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Interview

Réglementation européenne des cryptos: Aurore Lalucq veut "les mêmes standards que la banque"

Alors que de nouveaux débats sur la réglementation des cryptomonnaies s'ouvriront la semaine prochaine, la députée européenne Aurore Lalucq a accordé un entretien à BFM Crypto.

BFM Crypto : En tant que membre de la commission des affaires économiques et monétaires au Parlement européen, que pensez-vous de l’encadrement des cryptomonnaies au niveau français?

Aurore Lalucq : L’encadrement des cryptoactifs - j’insiste sur le mot d’actifs, car ce sont des produits financiers et non des monnaies - au niveau mondial est quasi inexistant. La France fait partie des premiers pays à avoir travaillé dans le domaine, en instaurant notamment le régime des PSAN (Prestataires de services sur actifs numériques). Néanmoins c’est bien insuffisant: les acteurs des cryptos n’ont à ce jour pas à répondre aux mêmes obligations que celles de la finance dite traditionnelle.

Pouvez-vous nous donner un exemple ?

Il existe par exemple une ambiguïté autour de l’encadrement des fameux PSAN, qui peuvent être soumis à un enregistrement et/ou un agrément. Le problème c’est que seul l’agrément est véritablement contraignant et impose de véritables normes en matière de transparence et de bonne gouvernance. Mais il reste optionnel. Un double standard qui rend illisible et donc inefficace la procédure actuelle de certification des plateformes crypto. Si l’enregistrement est simple à obtenir, l’agrément est plus contraignant à avoir. Les acteurs jouent d’ailleurs largement sur cette ambiguïté en expliquant qu’ils sont enregistrés auprès de l’AMF alors que cela n’a quasiment aucune conséquences pour eux et leurs pratiques.

Nous avons légiféré au niveau européen pour que la législation se rapproche de l’agrément. L’idée était d’avoir un cadre réglementaire qui soit le même pour tout le monde et qu’on ait un système qui se rapproche de l’agrément dans le cadre de la réglementation Mica (le projet de règlement européen "Markets in Crypto-Assets" actuellement en discussion, NDLR). Nous voulons proposer une réglementation solide sur un secteur qui n’a à ce jour quasiment aucune obligation. Par exemple, quand une personne se rend chez son banquier, ce dernier doit respecter certains critères, cela n’existe pas toujours du côté des plateformes d’échanges de crypto-actifs.

Quelles sont les autres composantes de la réglementation Mica?

Mica vise à mieux définir et donc à mieux encadrer les cryptoactifs à l’échelle européenne, car il y a aujourd’hui peu de réglementation et quasiment pas de surveillance. Nous souhaitons uniformiser ces règles au niveau européen afin de mieux protéger les consommateurs et les utilisateurs. Parmi ces avancées, la classification des actifs et leur supervision, l’obligation faite aux prestataires de services d’obtenir un agrément, de soumettre leurs cadres supérieurs à des tests de compétences et d’honorabilité, la question des fonds propres est aussi abordée.

De la même manière, il s’agit d’appliquer aux cryptoactifs les mêmes standards que ceux exigés dans le milieu de la banque et de la finance. Par exemple, il n’y a aucune obligation dans le secteur des cryptos sur des manipulations de marché, comme c’est le cas dans la finance. Mica apporte des règles afin d’éviter un certain nombre de manipulations de marché et d’arnaque. Autre exemple, dans la finance traditionnelle, un banquier doit délivrer un produit financier au meilleur prix: ce n’est pas le cas dans le secteur des cryptomonnaies et Mica cherche à poser les bases d’une meilleure protection des utilisateurs.

La réglementation ne va-t-elle pas à l’encontre de la philosophie du secteur qui se veut décentralisé? Pourquoi appliquer les mêmes règles qu’au secteur traditionnel?

Parce qu’un secteur financier, décentralisé ou pas, reste un secteur financier et doit répondre à un certain nombre de règles, tout simplement. L’enjeu est de faire rentrer les cryptoactifs dans des règles normales, qui s’appliquent aux règles de la banque et de la finance. En outre, le caractère “anti système” de la crypto sphère sert souvent de prétexte à masquer des intérêts bien réels. Par ailleurs, quand on est sur un marché qui est valorisé autour de 3.000 milliards et qu’il existe de plus en plus de ponts avec la finance traditionnelle, ce n’est pas aux acteurs d’un marché de définir leurs propres règles.

Nous estimons qu’il y a des risques d’instabilité financière car jusqu’à présent le secteur des cryptoactifs a pu se développer sans aucune règle à suivre. Donc oui, avec la multiplication des réglementations, des produits dangereux pour le consommateur risquent de disparaître, des acteurs risquent de disparaître, comme c’est toujours le cas lorsque l’on réglemente un secteur et comme cela a pu être le cas dans la finance traditionnelle.

Un autre sujet sensible de Mica portait sur les débats autour du minage de bitcoin, avec la méthode de validation des transactions "proof of work" ou PoW qui est dans le viseur. Quelle position avez-vous défendue?

