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TOUT COMPRENDRE - Que va-t-il se passer après The Merge d'Ethereum?

L'évènement, qui devrait avoir lieu entre le 13 et le 15 septembre, est fortement attendu par l'écosystème. En quoi consiste-t-il? Quelles sont les changements à prévoir? BFM Crypto fait le point.

Rien ne sert de courir, il faut partir à point. Cela fait un moment que l’on entend parler de "The Merge", l’évènement de la blockchain Ethereum. Il consiste à passer pour la validation des transactions et le minage de l'ehter d’un système de "proof of work" (preuve de travail) à celui de "proof of stake" (preuve d’enjeu). Après de multiples tests par les développeurs de la blockchain depuis décembre 2020, sa transition officielle devrait avoir lieu entre le 13 et le 15 septembre, comme l'a tweeté ce mardi le fondateur de la blockchain Ethereum, Vitalik Buterin. Dès lors, de nombreuses questions se posent: quels seront les changements à J+1 et sur le long terme? BFM Crypto fait le point.

  • En quoi consiste The Merge?

Les cryptomonnaies (comme le bitcoin, l'ether etc.) ne sortent pas d'un chapeau de magicien. Elles circulent sur des blockchains qui utilisent des méthodes différentes de fonctionnement pour valider des transactions. Il existe à ce jour deux principaux modes de fonctionnement pour les blockchains: la "proof of work" (PoW ou preuve de travail -aujourd'hui notamment utilisée par les blockchains Bitcoin et Ethereum) et la "proof of stake" (PoS ou preuve d'enjeu).

La preuve de travail, c’est mettre en compétition des dizaines de milliers d’ordinateurs (des "mineurs") qui travaillent en même temps pour résoudre un problème mathématique et ainsi acquérir le droit d’ajouter une nouvelle transaction (bloc) sur la blockchain. En ajoutant un nouveau bloc à la chaine, ces derniers sont rémunérés en crypto. Mais c'est une méthode très énergivore puisque ces ordinateurs consomment beaucoup d'électricité.

De l’autre côté, avec la preuve d’enjeu, finies les énigmes cryptographiques à résoudre. Pour garantir la securité de la chaîne de blocs, les validateurs (équivalent des mineurs dans le PoW) doivent "déposer" (dans le langage crypto on parle notamment de "staker" d'où proof of "stake") dans un pot commun 32 ethers chacun, et c’est selon un système de tirage au sort qu’ils seront choisis pour valider une transaction.

On l'aura compris: il s’agit donc d’un changement du cœur du fonctionnement d’Ethereum.

Avec The Merge, il devient encore plus clair qu’Ethereum "ne souhaite plus avoir la même proposition de valeur que Bitcoin, ce qui est positif sur le plan de la clarté des projets, à la fois pour les développeurs, les entreprises et les utilisateurs", considère Alexandre Stachtchenko, directeur Blockchain & Cryptos-actifs chez KPMG France. Pour lui, il s'agit d'un "moment très important pour la communauté crypto. The Merge, c’est la première étape d’une roadmap, mais il reste beaucoup de travail. La blockchain Ethereum après The Merge, qui devrait avoir lieu entre le 13 et le 15 septembre, n’aura pas atteint son état final, elle va encore évoluer", ajoute ce dernier.

  • Pourquoi une telle transition est bénéfique pour la planète?

On l'a vu plus haut, la PoW est une méthode de fonctionnement très énergivore, contrairement à la PoS qui n'utilise pas la puissance de calcul d'ordinateur mais fonctionne grâce au dépôts d'ethers sur la blockchain. Dans une note publiée en mai sur le site d'Ethereum, les développeurs affirment que le nouveau fonctionnement consommera 99,95% d'énergie en moins après sa transition. Selon un indice de l'Université de Cambridge, le bilan électrique du bitcoin s’élève à environ 95 térawattheure (TWh) par an. De son côté, Ethereum consommerait autour de 45 TWh par an.

  • Mais où vont aller les "mineurs" d'Ethereum?

Avec le passage en PoS, les mineurs seront remplacés par des validateurs pour pouvoir sécuriser des transactions. Les anciens mineurs d’Ethereum n’auront plus beaucoup d'options s'ils veulent poursuivre leur activité: soit ils pourront exploiter d'autres blockchains compatibles avec Ethereum comme Ethereum Classic (ETC), soit ils migreront sur un "fork" (voir notre article au sujet des fork) d’Ethereum en PoW.

Certains acteurs qui refusent le passage au PoS parlent déjà de conserver après The Merge une version PoW de la chaîne, sous le nom de ETHPoW. Car l’activité du minage d’Ethereum ne deviendra plus très intéressante après le passage en PoS. Par exemple, selon les données d'Arcane Research, les revenus du minage d'Ethereum (17 milliards de dollars) ont dépassé ceux du minage de Bitcoin (13,6 milliards de dollars) en 2021.

