BFMTV
International

Submersible: après le drame du Titan, la question de la sécurité des explorations touristiques

Le Titan, le sous-marin touristique porté disparu près de l'épave du Titanic

Le Titan, le sous-marin touristique porté disparu près de l'épave du Titanic - BFMTV

Plusieurs chercheurs ou spécialistes du monde sous-marin estiment que le tourisme n'a pas sa place dans ce milieu, alors que la sécurité du Titan, le submersible qui emmenait des touristes voir l'épave du Titanic, pose question.

Après le drame, l'espoir de nouvelles règlementations, notamment du côté de la sécurité. L'"implosion catastrophique" subie par le Titan, ce submersible de tourisme scientifique qui emmenait des clients payant 230.000 euros pour aller à la rencontre du célèbre paquebot, remet à l'ordre du jour la question de la sécurité de ces engins touristiques, et même la place du tourisme dans le monde sous-marin, jusqu'ici réservé aux chercheurs aguerris.

"Ces explorations scientifiques malheureusement alimentées financièrement par le tourisme, ce n'est pas une bonne solution", a estimé sur BFMTV jeudi Christian Petron, plongeur, réalisateur et directeur de la photographie sur Le Grand Bleu.
Sous-marin Titan: pourquoi l'hypothèse de l'implosion s'est-elle imposée ?
Sous-marin Titan: pourquoi l'hypothèse de l'implosion s'est-elle imposée ?
3:39

Davantage de moyens aux chercheurs

Pour lui, "ce tourisme sous-marin, c'est du voyeurisme", a-t-il déclaré, en regrettant que des "milliardaires se paient des petits plaisirs". "C'est vraiment dommage que des scientifiques n'arrivent pas à trouver des moyens pour développer leurs campagnes".

Le milieu sous-marin, "il faut apprendre à le connaître", a jugé Christian Petron, soulignant que son ami Paul-Henri Nargeolet, qui est mort à bord du Titan avec les quatre autres passagers du submersible, "n'avait pas les moyens" de retourner à un point précis qu'il avait découvert près de l'épave du Titanic. "Il a trouvé de l'argent par le biais du tourisme, mais ce n'est pas une bonne chose", selon lui.

Christian Buchet, directeur du Centre d'étude de la mer à l'institut catholique de Paris, a également remis en cause la nécessité de ce genre d'expéditions sur BFMTV ce vendredi.

Tirer des leçons et réfléchir à l'arrêt de ce tourisme

"Je me demande ce que les sous-marins touristiques font dans ce genre de sites (...) les matériaux jouent et ils étaient plus expérimentaux à cette profondeur que quelque chose qui permettait de faire plusieurs plongées profondes", a-t-il relevé.

La Titanic International Society a également déclaré, dans un communiqué de son président, Charles Haas, qu'il "est temps de se demander sérieusement si les voyages humains vers l'épave du Titanic devraient cesser au nom de la sécurité". Il a également appelé à "une enquête approfondie et détaillée" notamment "sur la conception, la structure, les systèmes de communication et de sécurité du submersible, les politiques des propriétaires et les préparations et procédures d'urgence".

"Tout comme Titanic a enseigné au monde des leçons de sécurité, il en va de même pour la perte du Titan", a jugé Charles Haas.

Vers une certification obligatoire des engins?

Les experts du secteur estiment toutefois que de nouvelles mesures seraient difficiles à mettre en œuvre compte tenu de la nature internationale de cette activité. Ils mettent par ailleurs en avant que le fabricant du Titan avait choisi de ne pas faire certifier l'engin, contrairement aux pratiques de l'industrie, ce qui, selon des experts, laisse penser que ce type d'accident n'a pas vocation à se reproduire.

Ils soulignent également que, avant la mort des cinq passagers à bord du submersible, aucun décès n'avait été enregistré en plus de soixante ans de voyages de civils en eaux profondes. Il y a toutefois déjà eu des évènements, comme des précédentes plongées où le submersible a été coincé au fond de l'Atlantique nord, alors qu'il n'existe à ce jour aucune réglementation ni contrôle gouvernemental en haute mer.

Le réalisateur James Cameron, devenu explorateur des grands fonds dans les années 1990 lors de ses recherches pour le film Titanic et copropriétaire de la société d'exploration Triton Submarines, s'est exprimé en faveur d'une certification obligatoire des navires, et a ouvertement dénoncé les "avertissements ignorés" concernant la sécurité du Titan.

Pour Michel L'Hour, ancien patron du Département des recherches archéologiques subaquatiques, "le diamètre du hublot" du Titan était surprenant. Avec "près de 60 cm, je n'ai jamais vu cela sur les engins habituels, à ces profondeurs-là", a-t-il indiqué sur BFMTV. "En général, on a des hublots qui font 15 cm de diamètre", assure-t-il.

Le submersible était également conçu en carbone, et non pas en nickel ou en carbone, comme à l'accoutumée. Or, "cette matière est plus légère et plus maniable mais elle résiste moins à la pression de l'eau sur le long terme", a précisé Jan Opderbecke, responsable de l'unité Systèmes sous marins de l'Ifremer.

C'est d'ailleurs après avoir vu la conception - dont certaines parties semblaient "de mauvaise qualité - du Titan lors d'essais aux Bahamas que l'explorateur britannique Chris Brown s'est désisté. "Ils utilisent des tuyaus industriels pour le balastre, une manette de Xbox pour piloter l'appareil, on a l'impression que ça sort d'un magasin de bricolage", a-t-il annoncé. Il a alors renoncé, face au "refus catégorique" d'Ocean Gate d'obtenir des certifications.

"Futur examen" sur la question des normes

OceanGate n'a pas répondu aux questions concernant son refus de se faire certifier par des tiers, tels que l'American Bureau of Shipping ou la société européenne DNV. Dès 2018 pourtant, Will Kohnen, président du comité sur les submersibles habités de la Marine Technology Society (MTS), avait prévenu Stockton Rush, le PDG d'OceanGate mort dans l'implosion du Titan, que cette décision pourrait avoir des conséquences "catastrophiques".

Le contre-amiral John Mauger, garde-côte américain, a déclaré lors d'une conférence de presse jeudi que "les questions relatives aux réglementations applicables et aux normes seront, j'en suis sûr, au centre d'un futur examen".

Sur la BBC, William Kohnen, ingénieur à la tête d'un comité américain sur les submersibles habités réunissant entreprises et chercheurs, a affirmé que son groupe avait soulevé des inquiétudes sur le "Titan" développé par OceanGate. Mais selon lui, la société n'était "pas disposée" à se soumettre à un processus de certification.

"Comme pour l'exploration spatiale, la meilleure façon de préserver l'héritage de ces cinq explorateurs est de mener une enquête, de découvrir ce qui n'a pas fonctionné, d'en tirer les leçons et d'aller de l'avant", a-t-il encore dit.
Marine Ledoux avec agences