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"Si ça continue, ça lâche": pourquoi les figures de la lutte contre le CPE croient au retrait de la réforme des retraites

Des étudiants réunis contre le CPE dans une manifestation à Rennes le 29 mars 2006

Des étudiants réunis contre le CPE dans une manifestation à Rennes le 29 mars 2006 - ANDRE DURAND / AFP

D'anciens leaders de la contestation syndicale nous racontent leurs souvenirs de la mobilisation contre le Contrat première embauche et veulent croire qu'Emmanuel Macron finira par retirer sa réforme des retraites.

Un 49.3, une mobilisation qui dure dans le temps, la jeunesse qui descend dans la rue, un gouvernement déterminé à ne rien lâcher et qui finit par retirer sa réforme. L'histoire du Contrat première embauche a de quoi donner de l'espoir aux opposants à la réforme des retraites, d'autant plus que c'était lors de la dernière semaine de mars 2006 que le mouvement avait basculé.

17 ans plus tard, BFMTV.com a échangé avec plusieurs figures des anti-CPE qui voient de nombreuses similitudes avec l'opposition à la réforme des retraites.

Une jeunesse déterminée

"Des jeunes dans la rue, c'est l'angoisse de tous les gouvernements", décrypte Razzy Hammadi, à l'époque président des Jeunes socialistes, en pointe contre une réforme incarnée par le Premier ministre Dominique de Villepin.

"C'était le cas en 2006 et ça n'a pas changé. Les étudiants et les lycéens ne lâchent que quand ils ont obtenu ce qu'ils veulent", ajoute celui qui a ensuite été député en 2012 et 2017.

Face au chômage de masse des jeunes, le locataire de Matignon avait décidé de lancer le CPE, réservé aux moins de 26 ans, qui aurait permis une période d'essai de 2 ans au lieu de 8 mois maximum avec la possibilité de licenciement sans motif pendant cette période. Avec un objectif: convaincre les entreprises d'embaucher largement dans les rangs de la jeunesse.

Malgré une majorité absolue, la droite n'était pas parvenue pas à faire adopter sa réforme et avait dégainé le 49.3 à l'Assemblée nationale. Si la mobilisation n'avait pas immédiatement pris dans la rue, elle avait fini par s'accélérer fin mars alors que le texte était déjà officiellement promulgué.

Des étudiants qui prennent le relais des salariés

Difficile de ne pas faire le parallèle aujourd'hui avec une réforme très contestée et une jeunesse mobilisée depuis le retour au 49.3 et au rejet à seulement 9 voix près d'une motion de censure pour renverser Élisabeth Borne. Si les salariés ont battu le pavé dès le mois de janvier, les jeunes commencent désormais à massifier le mouvement, avec des dizaines d'établissements de l'enseignement supérieur bloqués.

"En 2006, la jeunesse avait pris le relais des salariés qui avaient d'abord commencé à descendre dans la rue pour le lancement d'un contrat proche du CPE pour tous. Et quand ça s'est essoufflé, les étudiants ont pris le relais", se souvient encore Davy Castel, l'un des visages de la contestation étudiante dans les Hauts-de-France, désormais universitaire à Amiens.

Avec un élément qui pèse également dans la balance pour motiver les lycéens de 2023: les épreuves de spécialité du baccalauréat sont désormais terminées. La prochaine épreuve écrite aura désormais lieu le 14 juin tandis que les beaux jours reviennent également.

Un gouvernement qui ne veut rien lâcher

Autre point commun du contexte actuel avec le CPE: celle de la détermination affichée par le gouvernement. Dominique de Villepin, qui visait alors l'Élysée sur fond de compétition interne avec le ministre de l'Intérieur Nicolas Sarkozy, voulait à tout prix faire aboutir sa réforme.

Accélération du calendrier législatif, dialogue rompu avec les organisations étudiantes, saisine en urgence du Conseil constitutionnel: tous les leviers avaient été activés pour tenter de couper court à la contestation.

Preuve d'une certaine fébrilité, le locataire de Matignon multipliait même les lapsus. Il avait ainsi évoqué sa "démission" à la tribune de l'Assemblée nationale plutôt que la "décision" des Sages concernant l'avenir du CPE.

"C'est sûr qu'on pense forcément un peu aux déclarations d'Élisabeth Borne et à la multiplication des outils de la procédure législative qui pose question quand on a envie de faire le lien avec 2006", souligne Karl Stoeckel, ex-président de l'Union nationale lycéenne (désormais La voix lycéenne).

La fébrilité de l'exécutif

La Première ministre n'a ainsi pas hésité à afficher sa confiance ce samedi, jugeant avoir fait "ce que les Français attendaient de nous", en évoquant des "compromis" avec la droite. La défense est pour le moins étonnante alors que de sondages en sondages, le rejet de la réforme est constant. Elle a également qualifié de "victoire" le rejet de la motion de censure de très peu.

C'est que le gouvernement a lui aussi voulu aller très vite sur l'examen du texte avec l'article 47.1, une première dans l'histoire de la Ve République, couplé au vote bloqué au Sénat, le tout sur fond d'absence de discussion avec l'intersyndicale. Les centrales seront cependant reçues la semaine prochaine à Matignon.

"On voit que le gouvernement fonce, qu'il est déterminé à ne pas prendre de temps quand un projet de loi suscite autant de contestation. Mais ça montre aussi une certaine fébrilité. Quand vous avez confiance, vous échangez au lieu de mettre le feu aux poudres", pense Razzy Hammadi en faisant le lien entre 2006 et 2023.

Une détermination, prémices d'un retrait?

À l’époque, cette détermination affichée avait fini par s'effilocher face à la pression de la rue contre le CPE: au lendemain de la validation de la loi par le Conseil constitutionnel, au grand soulagement de Dominique de Villepin, Jacques Chirac prenait finalement la parole pour annoncer que la loi ne serait pas appliquée.

"Ça montre qu'on peut être arc-bouté sur une loi le lundi et lâcher le mercredi", ajoute encore l'ancien leader étudiant Davy Castel qui y voit une raison de continuer la mobilisation contre la réforme des retraites.

Enfin, la montée des tensions en marge des manifestations, émaillées de dizaines d'interpellations ces derniers jours, fait encore monter la pression sur les forces de l'ordre.

"Plus la contestation dure et plus elle se radicalise"

Lors du mouvement pour le retrait du CPE, les derniers jours de grève furent marqués par des échauffourées. De quoi inquiéter fortement le gouvernement, moins d'un an après les émeutes de banlieue, poussant finalement Jacques Chirac à retirer la réforme.

"Plus la contestation dure et plus elle se radicalise. Et à partir de là, il y a la question de la limite des forces de l'ordre. À un moment, elles disent stop quand elles n'en peuvent plus et le gouvernement le sait", avance le socialiste Razzy Hammadi.

"On voit bien que la répression se durcit avec un niveau de mobilisation qui monte et qui est inversement proportionnel à la capacité du gouvernement de convaincre", remarque encore l'ancienne figure de la contestation Karl Stoeckel.

Si le contexte social est marqué par des différences fortes, entre l'inflation au plus haut aujourd'hui et quasiment inexistante en 2006, et l'irruption de la crise des Gilets jaunes en 2018, les ex de la lutte contre le CPE sont toutefois très optimistes.

"Si la mobilisation continue, le gouvernement lâche: c'est obligatoire", conlut Razzy Hammadi.

Une nouvelle journée de mobilisation aura lieu le 6 avril prochain.

Marie-Pierre Bourgeois