  • Si je suis un utilisateur de la blockchain Ethereum, que va-t-il se passer?

Rien de spécial, du moins pour l'instant. Si l’on change le moteur d’une voiture, elle pourra continuer de rouler grâce à un nouveau moteur, sans même que le conducteur ne change ses habitudes de conduite. Le changement concernant Ethereum est similaire: on touche au moteur, mais assez peu à l’expérience utilisateur.

A ce stade, l’utilisateur (une personne qui détient par exemple des ethers ou qui veut acheter des NFT, principalement sur la blockchain Ethereum) ne verra aucun changement à J+1 sauf peut-être un impact sur le cours de la cryptomonnaie, en fonction de la réussite ou de l’échec d’une telle transition.

"Pour l’utilisateur final, le but pour Ethereum c’est que personne ne constate rien. La promesse c’est qu’il ne va rien se passer à partir du 15 septembre, ni au niveau des frais de transaction, ni en termes de scalabilité, mise à part une légère accélération dans la production des blocs (de 15 aujourd’hui à 12 secondes en moyenne)", explique Alexandre Stachtchenko.
  • Est-ce que les "frais de gaz" seront réduits dans l'immédiat?

Non. Jusqu'à présent, la plupart des observateurs du système pensaient que The Merge permettrait une réduction de ces frais, car le sharding (le fait de partitionner les données d'une base de données, ce qui permet un traitement plus efficace de celles-ci) devait être intégré, mais ce ne sera finalement pas le cas tout de suite (cela interviendra dans un deuxième temps avec l'étape The Surge, voir plus bas). Pour rappel, les frais de "gaz" sont des frais pour effectuer une transaction sur Ethereum, et ils sont à l'heure actuelle élevés. Ces frais élevés ont notamment conduit certains utilisateurs à se diriger vers des blockchains avec des frais réduits, comme Polygon ou encore Solana.

"Les frais de gaz sont un produit de la demande du réseau par rapport à la capacité du réseau. Le Merge déprécie l'utilisation de la preuve de travail, passant à la preuve d'enjeu pour le consensus, mais ne modifie pas de manière significative les paramètres qui influencent directement la capacité ou le débit du réseau", peut-on lire sur son blog.
  • Pourquoi sera-t-il possible de réaliser plus de transactions à l'avenir?

L’augmentation du nombre de transactions ne sera pas effective le 15 septembre, mais bien après. Cela concerne notamment la deuxième étape du processus de transition évoquée par Vitalik Buterin (co-fondateur de la blockchain Ethereum), et qui s’appelle "The Surge".

"Cette deuxième étape consistera à diviser le réseau en un certain nombre de "shards" ("éclats" en anglais) qui représentent des sous-parties autonomes. Ce faisant, on peut en théorie mieux répartir le travail des acteurs du réseau global sur des sous-ensembles, et augmenter le nombre de transactions par seconde", précise Alexandre Stachtchenko.

L’objectif à terme, dans plusieurs années, est de passer d'environ 15 transactions à 100.000 transactions par seconde comme l'a rappelé Vitalik Buterin, fondateur d’Ethereum.

"En fait, pour l’utilisateur, la deuxième étape devrait avoir plus d’impact. La promesse, c’est qu’il va payer moins et attendre moins longtemps", précise Alexandre Stachtchenko.
  • Quel sera l'impact sur le cours de l'ether?

Beaucoup d'observateurs du système avaient The Merge en ligne de lire. C'est pour cela que certains ont misé sur la cryptomonnaie, espérant une réussite de la transition et donc une augmentation du cours de la cryptomonnaie. En effet, cette année, on a vu que le cours de l'ether a réalisé de meilleures performances que le bitcoin. Mais le jour J de The Merge, difficile de prévoir les fluctuations de l'ether. Il faudra sans doute attendre quelques jours, en fonction de la réussite ou non d'une telle transition.

Par ailleurs, cette fusion devrait réduire la vitesse d’émission de nouveaux ethers, ce qui pourrait tirer le prix à la hausse sur le long terme si la demande se maintient. Cependant, si la vitesse d’émission peut ralentir, il n’y a toujours pas de limite maximale théorique au nombre d’ethers en circulation, à l'inverse du bitcoin qui est émis en quantité limitée (21 millions de bitcoins à terme au maximum).

"Le marché est aujourd’hui partagé sur les chances de succès de The Merge. La plupart (des acteurs) pensent que la transition se passera sans encombre, et ont déjà intégré cela au prix. Si la transition échouait, alors il est fort probable que le prix chute drastiquement. Mais même en cas d’échec, le réseau pourrait théoriquement reprendre un fonctionnement PoW. Mais difficile dans ce cas de convaincre le monde entier de revenir au PoW et de faire confiance au projet", souligne Alexandre Stachtchenko.
  • Est-ce que la blockchain Ethereum sera sécurisée?

