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Trains de nuit : le long chemin vers la rentabilité

Après Paris-Nice, la SNCF relance ce dimanche ses trains de nuit entre la capitale et Lourdes via Tarbes reprend du service. En dépit d"un succès d'estime, le chemin sera encore long pour renouer avec la rentabilité.

Près de sept mois après la réouverture de la ligne de nuit entre Paris et Nice, la SNCF relance comme prévu la liaison Paris-Lourdes via Tarbes. Le premier départ aura lieu ce dimanche depuis la gare d'Austerlitz en présence de son PDG.

Le gouvernement a demndé à la SNCF de rouvrir au total une dizaines de liaisons nocturnes d'ici 2030. Et le Premier ministre Jean Castex a récemment indiqué que la prochaine sur la liste serait Paris-Aurillac. Sans préciser à quelle date, pour le moment.

Après leur quasi-abandon il y a plusieurs années (2017 pour la liaison vers Nice) faute de fréquentation et de rentabilité (faute d'investissements également...), les trains de nuit peuvent-ils vraiment s'imposer comme une alternative à l'avion, à la voiture et au TGV?

Le bon moment

L'éxecutif veut y croire. Et y met des moyens. Dans le cadre de la transition écologique et pour répondre à une demande forte de certains voyageurs (coût, empreinte carbone...), Emmanuel Macron a promis de mettre l’accent sur les liaisons ferroviaires nocturnes. 100 millions d'euros sont affectés à cet objectif.

"Nous avons beaucoup d’ambition pour les trains de nuit en France", affirmait en 2020 le ministre délégué aux Transports, Jean-Baptiste Djebbari, promettant "une politique de promotion et de redynamisation" de ce mode de transports.

Mais si le train de nuit attire de nouveau (en tout cas pour le moment), le chemin sera encore long pour renouer avec la rentabilité. Si tant est que ce soit un objectif...

"Ventes excellentes" affirme la SNCF

Si le train de nuit a longtemps véhiculé une image passéiste, ringarde face au tout puissant TGV ou aux compagnies aériennes low cost dans une société où chaque minute compte, le contexte actuel change la donne.

Les considérations écologiques, la volonté pour de plus en plus de voyageurs de limiter leur empreinte carbone, notamment les jeunes et les entreprises, le slow-travel qui consiste à prendre son temps sont autant d'étoiles qui s'alignent pour la SNCF.

Interrogé par BFM Business, la société nationale ne donne pas encore de chiffres de fréquentation de la ligne Paris-Nice mais évoque "des ventes (qui) sont globalement excellentes, notamment pour les prochaines vacances de Noël (plusieurs trains déjà complets)".

L'opérateur souligne que "30% des voyageurs ont moins de 25 ans" et que "un voyageur sur deux est un nouveau client", preuve, dans les deux cas, qu'il existe un certain engouement pour le voyage de nuit notamment chez les jeunes.

"Les motifs de déplacement sont majoritairement Loisirs (83%) et à forte saisonnalité touristique, l’offre vers Tarbes et Lourdes devrait donc rencontrer un certain succès", ajoute le SNCF.

Une observation à double tranchant: car si la fréquentation se fait essentiellement pendant les vacances, comment financer le modèle en dehors de ces périodes? D'autant plus que le train de nuit souffre encore de nombreux handicaps.

Une offre encore sous-dimensionnée

Pour le moment, le réseau de nuit opérationnel (Paris-Nice, Paris-Lourdes et Paris-Briançon ainsi que Paris-Rodez-Cerbère qui ont survécu aux fermetures) est trop petit pour espérer la moindre rentabilité.

Comme le souligne Arnaud Aymé, expert transports au sein du cabinet Sia Partners: "Le train de nuit, ce sont beaucoup de coûts fixes au niveau du matériel roulant avec des trains immobilisés le jour notamment, cela rend les lignes déficitaires. Pour réduire les coûts, il faut une logique de réseau pour maximiser l'utilisation du matériel", explique-t-il à BFM Business.

"Il faut se dire qu'en 2030, il y aura x lignes de nuit longues distances (voires internationales) disposant chacune d'une saisonalité pour un effet de foisonnement d'offres. Ce parc pourrait être utilisé toute l'année puisque chaque ligne est plus ou moins utilisée selon les périodes de l'année", poursuit l'expert. On en est encore loin...

L'élargissement de la cible peut également améliorer le remplissage des trains. "Pourquoi ne pas imaginer adresser les clubs sportifs, les associations, tout ceux qui ont l'habitude de prendre des cars de nuit", glisse Arnaud Aymé.

