Korian pour ses maisons de retraite en France.

Cette évolution s’accompagne d’un nouveau statut, celui d’“entreprise à mission”, Clariane précisant vouloir “prendre soin de l'humanité de chacun dans les moments de fragilité”. Une façon pour la société d’afficher une vraie volonté de changement.

Incarner une nouvelle stratégie

“La modification de son nom doit s’inscrire dans le cadre d’une profonde réflexion stratégique. Le nouveau nom va être l’incarnation d’une histoire de l’entreprise”, assure Nina Derai, présidente de l’agence Nomen, spécialisée dans le naming et la création de marque.

L’objectif est de donner un nouveau souffle, via des mesures pérennes, en menant des actions concrètes au sein de l’organisation.

Un simple changement de nom risque d'apparaître comme une mesure cosmétique, pour tenter de cacher la poussière sous le tapis, ce qui peut encore renforcer la mauvaise image d’une société déjà éclaboussée par un scandale. “Les consommateurs attendent aujourd’hui de la transparence de la part des entreprises et de la sincérité dans leurs actions”, insiste Nina Derai.

Attention au timing

Il est d’ailleurs important de ne pas se tromper dans le timing, au risque que le nouveau nom reste associé à une affaire pas encore terminée. “Le groupe Servier n’a pour le moment pas changé de nom, mais peut-être qu’il le fera plus tard”, prend en exemple la présidente de Nomen.

Si le procès en appel du Mediator s’est achevé le 8 juin, le laboratoire pharmaceutique ne connaîtra la décision des juges que le 20 décembre. Servier avait été condamné à une amende de 2,7 millions d’euros en première instance pour avoir mis sur le marché son médicament, omettant le caractère dangereux du Mediator pour la santé.

Beaucoup d’entreprises ont déjà changé de nom pour faire oublier leurs déboires, avec plus ou moins de succès. Le fournisseur de viande Spanghero est par exemple devenu La Lauragaise après que du cheval a été découvert dans des lasagnes censées être au bœuf, en 2013. Puis l’entreprise a encore été rebaptisée en 2014 pour devenir L’Occitane Plats Cuisinés, après avoir trouvé un repreneur.

En 2015, c’est la compagnie Germanwings, filiale à bas coûts de Lufthansa, qui a été renommée Eurowings, huit mois après le crash d’un de ses avions. L'Airbus de la compagnie devait relier Barcelone à Düsseldorf. Il a été précipité au sol par le copilote, ce qui a entraîné la mort de la totalité des 144 passagers.

Le scandale pas toujours moteur d’un changement de nom

Autre exemple encore avec Areva, devenue Orano en janvier 2018. L’ancien fleuron tricolore de l’atome acte alors une réorganisation de ses activités, pour se recentrer sur les métiers du combustible nucléaire. Au passage, il cherche à faire oublier la déroute de l’EPR, qui accuse maints retards et dérapages financiers, et les années Anne Lauvergeon, marquées notamment par l’affaire Uramin.

Tous les ans, d’importants groupes changent de nom, pour tenter d’effacer les stigmates d’un scandale, mais aussi de manifester un changement d’identité.

"Le nom de la marque constitue le premier actif immatériel de l'entreprise. Il joue sur son attractivité et sa notoriété", rappelle Nina Derai.

Très récemment, lundi 24 juillet, Twitter a ainsi été rebaptisé X par Elon Musk. “Le milliardaire veut concrétiser un changement de stratégie”, estime la spécialiste du naming. Son entreprise ne se veut plus seulement un réseau social, mais pourrait devenir une application multifonction, façon WeChat en Chine. Le “X” rappelle ici d’autres activités de l'homme d'affaires, comme SpaceX ou la Tesla Model X.

Un autre groupe de la tech a modifié son nom, il n’y a pas si longtemps: Facebook s’est renommé Meta en octobre 2021. Une façon pour son patron, Mark Zuckerberg, de miser pleinement sur le métavers comme relais de croissance. Mais ce changement est aussi intervenu après le scandale Cambridge Analytica et dans la foulée des révélations de la lanceuse d'alerte Frances Haugen, une ancienne employée accusant le réseau social d’avoir des effets néfastes sur la santé et de ne pas protéger ses utilisateurs contre les fake news.

Comme quoi les affaires ne sont jamais loin quand une entreprise annonce un nouveau nom.

Thomas Chenel