Je suis opposée au PoW pour des raisons environnementales. En outre, nous sommes nombreux à préférer la méthode du "proof of stake" car nous considérons la méthode "proof of work" comme bien trop polluante. Avec Mica, il y a eu une forme de crispation du secteur qui s’inquiétait pour l’un de ses produits phares dépendant du PoW, le bitcoin. Mais Mica rappelle aujourd’hui que la technologie PoW est très polluante. Par la suite, il sera urgent d’évaluer les conséquences environnementales de cette méthode de minage et d’en tirer les conséquences.

Mica va rentrer en trilogue (négociations tripartites au sein de l'Union européenne entre le Parlement, le Conseil et la Commission) autour de la mi-mai et il y a un risque que les négociations n’aillent pas dans le bon sens sur les questions environnementales. En revanche, du côté des banquiers centraux et de certains régulateurs, le sujet est pris très au sérieux. Il sera donc nécessaire de revenir sur ces questions essentielles, quels que soient les résultats du trilogue.

Quelles mesures avez-vous portées dans la directive TFR (pour "Transfer of Funds Regulation" qui vise à appliquer des mesures contre le blanchiment d'argent), en tant que shadow rapportrice sur ce sujet?

Le paquet anti-blanchiment d’argent, dans lequel on trouve la directive sur les transferts de fonds, a été rouvert afin d’y inclure la question des cryptoactifs. J’ai défendu dans ce cadre la mise en place d’une identification des utilisateurs (le KYC ou "know your consumer") dès zéro euro. Pourquoi un tel seuil? Parce que la spécificité de la techno crypto fait qu’elle est prompte à être utilisée dans le cadre de smurfing, c’est-à-dire le fait de fragmenter des petites sommes et de les envoyer vers un destinataire de manière rapide et instantanée, ce qui n’est pas possible pour une banque. Il ne s’agit pas de pointer du doigt les cryptoactifs, mais de protéger les gens. Mon autre demande était que les plateformes de crypto demandent également une identification quand elles opèrent des transaction avec des portefeuilles non hébergés (unhosted wallets), dont aujourd’hui on ne sait rien, sorte de trous noirs de l’environnement crypto.

Comment ces sujets seront-ils acceuillis lors du trilogue sur le TFR du 28 avril?

Ces mesures sont décriées par certains. J’ai bon espoir que chacun sera responsable et que l’absence de seuil pour les KYC sera retenue en trilogue. En revanche, en raison de la pression de l’industrie des cryptos, je doute que l’on réussisse à avoir gain de cause sur la question des unhosted wallet.

Qu’avez-vous pensé de la lettre de l’industrie des crypto-monnaies alertant sur les projets de réglementation du secteur? Le secteur pointe notamment du doigt la question du seuil à partir duquel les transferts de crypto-actifs doivent être accompagnés de renseignements sur les sources et les bénéficiaires du virement.

Sur le GAFI (groupe d'action financière, un organisme intergouvernemental qui regroupe une quarantaine de pays membres et établit des normes internationales sur le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme, NDLR), la directive européenne proposait au début un seuil à 1000 euros comme celui des banques. Or, c’est le Conseil qui a proposé un seuil à zéro, une proposition que j’ai défendue et qui a été retenue et votée en commission ECON (commission des affaires économiques et monétaires, NDLR) au Parlement européen. Il semble donc y avoir une majorité sur ce point. Par ailleurs, la réglementation européenne n’entend pas tuer la finance décentralisée mais simplement la faire rentrer dans l’État de droit. Qui peut sérieusement être contre cela?

Quel regard portez-vous sur les autres projets de réglementation?

Aux Etats-Unis, il y a des velléités de réglementations. Elles pourraient être plus fortes qu’en Europe. Le FMI n’arrête pas d’alerter sur le lien entre finance traditionnelle et les cryptosactifs. Aux Etats-Unis, le régulateur et le superviseur peuvent être très durs. En Europe, nous avançons beaucoup plus vite que les Etats-Unis, et c’est tant mieux. Cette réglementation européenne est un très bon début, il faudrait en faire une évaluation pour voir, dans un second temps, quels sont les manques. De surcroît, je pense qu’il y a une ligne directrice dans le domaine financier: “mêmes services, mêmes risques, mêmes règles”. Je pense qu’il faut rouvrir d’autres directives européennes pour y intégrer la question des crypto actifs.

Quels sont vos prochains dossiers en cours?

Nous allons travailler prochainement sur le lien entre les nouvelles technologies et la fiscalité, notamment sur la façon dont les cryptoactifs et la blockchain posent de nouveaux défis dans le domaine fiscal, comment la blockchain peut être utile pour lutter contre l’évasion et la fraude fiscale, mais aussi comment les cryptos peuvent être utilisées dans le domaine de la fraude et l’évasion fiscale.

Pauline Armandet