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Grève à la SNCF: limitation en jours, interdiction pendant les vacances… est-ce possible?

Le Sénat a adopté ce mercredi en commission une proposition de loi qui encadre plus strictement le droit de grève dans les entreprises publiques comme la SNCF. Mais les obstacles à sa validation sont nombreux.

Jours fériés, vacances scolaires… Le Sénat a adopté ce mercredi en commission plusieurs mesures d'encadrement du droit de grève dans les transports. Une adoption qui intervient moins de deux mois après la dernière grève à la SNCF, qui a entraîné la suppression d'un TGV sur deux en moyenne.

Cet énième mouvement a comme d'habitude suscité de nombreuses réactions hérissées. Certaines ministres, députés ou politiques ont dénoncé une nouvelle fois la répétition chronique de ces mouvements et surtout le timing choisi, systématiquement avant de grands départs en vacances.

Ce qui a débouché immanquablement sur des propositions visant à limiter l'exercice de la grève dans les entreprises publiques comme la SNCF. Rappelons que le droit de grève est constitutionnellement garanti. Reste que le droit de circuler librement aussi.

"Le sujet c'est de revisiter la loi de 2007 qui avait encadré les conditions d'exercice d'un droit constitutionnel", expliquait alors sur BFMTV/RMC, Gérard Larcher, président du Sénat.
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"Un usage de la grève qui ne soit pas une prise d'otage"

"Je crois qu'il faut prendre des dispositifs qui fassent que l'usage de la grève ne soit pas une prise d'otage", poursuit-il. Ne pas interdire mais restreindre en somme.

C'est d'ailleurs l'idée de Hervé Marseille, le président du groupe centriste du Sénat. "Notre pays est régulièrement touché par des périodes de grève dans les transports publics. Ces grèves à répétition, pénalisent la vie économique et la vie quotidienne des Français", déplore-t-il.

Le texte adopté mercredi s'inspire largement de sa proposition qui vise à "concilier la continuité du service public de transports avec l’exercice du droit de grève".

Ce texte prévoit notamment la possibilité pour le gouvernement de neutraliser trente jours par an, durant lesquels la grève serait interdite aux heures de pointe aux personnels dont le concours est indispensable pour assurer le bon fonctionnement du service de transport, et limiter des séquences de grève à sept jours consécutifs.

"On n'interdit pas aux syndicalistes de faire grève, on essaie de protéger les Français contre une prise en otage excessive et répétée", explique-t-il auprès de l'AFP.

Un droit fondamental mais des aménagements possibles

Le texte s'inspire en réalité de ce qui existe en Italie depuis 1990. Chez nos voisins, pas de débrayage à Noël, pendant les vacances ou lors des heures de pointe: en vertu de cette loi, le droit de grève est strictement encadré dans les transports pour garantir un service minimum aux usagers. Le texte prévoit ainsi la limitation des grèves à 24 heures d’affilée. Le préavis de grève, lui, doit être transmis au moins dix jours à l’avance.

D'ailleurs en 2022, suite à la dernière grande grève des contrôleurs, des députés avaient déjà déposé des projets de loin en ce sens.

Interdire les grèves pendant les vacances scolaires, par exemple, est-il possible? Le caractère fondamental du droit à la grève dans la Constitution représente un obstacle difficile à franchir. Néanmoins, selon certains experts, une réforme n'est pas impossible.

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Pour Thierry Meillat, avocat associé au sein du cabinet Hogan Lovells, "c'est une véritable question de fond. Selon la Constitution, "le droit de grève s'exerce dans le cadre des lois qui le règlementent", donc le droit de grève n'est pas absolu, on peut y mettre des aménagements dans le cadre de la loi. "C'est le cas déjà pour les préavis dans les transports publics qui ont été mis en place par la loi dans les années 2000 et le Conseil constitutionnel a validé", explique-t-il ce jeudi sur BFM Business.

"La difficulté est que le Conseil constitutionnel regarde si c'est proportionnel à d'autres principes comme celui de la continuité du service public. 'Est-ce que l'attaque portée à l'exercice du droit de grève avec un cadre spécifique se justifie par la continuité du service public?' Et là, c'est difficile de répondre, je ne pense pas que le Conseil irait jusqu'à accepter la proposition qui a été faite par ce sénateur", poursuit-il.

Un avis partagé par Emilie de Goys, avocate au sein du cabinet Desfilis: "Une telle proposition risque d’être censurée par le Conseil constitutionnel. Interdire la grève dans le secteur des transports pour assurer les départs en vacances scolaires risque d’être considéré comme une atteinte disproportionnée au droit de grève".

Mobiliser des volontaires, des retraités: oui, mais...

Plusieurs conditions sont également nécessaires pour les spécialistes du droit constitutionnel: un contexte de grèves chroniques et massives et donc une réforme qui s'inscrirait dans l'intérêt général et une proposition de réforme portée par le gouvernement.

"Le droit de grève doit être concilié avec d’autres droits de valeur constitutionnelle, tel que la continuité du service public, ainsi qu’avec la sauvegarde de l’ordre public et de l’intérêt général", confirme Emilie de Goys.

Clément Beaune, l'ancien ministre des Transports avait d'ailleurs laisser entendre que le gouvernement pourrait proposer l'instauration de "périodes préréservées" donc interdites à la grève, "d'un service minimum afin de maintenir une continuité des services de transport en temps de grève en augmentant les délais de préavis". Reste à savoir si le nouveau ministre, Patrice Vergriete, est sur la même ligne.

De son côté, Christian Estrosi, maire de Nice, appelle la SNCF à se constituer une réserve de personnel afin de pouvoir assurer un service continu même lors des mouvements de grève. Il propose ainsi de mobiliser d'anciens contrôleurs, d'autres personnels de la SNCF, voire des réservistes de l'armée, de la police ou de la gendarmerie.

"Ça me semble juridiquement difficile à mettre en pratique car il n'existe pas à ma connaissance de mécanismes qui permettent d'avoir recours aux retraités de la SNCF pour remplacer des salariés grévistes", note Thierry Meillat.

"Il faudrait un cadre législatif qui n'existe pas à ce jour, ça ne pourrait pas se faire autrement que sur la base du volontariat mais ça pose un gros problème d'organisation. Car il faudrait savoir à l'avance quand il y aura une grève pour prévoir comment des retraités pourraient venir remplacer des salariés grévistes", poursuit-il.

Droit de réquisition

"Faire venir des salariés retraités pour remplacer des grévistes risque de ne pas être validé non plus car il est interdit d’embaucher des personnes en intérim ou en contrat à durée déterminée pour remplacer les grévistes", ajoute Emilie de Goys.

Pour atténuer les effets de cette grève, la SNCF a fait appel à des volontaires (des cadres essentiellement) pour assurer des missions de contrôleurs à bord des trains après une formation d'une semaine.

Elle fait aussi appel à des retraités de la maison, non pas pour remplacer des grévistes, mais pour conduire des trains lors de certaines périodes en tension marquées par des pénuries de personnels.

Rappelons enfin qu'une disposition du Code général des collectivités territoriales (article L.2215-1) donne pouvoir au préfet de réquisitionner toute personne nécessaire au fonctionnement d’un service donné dans un certain nombre de cas. Ce qui limite l'exercice de la grève.

Le préfet peut ainsi procéder à des réquisitions pour assurer la continuité de "services essentiels" et pour assurer le maintien de services minima dans les secteurs où des d'ampleur et de longue durée pourraient provoquer une crise nationale aiguë.

Olivier Chicheportiche Journaliste BFM Business