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SNCF: salaires, recrutements, démissions… Le climat social reste tendu et menace les JO

La grève de Noël a été évitée mais le feu couve à la SNCF. Salaires de base jugés trop bas, recours à des salariés retraités pour boucher les trous, cheminots qui partent à la concurrence… L'entreprise publique devra encore négocier et lâcher du lest pour éviter un mouvement social puissant pendant les Jeux olympiques.

Le ressentiment est toujours bien présent à la SNCF. Si les syndicats et les salariés ont renoncé à faire grève pour les vacances de Noël, l'année 2024 devrait être placée sous le signe des tensions sociales alors que l'entreprise publique se démène pour assurer un service renforcé pour les Jeux olympiques de Paris.

Les prochaines augmentations de salaires proposées lors des dernières négociations annuelles ont été ratifiées par deux syndicats sur quatre (Unsa et CFDT) et la direction a décidé, comme elle en a le droit, d'appliquer cet accord qui prévoit notamment une augmentation générale des salaires de 1,8% et la revalorisation de 4% des nombreuses primes qui complètent la rémunération d'un cheminot.

Les indiscrets : La menace de grève d'un syndicat de la SNCF s'éloigne - 21/11
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Mais la colère couve toujours, un des principaux griefs étant que ces primes, certes nombreuses (de traction, de nuit, du dimanche…), sont ajoutées à un salaire de base jugé insuffisant.

"Il n'est pas surprenant que l'entreprise connaisse des difficultés de recrutement"

Traduction, certains cheminots dénoncent un salaire fixe hors primes sur 12 mois inférieur au Smic (1.747 euros brut). Et quand la SNCF affirme que, désormais, plus aucun salarié n'est en dessous du Smic majoré de 10%, il faut comprendre que cela couvre le salaire de base et les primes.

Ainsi, selon nos informations, un conducteur de train débutant perçoit au minimum 24.684 euros brut par an pour un temps complet, primes comprises (chiffre au 1er janvier 2023). Si plus de primes sont obtenues, le salaire total sera supérieur. A l'inverse, si le cheminot ne génère pas assez de primes pour atteindre ce seuil minimum, la SNCF compense la différence.

Le traitement de base (hors primes donc) tourne ainsi autour de 21.500 brut par an, soit 1.791 euros par mois. Ce salaire augmente ensuite tous les trois ans.

Autant d'éléments qui refroidissent les ambitions, alors que la SNCF cherche à recruter en masse.

"En proposant ce traitement de base il n'est pas surprenant que l'entreprise connaisse des difficultés de recrutement", nous souffle un conducteur syndiqué qui souhaite garder l'anonymat.

La fin des recrutements "au statut" cheminot avec ses privilèges associés amplifie évidemment ce phénomène auprès des candidats intéressés.

Les syndicats mettent d'ailleurs régulièrement en avant les salaires supérieurs des opérateurs ferroviaires européens, même si les comparaisons sont délicates, notamment en termes de temps de travail, de primes, etc.

Interrogé, Trenitalia a refusé de communiquer sur les salaires de ses conducteurs mais si l'on se réfère au site Glassdoor, le salaire moyen de base y varie de 25 à 33.000 euros par an.

En Allemagne, c'est bien plus élevé, un conducteur de la Deutsche Bahn gagne entre 42.000 et 51.000 euros par an, en fonction de son expérience, primes incluses, soit entre 3.500 et 4.250 euros bruts mensuels (chiffres de 2019).

La SNCF conteste une hausse des démissions

Pourtant, officiellement, la campagne de recrutement de la SNCF remplit ses objectifs. Interrogé, l'opérateur affirme que la trajectoire est bonne.

"Nous tenons et dépassons même nos objectifs ambitieux de recrutements: nous sommes passés de 1.600 recrutements en 2021 à 3.200 en 2022 et nous avons atteint dès septembre 2023 notre objectif annuel de l’année soit 3.500 recrutements."