Il faut définir ce que l’on entend par sécurisé, prévient l'expert de KPMG. "C’est une notion qui a énormément de ramification: intégrité technique, consensus, décentralisation, etc. C’est ambitieux de se prononcer avant The Merge, mais il existe clairement des points d’interrogation, ce qui n’est pas anormal compte tenu de l’inexpérience empirique dont nous disposons à l’heure actuelle sur le PoS. Ce n’est pas pareil de faire des tests d’attaque sur des blockchains avec un ether à 0 plutôt que sur le réseau principal".

Pour ce dernier, cette transition a des aspects qui ressemblent à un "saut dans le vide", avec des implications gigantesques. Pour rappel, Ethereum est une blockchain qui sécurise près de 400 milliards de dollars d'actifs selon les données de Coinmarketcap.

"L’innovation de Satoshi Nakamoto, c’est d’avoir créé un jeton, bitcoin, qui fait en sorte que les intérêts économiques rationnels des participants du réseau soient alignés. Personne ne triche car personne n’a intérêt à tricher. A aucun moment, ce n'est intéressant pour quelqu’un d’attaquer Bitcoin, ce serait coûteux et hautement aléatoire. Ces dynamiques économiques sont impossibles à tester sur des réseaux de test, car par définition, il s’agit de réseaux dans lesquels les jetons sont factices (valent 0) et les mécanismes d’incitation économiques ne sont donc pas à l’œuvre. Satoshi a fait ce saut dans le vide en 2009, mais il l’a fait sur un réseau à l’époque mineur, et sur lequel il pouvait itérer pour corriger des choses. Ici, c’est le même saut dans le vide, mais avec 400 milliards de dollars d’actifs en jeu", considère l'expert.
  • Pourquoi certains craignent un problème de gouvernance?

Certains observateurs du marché pensent que le passage en PoS va aboutir à une plus grosse concentration du consensus, et donc à un problème de gouvernance. En effet, à ce jour, presque 2 tiers des ethers (63%) sont "stakés" via quelques plateformes centralisées (selon les calculs de la plateforme d'analyse de données crypto Nansen), notamment le protocole Lido qui concentre 32% des ethers, Kraken (8,5%), Coinbase (7,2 %) ou encore Binance (6,7%). C'est d'ailleurs en prévision de The Merge que les principales plateformes, dont Binance, Coinbase ou encore Kraken ont décidé de bloquer les retraits et dépôts en ethers de leurs utilisateurs jusqu'à l'évènement.

"Par conséquent, le pouvoir de censure serait plus fort sur Ethereum que sur Bitcoin. On peut penser que les grosses plateformes peuvent censurer des transactions si la règlementation le demande", considère Alexandre Stachtchenko.

Les développeurs d’Ethereum ont bien ce problème en tête (cela fait partie des sujets forts d'opposition entre les développeurs Ethereum et les développeurs Bitcoin), et cherchent des solutions pour inciter les plus petits acteurs à "staker" de manière indépendante, mais encore faut-il savoir maîtriser cette blockchain, s'y connaître un peu en informatique... Bref, ce n'est pas donné à tout le monde.

"L’intérêt principal d’une blockchain digne de ce nom, c’est l’incensurabilité, c’est-à-dire concrètement la capacité à posséder ses propres actifs et à décider soi-même de l’usage que l’on souhaite en faire. Cette incensurabilité pour Bitcoin est garantie par la PoW: les mineurs n’ont pas intérêt à censurer la transaction. Dans le pire des cas, il faut mettre un peu plus de frais de transactions pour pouvoir réaliser une transaction", indique l'expert.

Si vous êtes arrivés à la fin de cet article, une dernière question se pose: quel sera l'impact de The Merge pour l'écosystème? Si The Merge n'a pas l'air de faire peur aux défenseurs du bitcoin, il faut plutôt regarder du côté des acteurs concurrents d'Ethereum.

"Si The Merge réussit, ce sera un signal supplémentaire de l’avance substantielle qu’Ethereum a sur ses concurrents, en particulier en termes d’adoption. Le créneau pour les concurrents d’Ethereum va se réduire drastiquement, d’autant que l’argumentaire "RSE" ("La blockchain X consomme moins d’énergie") deviendra inopérant. Donc un passage réussit vers la PoS va être très challengeant pour les concurrents. Mais il restera encore de nombreuses étapes dans la feuille de route, qui sont autant de potentiels échecs dont les concurrents profiteraient pour prendre la place", conclut Alexandre Stachtchenko.
Pauline Armandet