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Grève SNCF: les cheminots ont-ils vraiment bénéficié d'importantes augmentations salariales?

En réaction au massif mouvement des contrôleurs ce week-end, la direction de la SNCF et le ministre des Transports mettent en avant de substantielles augmentations de salaires consenties depuis deux ans. Mais à la SNCF, rien n'est simple.

La nouvelle grève à la SNCF suscite comme souvent une bataille de chiffres sur la rémunération des cheminots.

Pour les syndicats, conducteurs, contrôleurs... ne sont pas assez payés compte tenu de leurs conditions de travail et des bénéfices de l'entreprise, alors que direction et gouvernement mettent en avant une population de salariés qui ont déjà obtenu beaucoup.

Invité ce mercredi 15 février de BFMTV, le nouveau ministre délégué aux Transports Patrice Vergriete se disait ainsi "un peu surpris" de cette grève "car des primes et des augmentations de salaires qui feraient envie à beaucoup de concitoyens ont été actées" par la direction.

Et d'estimer que la catégorie de salariés "qui se mobilise ce week-end en a largement bénéficié avec presque 20% de hausse de salaire en deux ans".

Même discours de la part de la SNCF. Jean-Pierre Farandou, PDG du groupe, le répète sur tous les plateaux de télévision: "Pour les contrôleurs comme pour les autres cheminots, la rémunération moyenne mensuelle a augmenté de 20% en trois ans, ce qui est beaucoup plus que l’inflation" expliquait-il sur RTL ce mardi.

Des salaires moyens qui peuvent paraître élevés mais...

Et de mettre en avant que plus aucun salarié du groupe ne gagne moins du Smic plus 10%.

Sans oublier pour la catégorie spécifique des contrôleurs, deux primes de 400 euros et l'augmentation d'une prime de résidence de 50 euros par mois consenties lors des dernières négociations avec les syndicats, plus de promotions individuelles et des embauches.

Et force est de constater que le salaire d'un contrôleur est en moyenne de 2.500 euros net primes comprises en milieu de carrière et de 3.500 euros net primes comprises en fin de carrière, à bord de TGV. Des niveaux qui peuvent être perçus comme confortables et supérieurs à ce qui se pratiquent chez certains voisins européens.

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Lechypre d’affaires : SNCF, combien gagne un contrôleur - 15/02
3:09

Cette bataille de chiffres entre direction et syndicats n'est pas nouvelle. Elle est néanmoins difficile à trancher du fait des spécificités de la construction complexe des salaires à la SNCF.

D'abord, il faut préciser que sur trois ans, l'augmentation de la rémunération moyenne n'a pas été de 20 mais de 17%. C'est la SNCF elle-même qui l'expliquait en novembre dernier après les dernières NAO. "Sur trois ans, entre 2022 et 2024, les cheminotes et cheminots auront bénéficié d’une augmentation inédite de leur rémunération, de 17% en moyenne et jusqu’à 21% pour les premiers niveaux de salaires alors que dans le même temps, l'inflation cumulée s'est élevée à 13%", détaillait Jean-Pierre Farandou.

Concernant les contrôleurs, le PDG affirme "qu’ils ont déjà eu 500 euros d’augmentation en deux ans".

La plupart des primes ne sont pas prises en compte pour la retraite

Mais en réalité, c'est bien la décomposition du salaire qui provoque la grogne des cheminots en général, qu'ils soient conducteurs ou contrôleurs.

À la SNCF, la rémunération se décompose avec un salaire de base, assez bas, parfois même inférieur au Smic (entre 1.700 et 1.800 euros brut), et une multitude de primes versées en fonction de sa catégorie, de ses missions, de l'organisation du travail: primes de traction, de nuit, du dimanche, de travail, de résidence… Il y en a des dizaines.

Exemple avec un conducteur débutant. Il perçoit au minimum 24.684 euros brut par an pour un temps complet, primes comprises (chiffre au 1er janvier 2023). Le traitement de base (hors primes donc) tourne ainsi autour de 21.500 euros brut par an, soit 1.791 euros par mois. Ce salaire augmente ensuite tous les trois ans.

Les cheminots dénoncent régulièrement cette construction. D'abord parce que ces primes sont très variables. Un cheminot en arrêt maladie peut ainsi perdre 40% de son salaire du fait de la non application de ces primes.

Ensuite, certaines de ces primes sont ponctuelles. Ainsi en 2023, lorsque la SNCF annonce une augmentation globale de 4,6% cela inclut plusieurs primes de pouvoir d'achat qui n'ont pas été reconduites en 2024. Sur le salaire de base, l'augmentation a été de 1,8%.

Mais surtout parce que ces primes ne sont pas prises en compte dans les cotisations retraite et donc dans le calcul des pensions lors de la fin de carrière. C'est le point central des revendications actuelles des contrôleurs.

500 euros de plus par mois, impensable pour la direction

Pour y remédier, ils demandent l'augmentation de la prime de travail qui est la seule prime à être prise en compte dans ce calcul. Après avoir exigé 500 euros brut par mois en plus, Sud-Rail, qui est le porte-voix du Collectif national des contrôleurs, demande désormais entre 150 à 200 euros supplémentaires.

Impensable pour la direction qui met une nouvelle fois en avant les deux primes de 400 euros, un intéressement 2024 à 1.200 euros et l'augmentation d'une indemnité.

"Plus de 80% des ASCT (Agents du service commercial train, notamment les contrôleurs, NDLR) vont gagner 50 euros par mois de plus, soit 600 euros par an, et ce, de manière pérenne", écrit Alain Krakovitch, directeur des TGV-Intercités dans un courrier interne.

La SNCF rappelle également que lors de la grande grève des contrôleurs en décembre 2022, les contrôleurs avaient obtenu 60 euros brut mensuels de plus sur cette prime de travail.

Un salaire justifié par les conditions de travail

Mais pour Sud-Rail, l'augmentation de la prime de travail est un prérequis, tout comme l'augmentation du salaire de base. "En proposant ce traitement de base il n'est pas surprenant que l'entreprise connaisse des difficultés de recrutement", nous soufflait en décembre dernier un conducteur syndiqué qui souhaite garder l'anonymat.

Les recrutements sont également au cœur des revendications des cheminots. Concernant les contrôleurs, la SNCF promet 200 embauches rapides, notamment pour tenir l'objectif de deux chefs de bord par TGV. Problème, si la SNCF parvient à massivement recruter, à renfort de grandes opérations de communication, elle peine à retenir ses nouvelles recrues.

"Dans ces conditions, les candidats quittent les formations voire leur emploi dès la réception des premiers bulletins de paie", explique la CGT Cheminots.

Les conducteurs et contrôleurs insistent d'ailleurs sur ce point. Il est injuste selon eux de se limiter aux chiffres des salaires net, qui peuvent paraître élevés, notamment en fin de carrière.

Les conditions de travail (horaires décalés, de nuit, de week-end, vacances décalées, absence du domicile...), la hausse de la pénibilité, du nombre de missions, et des responsabilités à bord des trains, autant de points que certains qualifient de "maltraitance" justifient selon eux ces exigences salariales.

Olivier Chicheportiche Journaliste BFM Business