Le confort des rames en circulation pose également problème. Pour aller vite, la SNCF a remis en circulation des voitures qui datent de plus de trente ans, en ce contentant de les rafraîchir légèrement.

"Il faudra avoir une bonne expérience client si l'on veut pérenniser ces liaisons. On peut supposer que les attentes du consommateur sont un peu plus élevées qu'il y a vingt ou trente ans", explique à l'AFP, François Guénard, expert ferroviaire au cabinet Roland Berger.

Les rames françaises font vraiment pâle figure face aux trains de nuit autrichiens, mieux équipés et dont le niveau de confort varie selon la classe choisie, les billets les plus chers donnant accès à des compartiments équipés de vrais lits. La rudesse des voitures couchettes de la SNCF risque de décevoir.

Jean Castex à bord du train de nuit Paris-Nice, le 20 mai 2021.
Jean Castex à bord du train de nuit Paris-Nice, le 20 mai 2021. © ANNE-CHRISTINE POUJOULAT / AFP
Nouveau train couchettes ÖBB
Nouveau train couchettes ÖBB © Siemens

Mais des espoirs à moyen-long terme

Pour autant, l'Etat a mis 100 millions d'euros sur la table pour les trains de nuit dont la moitié consacrée à leur rénovation. Cette modernisation a débuté dans le Technocentre SNCF de Périgueux en Dordogne qui emploie 500 personnes environ. Cette enveloppe sera schématiquement partagée en deux dépenses.

Il s'agit de remettre d'anciennes voitures couchettes en état de circuler sans y apporter d'améliorations fortes. La rénovation se iimite à l'essentiel. Ce sont ces voitures qui circulent entre Paris et Nice. Les plus exigeants des voyageurs seront déçus. Comment accepter de devoir aller dans le couloir pour trouver une prise électrique?

Mais la SNCF prévoit de rénover plus profondément d'autres voitures en améliorant l'insonorisation, en installant des prises individuelles et le wifi, en refaisant les sanitaires. Ce qui prend évidemment plus de temps.

Reste qu'il faudra acheter de nouvelles voitures fiables et confortables si le gouvernement veut, comme il en a l'intention, ouvrir une dizaine de lignes de trains de nuit d'ici 2030.

"Il va falloir aller très vite", juge le directeur de Voyages SNCF, Alain Krakovitch. "Mais l'acquisition de nouveau matériel va prendre du temps", pointe l'expert François Guénard. Et coûtera très cher à la SNCF et à l'Etat qui prendra en charge les pertes d'exploitation de ces lignes. Jusqu'à quand?

L'apport de l'Europe

Le réseau reste malgré tout la clé centrale de la réussite des trains de nuit français. Outre l'ouverture de nouvelles lignes intérieures, la SNCF pourra également compter sur des lignes internationales en collaboration avec d'autres opérateurs.

Le Paris-Vienne repartira ainsi le 13 décembre avec trois classes de confort dont des voitures lits équipées de douches. Les rames utilisées seront celles d'ÖBB, l'opérateur ferroviaire autrichien, fabriquées par Siemens (Nightjet) qui offrent un niveau de confort supérieur.

Carte des nouveaux trains de nuit européens
Carte des nouveaux trains de nuit européens © SNCF

On pourra donc voyager en place assise, en couchette (4 à 6 personnes par cabine, salle de douche dans la voiture, petit-déjeuner offert) ou en voiture-lit (une à trois personnes par cabine dotée de lavabo voire de douche/toilette pour la version deluxe, petit-déjeuner à la carte, welcome-pack...)

Et cette liaison ne sera pas la seule puisque les transporteurs ferroviaires français, allemand, autrichien et suisse (SNCF, DB, OBB et CFF) ont annoncé de nouvelles liaisons de nuit longues distances transfrontalières dans les prochaines années.

Un soutien public indispensable

A savoir: Zürich-Cologne-Amsterdam et Zurich-Rome en 2022, Vienne-Berlin-Bruxelles et Vienne-Berlin-Bruxelles-Paris en 2023, puis Zurich-Barcelone en 2024.

Si les opérateurs ferroviaires comptent sur des syngergies et des économies d'échelle pour mener à bien ce projet, "un soutien financier public sera sans aucun doute indispensable pour soutenir le modèle économique de ces offres de nuit" insistent les partenaires, soutien qui n'a pas été précisé à ce jour... Sans financement public, ces lignes pourront-elles être lancées?

Olivier Chicheportiche Journaliste BFM Business