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Transports

"Train-bragging": quand les Français se vantent de prendre le train

Face aux enjeux climatiques notamment, le train apparaît comme la solution pertinente pour voyager, même loin, alors qu'à l'inverse prendre l'avion suscite un sentiment de honte... Mais cette tendance est-elle massive et durable?

Il y a encore quelques années, quand le Covid et la guerre en Ukraine n'avaient pas encore bouleversé nos habitudes, le train avait, il faut bien le dire, une image assez ringarde.

Les Français plébiscitaient alors leurs voitures ou encore l'avion pour partir loin en vacances profitant de prix toujours plus bas, de destinations toujours plus nombreuses. Dans le même temps, la fréquentation des trains au mieux stagnait, et des lignes fermaient faute de trafic, notamment les fameux trains de nuits.

Aujourd'hui, les choses ont changé. Face aux enjeux climatiques notamment, le train apparaît comme la solution pertinente pour voyager, même loin, même si ça prend du temps, alors qu'à l'inverse prendre l'avion suscite chez certains un sentiment de honte.

Eté record, nouvelles lignes, nouveaux acteurs...

Face au "flight shaming" émerge donc désormais le "train-bragging", tendance qui consiste à se vanter de prendre le train dans une logique de "slow travel". Cela fait beaucoup d'anglicismes...

C'est un comportement nouveau qui s'illustre dans les chiffres. La SNCF va boucler un été record: fin juillet, elle avait écoulé pas mois de 23 millions de billets pour les vacances d'été, soit 10% de plus qu'en 2019 malgré des prix en hausse. Un record néanmoins à relativiser un peu compte tenu du chaos dans les aéroports européens incitant les Français à rester en France.

La SNCF est convaincue que ce regain d'intérêt voire cet engouement va perdurer. Son patron vise un doublement du trafic dans les prochaines années. A condition d'y mettre les moyens.

Et avec le soutien de l'Etat, des régions, d'associations, l'opérateur se concentre enfin sur la desserte fine du territoire avec la réouverture de petites lignes, ou relance des liaisons de nuit qui cartonnent chez les jeunes notamment. Elle accélère sa décarbonation avec le pari du train à hydrogène sur les lignes non-électrifiées (encore très nombreuses). Et même les entreprises commencent à privilégier le train pour les déplacements d'affaires en France.

"Les gens acceptent de faire des trajets plus longs"

Ce qui semblait improbable il y a cinq ans devient une possibilité. La SNCF et son homologue allemand DB veulent par exemple lancer en 2023 une nouvelle liaison TGV entre Paris et Berlin.

"Ça fait sens parce qu'on constate que les gens acceptent de faire des trajets de plus en plus longs. Il y a vraiment des gens qui sont prêts à rester cinq heures, six heures, sept heures dans un train", expliquait il y a quelques mois Jean-Pierre Farandou, PDG de la SNCF. En l'occurrence, Paris-Berlin, c'est sept heures.

Un constat par exemple partagé par Arthur Auboeuf, cofondateur de Time for the Planet. Sur sa page LinkedIn, il met en avant son choix du fer face à l'aérien.

"Me voilà parti tout seul, en train, pour 13h au lieu de 2... pendant que mes amis sont ensemble dans un avion. On ne va pas se mentir: le plus difficile lorsque l’on décide de changer son comportement, c’est la pression sociale. Cette année, mes amis tenaient à aller en vacances à Budapest. Évidemment, quand j’ai proposé d’y aller en train pour ne pas flinguer notre bilan carbone, j’ai bien senti que ça n’allait pas le faire" explique-t-il.

"“Juste un petit avion mec, c’est rien, personne ne le saura et ça ne changera pas le monde, tu sais.” L’argumentaire que j’avais moi aussi, il n’y a pas si longtemps. Quand je n’avais pas encore les ordres de grandeur en tête, et pas réalisé à quel point nous ne pouvons pas louper le tournant décisif que représente notre époque. C’est dommage, parce qu’il y a aussi beaucoup de plaisir à prendre avec le train!" poursuit-il.

L'offre créé la demande

Et d'exprimer les avantages oubliés du "slow travel" et sa fierté associée: "Depuis que j’ai arrêté l’avion il y a quelques années, je redécouvre mes voyages: le temps de trajet et les paysages qui se transforment doucement me permettent de savourer le dépaysement pour de vrai. De ralentir, dans ma tête aussi. Mon cerveau réalise. Évidemment, je divise surtout mon empreinte carbone par 100, et ça ajoute un vrai plaisir au voyage".

"Qu’on soit clairs: peu importe ce que font ou ne font pas les autres, en fait ce n’est pas mon sujet. Ce choix, je le fais pour moi. Alors oui, je suis seul dans mon train. Mais j’y suis bien, parce que je sais parfaitement pourquoi. Au moins 100x pourquoi" insiste-t-il.

Cette fierté retrouvée de prendre le train constitue également une réalité économique et la SNCF ne sera pas la seule à en profiter. Des concurrents locaux (comme LeTrain, Railcoop...) tentent de se lancer, convaincus du potentiel. Des acteurs étrangers comme Trenitalia confirment que l'ouverture du marché fait grossir le gâteau: plus il y a d'opérateurs, plus il y a de voyageurs, l'offre créé la demande.

Oui mais...

Sans oublier les acteurs du tourisme qui ont bien saisi l'appétence pour le voyage en train où on prend son temps. Le Puy du Fou va lancer son "Grand Tour" tandis que le géant de l'hôtellerie Accor a annoncé la relance à grands frais de l'Orient-Express depuis Paris vers Vienne à bord d'anciennes magnifiques voitures de luxe restaurées.

Reste une question: ce phénomène est-il massif? Ne concerne-t-il pas une frange limitée de la population?

Si les trains de nuit sont plébiscités, ils ne sont plein que pendant les vacances scolaires. Si quelques lignes rouvrent, beaucoup sont encore fermées et le manque d'investissement dans le réseau ne permet pas pour le moment d'être optimiste.

"Soyons clairs, le vieillissement du réseau entraînera très vite des fermetures de lignes de plus en plus nombreuses (...) La conséquence est simple: le système pousse à réduire les circulations et toute politique d’accroissement de l’offre est vouée à l’échec. J’en appelle à un sursaut pour sauver le ferroviaire français dont le modèle est à bout de souffle. Il n’y aura pas de transition écologique sans le train. Il n’y aura pas de train sans que notre pays décide, enfin, des financements fortement accrus et garantis sur le long terme. Voilà de la planification écologique concrète" s'alarme Jean Rottner, président de la région Grand-est .

Et si l'avion est conspué, sa fréquentation est plutôt orientée à la hausse en France et ailleurs où les questions d'éco-responsabilité ne font pas le poids face à l'envie de de se déplacer comme en Chine. Selon les dernières études, le trafic aérien mondial devrait ainsi encore progresser de 4,5% par an dans les prochaines années...

Olivier Chicheportiche Journaliste BFM Business