Officieusement, la SNCF peinerait en réalité à recruter et surtout à retenir ses salariés puisqu'elle ferait face à des démissions nombreuses, dynamisées par l'arrivée d'acteurs européens sur le marché français (comme Trenitalia) qui, selon les syndicats, payent mieux en France que la SNCF.

Jean-Christophe Guary a passé le cap après 26 ans à la SNCF et a rejoint Trenitalia en 2017 quand le groupe exploitait la marque Thello depuis le Sud de la France (il est aujourd'hui retraité).

"Longtemps, j'ai aimé et j'ai été fier de travailler à la SNCF mais l'entreprise a changé avec des conditions de travail déplorables, une pression hiérarchique délétère et des évolutions de carrière sans intérêt", nous explique-t-il.

"Chez Trenitalia, j'ai retrouvé de bonnes conditions de travail, plus de considération, une meilleure ambiance. Par exemple, à la SNCF, un conducteur est un ouvrier qualifié, chez Trenitalia, on est agent de maîtrise. On touche un salaire fixe plus élevé même si les primes sont plus faibles", poursuit-il.

Difficile néanmoins de quantifier ces démissions, les concurrents de la SNCF ne souhaitent pas donner d'informations concernant le nombre de conducteurs venant des rangs de l'opérateur public. "J'ai vu pas mal de pré-retraités de la SNCF rejoindre Trenitalia", précise néanmoins Jean-Christophe Guary.

La SNCF conteste une hausse des démissions et souligne que le "niveau de départs (est) stable depuis 2021 et les démissions ne représentent chaque année qu’environ 1% de nos effectifs".

L'entreprise emploie 150.000 personnes ce qui représente tout de même 1.500 départs par an.

"Les JO restent très compromis"

Preuve de ces difficultés, selon nos informations, la direction vient d'annoncer en interne le recrutement de cheminots retraités qui toucheront leur ancien salaire de fin de carrière agrémenté d'une prime mensuelle très confortable.

La conséquence d'un "manque d'effectif général faute d'anticipation et de candidats au recrutement et il faut également montrer que ça roule pour les JO", estime le cheminot souhaitant garder l'anonymat.

Là encore, la SNCF conteste et précise que "cela nous arrive parfois (nous l’avons fait par exemple lors des tensions sur les effectifs en Île-de-France), cela n’a rien à voir avec les JO".

Reste que la direction cherche à éteindre l'incendie. Elle a formulé des mesures encore non communiquées publiquement pour inciter les salariés à être massivement présents pendant les Jeux olympiques. Il s'agirait d'une nouvelle prime de présence quotidienne. Pour le moment, l'accueil est glacial.

Ce conducteur affirme que la direction "sucre tout simplement les congés des agents et cherche des dérogations au Code du travail concernant les repos hebdomadaires. Si les agents et syndicats ont décidé d'épargner Noël, les JO restent très compromis, les agents épargnent des congés payés sur les CET (compte épargne temps) pour financer un mouvement extrêmement dur".

Absences en dehors de tout préavis

Les syndicats pourraient d'ailleurs être dépassés comme lors du mouvement très massif d'un collectif de chefs de bord, en décembre 2022, qui a provoqué l'annulation de très nombreux trains.

"Conscients que les syndicats prendront leur chèque pour que tout se passe bien, les agents semblent prêts à assumer des absences irrégulières en dehors de tout préavis", ajoute le conducteur contacté par BFM Business.

Les syndicats sont donc en position de force. Fin novembre, l'intersyndicale (CFDT, Unsa, CGT et Sud-Rail) s'est mise d'accord pour faire pression sur la direction pour rouvrir des négociations salariale début 2024. La CGT-Cheminots mise ainsi sur une pression unitaire. Et il y a fort à parier qu'elle sera très forte sur Philippe Bru, le nouveau DRH de l'entreprise.

Olivier Chicheportiche Journaliste BFM Business