BFM Alsace
Alsace

Procès du déraillement mortel du TGV Est à Eckwersheim: "une catastrophe de la sous-traitance", selon un expert

Photo prise au lendemain du déraillement mortel de la rame d'un TGV d'essai dans le canal de Eckwersheim, le 15 novembre 2015

Photo prise au lendemain du déraillement mortel de la rame d'un TGV d'essai dans le canal de Eckwersheim, le 15 novembre 2015 - FREDERICK FLORIN © 2019 AFP

Le déraillement mortel de ce TGV, qui a fait 11 morts et 42 blessés le 14 novembre 2015. Le sociologue du travail Nicolas Spire était le dernier expert à s'exprimer à la barre ce jeudi 14 mars.

"Une catastrophe de la sous-traitance"... Pour le sociologue du travail Nicolas Spire, le déraillement de la rame d'essai du TGV Est qui a causé la mort de 11 personnes le 14 novembre 2015 s'explique en partie par le choix de confier "à un acteur externe" (Systra) l'organisation des essais.

Nicolas Spire était le dernier expert ce jeudi 14 mars à s'exprimer à la barre de la 31e chambre du tribunal judiciaire de Paris avant les premières auditions de témoins prévues à partir de la semaine prochaine.

Les auditions des prévenus ne sont pas attendues avant le mois d'avril.

Un rapport de 248 pages accablant

Le rapport (de 248 pages) de Nicolas Spire, commandé par 12 comités d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) de la SNCF, est accablant pour la compagnie et la société d'ingénierie en charge des essais.

Systra, filiale de la SNCF et de la RATP, chargée d'organiser les essais de la Ligne à grande vitesse Est européenne (LGVEE) Paris-Strasbourg, était "éloigné des exigences du terrain", a soutenu le sociologue.

Le fait de confier "à un acteur externe" (Systra, ndlr) l'organisation des essais "constituait un risque qui ne semble guère avoir été pris en compte", a-t-il estimé.

"Les collaborations des équipes de la SNCF avec celles de Systra se sont parfois révélées délicates, voire difficiles", a encore relevé Nicolas Spire, mettant en avant "des attitudes de méfiance réciproque, voire de défiance, ainsi que des situations où la rivalité et la rancoeur semblaient primer sur les nécessité du projet".

En début de semaine, les experts judiciaires Bernard Dumas et Bernard Lerouge s'étaient déjà montrés implacables à l'encontre de Systra et de la SNCF.

"Systra a confié la définition, l'organisation et la conduite des essais en survitesse à du personnel n'ayant pas l'expérience de ce type d'essais, et n'a pas compensé cette inexpérience par une formation appropriée et un accompagnement adapté", avaient affirmé les deux experts.

Une vitesse excessive et un freinage trop tardif

L'équipage de conduite de la SNCF ne disposait "ni des informations suffisantes ni des compétences requises pour conduire ces essais", avaient également pointé les experts judiciaires.

Ils avaient cependant dédouané le conducteur du train, un simple "exécutant". "On ne peut rien lui reprocher", avaient-ils dit.

Des experts du Bureau d'enquêtes sur les accidents du transport terrestre (BEA-TT) et du cabinet Technologia, spécialiste de la prévention des risques professionnels, mandaté par le CHSCT de Systra, qui devaient initialement être auditionnés par le tribunal vendredi et lundi ne viendront finalement pas à l'audience.

Tous les experts sont d'accord sur un constat: l'accident de la rame d'essai est dû à une vitesse excessive et à freinage trop tardif. Mais, au-delà de ce constat unanime, qui est responsable de la catastrophe ?

Le 14 novembre 2015, 53 personnes, salariés du secteur ferroviaire et membres de leurs familles, dont quatre enfants, avaient pris place à bord de la rame pour l'ultime test du tronçon de 106 km de la nouvelle LGVEE entre Baudrecourt (Moselle) et Vendenheim (Bas-Rhin).

Catastrophe du TGV Est, comment onze personnes sont mortes dans un déraillement?
Catastrophe du TGV Est, comment onze personnes sont mortes dans un déraillement?
2:58

À 15h04, au niveau d'Eckwersheim (Bas-Rhin), à 20 km de Strasbourg, le train a abordé une courbe à 265 km/h, très largement au-dessus des 176 km/h prévus à cet endroit. Il a déraillé 200 mètres plus loin à une vitesse estimée de 243 km/h.

Onze personnes ont perdu la vie et 42 autres ont été blessées, dont une vingtaine grièvement.

"Contraintes de temps tendues"

Pour Nicolas Spire, "les contraintes de temps étaient tendues" en raison d'une "prise de retard dans le programme d'essais au mois d'octobre".

Il fallait absolument "prendre de l'avance pour tenir les échéances du projet", a regretté le sociologue. Le fait de décider des "marches en survitesse" et des séquences de freinage "sur une distance réduite" a "induit une situation dangereuse".

Trois personnes morales (la SNCF, SNCF-Réseau et Systra) ainsi que trois personnes physiques: Denis T., 57 ans, conducteur titulaire, Francis L., 64 ans, cadre de la SNCF chargé de lui donner les consignes de freinage et d'accélération, et Philippe B., 65 ans, technicien de Systra chargé de renseigner le conducteur sur les particularités de la voie sont jugés pour "homicides et blessures involontaires par maladresse, imprudence, négligence ou manquement à une obligation de sécurité".

Le procès est prévu jusqu'au 16 mai.

JMA avec AFP