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Après avoir suspendu sa production, Renault peut-il encore rester présent en Russie?

Le groupe français a été contraint de suspendre ses activités en Russie et dit explorer "les options possibles" pour sa participation majoritaire dans le géant local Avtovaz. Mais difficile concrètement de quitter ce marché devenu stratégique pour Renault.

C'était une décision attendue depuis le début de l'invasion en Ukraine: Renault a annoncé ce mercredi qu'il suspendait ses activités en Russie, dans son usine de Moscou, et qu'il "évaluait les options possibles concernant sa participation dans Avtovaz", qui représente le gros de sa production dans le pays. Un marché stratégique pour le constructeur français, son deuxième dans le monde en volume après la France en 2021, loin devant le troisième (l'Allemagne).

Communication de crise

Et, cette fois, même si le conflit en Ukraine n'est pas directement évoqué dans la communication de Renault, cette suspension n'est pas due à la pénurie de composants, qui avait fortement ralenti son activité industrielle locale. Son usine de Moscou, qui assemble des véhicules sous marque Renault, n'avait ainsi pu reprendre son activité que quelques jours plus tôt, alors que les sites Avtovaz, le fabricant des Lada, étaient eux encore à l'arrêt.

Le groupe français a vite réagi après l'intervention de Volodymyr Zelensky devant les députés français. Le président ukrainien avait directement mentionné trois entreprises françaises, Renault, mais aussi Leroy Merlin et Auchan, qualifiées de "sponsors d’une machine de guerre". Dans la foulée, un tweet encore plus offensif du ministre ukrainien des affaires étrangères, appelait tout simplement à boycotter la marque française.

Quelques heures plus tard, le groupe Renault annonçait cette suspension de son activité industrielle en Russie, décision saluée par le chef de la diplomatie ukrainienne. Une mission de communication de crise réussie donc à première vue, mais qui laisse aussi planer le doute sur l'avenir du constructeur français en Russie.

Quelles options pour Renault?

"Renault est confronté à une situation très difficile, qui n'avait pas été anticipée: des investissements très lourds ont été réalisés depuis 2010 pour moderniser l’appareil de production en Russie et Renault est actionnaire majoritaire d’Avtovaz depuis 2018", rappelle Jean-Pierre Corniou, ancien DSI de Renault et consultant.

Car quelles options se profilent réellement pour Renault? Se désengager totalement aurait au moins deux gros inconvénients. Tout d'abord, accuser une lourde perte pour Renault, près de 2,2 milliards d'euros ont été provisionnés pour faire face à cette hypothèse, de quoi replonger Renault dans le rouge après un résultat 2021 plutôt encourageant. Et, en prime, cela laisserait le champ libre aux constructeurs chinois, comme le relève un éditorial de Challenges.

"Renault peut se retirer mais le groupe devrait vendre sa participation dans Avtovaz. Mais à qui? A un groupe russe? Cela ne pourrait être que Rostec qui possède les 32% restants du capital, explique Jean-Pierre Corniou. Le scénario le plus intéressant serait une fermeture provisoire des installations de Renault, afin de reprendre son activité à l'issue du conflit."

Cette option "intermédiaire", entre un maintien de l'activité et un départ pur et simple de Russie, semble correspondre aux éléments de langage du communiqué de Renault et du discours de son directeur général, Luca de Meo, qui s'est adressé aux salariés du groupe dans une vidéo transmise en interne ce jeudi:

"Dans le respect de nos valeurs, non seulement nous gérons cette crise au jour le jour mais notre responsabilité est aussi de garder une vision à long terme", a-t-il notamment déclaré.

Des paroles qui font écho à ceux du président de la République Emmanuel Macron, qui s'exprimait aussi ce jeudi en marge des sommets de l'Otan, du G7 et de l'Union européenne. Sachant que l'Etat est actionnaire de Renault à 15%, ce qui place le groupe français dans une position particulière, donnant à ce dossier une dimension encore plus géopolitique que pour les autres entreprises concernées:

"L’Etat français en tant qu’actionnaire ne s’est pas opposé à ce choix, il était cohérent avec la stratégie et s’inscrivait dans une appréciation de la situation qui était celle de l’entreprise."

Emmanuel Macron a aussi évoqué "les risques réputationnels pour des entreprises qui opèrent en Russie", l'appel au boycott de Renault par exemple, et la position de la France "de laisser libre les entreprises de décider pour elles-mêmes", avant d'ajouter:

"Dans la durée, ces choix (de se désengager ou non de Russie, NDLR) doivent être évalués. Quand une entreprise décide en Russie de tout arrêter, elle laisse des salariés, une entreprise qui continue à tourner. Est-ce qu’on fait plus souffrir la Russie et ses dirigeants, je ne suis pas sûr. Je pose juste ça sur la table car ce sont des capitaux russes qui récupèrent cette profitabilité. Je pense que ce qui est important est d’être cohérent dans nos actions."

Avtovaz prêt à continuer de "tourner" sans Renault

Autre élément, si Renault a bien suspendu sine die son activité dans son usine de Moscou, les usines Avtovaz doivent elles reprendre leur activité ce 26 mars, après une interruption en raison de la pénurie de composants.

La décision de suspendre ou non la production dépend en effet du conseil d'administration d'Avtovaz, où Renault doit composer avec le conglomérat russe Rostec. Et une suspension de la production a bien été annoncée pour la période du 4 au 24 avril, avec trois semaines de congés payés pour les salariés, mais en raison, toujours, de la pénurie de composants importés.

Si les sites concernés produisent des Lada, des Renault pourraient aussi continuer à sortir des lignes de montage. L'usine d'Izhevsk, qui appartient à Avtovaz, produit en effet deux modèles vendus sous badge Dacia en Europe, mais avec un logo au losange en Russie, la Logan et la Sandero, produits respectivement à 29.385 et 22.236 unités l'an dernier.

Pour continuer à produire, surtout si le conflit en Ukraine s'installe dans la durée, Avtovaz cherche en tout cas à réduire sa dépendance aux composants produits à l'étranger.

"Des travaux actifs sont en cours pour remplacer certains composants critiques importés par des solutions alternatives", a annoncé Avtovaz dans un communiqué en dévoilant la préparation "de versions spéciales de certains modèles Lada, qui seront moins affectés par les composants importés".

A partir du 6 juin prochain, Avtovaz passera aussi à une semaine réduite de 4 jours "dans le cadre des prévisions du marché automobile russe et des pénuries importantes et persistantes d'approvisionnement en composants électroniques", précise ce communiqué.

https://twitter.com/Ju_Bonnet Julien Bonnet Journaliste BFM Auto