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"Comme bloqués": "le manque de perspectives" des salariés au Smic tout au long de leur carrière

Alors que l'inflation continue de rogner sur le pouvoir d'achat des Français, la conférence sociale sur les bas salaires et les carrières, promise par Emmanuel Macron, a lieu ce lundi. Une ouvrière, une ambulancière et une éducatrice de jeunes enfants confient à BFMTV.com leur frustration, alors qu'elles voient le montant sur leur fiche de paie rester le même à mesure que les années passent.

Au sein de son usine de foie gras basée dans le Lot, Marie-Françoise Picavet fait partie des "vieux de la vieille". À 60 ans, cette ouvrière a passé plus de trois décennies sur les lignes de production de cette société d'agroalimentaire. Pourtant en 33 ans de carrière, elle n'est allée réclamer une augmentation de salaire qu'à trois reprises. À chaque fois, elle s'est vue opposer une fin de non-recevoir.

Ainsi à quelques mois de la retraite, la sexagénaire gagne encore le Smic, soit environ 1380 euros nets mensuels, malgré son ancienneté. "Loin d'être une exception dans ce milieu", reconnaît cette femme, résignée. C'est notamment une des raisons pour laquelle fin août, Emmanuel Macron avait promis l'organisation d'"une conférence sociale sur les bas salaires" au Conseil économique social et environnemental (Cese) de Paris ce lundi 16 octobre.

Élisabeth Borne a alors convié syndicats et patronat afin d'aborder plusieurs questions liées aux bas salaires comme "les minimas conventionnels", les classifications et déroulés de carrière", mais aussi le "tassement des rémunérations".

"Avec les années, on se fait une raison"

À l'usine, "on est tous logés à la même enseigne niveau salaires", confie encore la sexagnaire. "On subit le truc, et il n'y a pas de porte de sortie. Et quand on demande à voir les supérieurs, je peux vous dire qu'on est très mal accueillis... En 33 ans, j'y suis allée trois fois en sachant que c'était perdu d'avance. À chaque fois, ils m'ont sorti l'argument: 'si on augmente l'un d'entre vous, on devra augmenter les autres et ça n'est pas possible'".

"C'est tout de même vexant car notre expérience n'est pas du tout reconnue. On voit des petits jeunes arriver et gagner le même salaire que nous. Mais avec les années, on se fait une raison", expose la sexagénaire.

Vivant dans une petite ville, Marie-Françoise n'a pas vraiment l'embarras du choix. "Il y a une entreprise concurrente, mais on sait qu'ils vivent la même chose que nous". À sa séparation avec son conjoint il y a une dizaine d'années, elle a dû complèter son salaire avec "des petits boulots d'appoint", des "bricoles" qui lui permettaient d'arrondir les fins de mois. C'est-à-dire garder les animaux de ses voisins, comme les brebis de son voisin en échange de bois gratuit pour l'hiver.

"Ni marge de manoeuvre, ni perspective d'évolution"

Le salaire de Véronique Consolo, lui aussi, est indexé sur le Smic depuis 15 ans. Cette femme de 54 ans, ambulancière de nuit pour une société privée du Lot-et-Garonne, se sent "complètement bloquée" avec ses 1380 euros mensuels depuis de longues années. "Je n'ai ni marge de manoeuvre, ni perspective d'évolution. Heureusement qu'il y a les hausses nationales du Smic de temps en temps. C'est tout ce sur quoi je peux compter".

Avec les hausses successives du Smic, le salaire minimum est en effet passé de 10,25 euros brut de l'heure en septembre 2021 à 11,27 euros le 1er janvier de cette année. Il s'agit là d'un minimum légal.

Pourtant, le rythme de travail n'a fait que s'accélèrer au fil des années pour cette ambulancière, qui a vu le nombre de ses sollicitations exploser depuis la crise Covid. "On est très exposés, et c'est de plus en plus soutenu pour nous. On subit indirectement le manque de médecins, on fait face à la maladie, on se retrouve à gérer des situations gravissimes... mais ce n'est abolument pas reconnu". "On a beau être passionnés par notre métier, ça génère beaucoup de démotivation, de la frustration", déplore la quinquagénaire.

Comme Marie-Françoise Picavet, Véronique Consolo a essayé de faire évoluer sa situation, en vain. À trois reprises, elle a envoyé des courriers recommandés à son employeur afin de lui demander une revalorisation de salaire, expliquant que sa charge de travail allait crescendo.

"Ça a été un non catégorique. On nous a dit que si on voulait mieux, on devait aller voir ailleurs. Or il n'y a que trois entreprises de ce type dans le coin", explique encore cette femme, aujourd'hui en arrêt maladie pour des problèmes de dos, liés selon elle à la pénibilité de son travail.

Une impasse professionnelle et salariale

L'impasse est quasimment la même pour Laëtitia Charfi, ATSEM (Agent territorial spécialisé des écoles maternelles) pour une collectivité des Hauts-de-Seine depuis le début des années 2000. Cette femme de 44 ans, qui bénéficie du statut de fonctionnaire de catégorie C, gagne quasiment le même salaire mensuel que lorsqu'elle a été embauchée à l'âge de 24 ans.

"J'étais à 1300 euros net en début de carrière et ça me fait mal de dire que 20 ans après, je suis à 1450 euros net mensuels", regrette cette mère de trois enfants, qui explique s'être lancée dans cette voie professionnelle "par amour du métier". "Aujourd'hui quand je compare à des gens qui travaillent dans le privé, j'en viens à me dire que j'aurais dû me lancer dans un tout autre plan de carrière'..."

"Les sourires des enfants dont on s'occupe, c'est bien. Mais malheureusement ce n'est pas ça qui nous nourrit à la fin de la journée", confie la quadragénaire.

Année après année, Laëtitia Charfi voit son salaire stagner, et se rapprocher petit à petit du Smic. "Je trouve ça très bien que le Smic soit revalorisé, mais nous on reste au même stade et on voit bien qu'on s'en rapproche progressivement. Avec l'inflation ça devient de plus en plus difficile de joindre les deux bouts avec un salaire aussi bas".

Jeanne Bulant Journaliste BFMTV