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"Donner l’illusion d'une famille exemplaire": le ras-le-bol des groupes WhatsApp familiaux

A l’origine créés pour rester en contact, les groupes WhatsApp de famille peuvent vite tourner au cauchemar.

Des blagues permanentes au souci de se sentir obligé de répondre, les groupes WhatsApp familiaux, qui se sont multipliés durant le premier confinement, peuvent rapidement devenir pesants. Entre choc des générations et incompréhensions, certains s'en amusent quand d'autres préfèrent partir.

Au printemps 2020, lorsque la pandémie de Covid-19 oblige les Français à se confiner, Léa, une ingénieure de 26 ans, et sa famille se sont ainsi retrouvées dans la maison familiale en Bretagne. "Comme nous ne pouvions pas inviter toute la famille chez nous, nous avons créé un groupe WhatsApp avec la famille élargie, au total une trentaine de personnes", témoigne-t-elle.

Et si la vérité était la meileure solution?
Et si la vérité était la meileure solution? © BFMTV

Au temps des premiers messages, elle se souvient du décalage des générations entre les mots des petits cousins et ceux des grands-parents. "C’était bon enfant". Après la pandémie, ce groupe leur a aussi permis d’organiser les déjeuners de famille.

Jusqu'ici, tout va bien.

Jusqu'au mois de janvier 2022 où l’un de ses cousins envoie sur le groupe familial une photo de son adhésion à Génération Z, un groupe de jeunes militants qui soutiennent la candidature d’Eric Zemmour à l’élection présidentielle. "J’ai été vraiment choquée, par sa position, mais aussi qu’il l'affiche aussi fièrement sur notre groupe familial", se souvient Léa. Auparavant, la famille n’échangeait pas sur la politique sur WhatsApp. "Il y a quelques personnes dans la famille qui l’ont félicité, d’autres se sont énervés".

"J'ai fini par quitter le groupe"

Depuis cet épisode, le groupe a pris une tout autre tournure. "Mes parents continuaient à lancer les invitations pour organiser les vacances en famille par exemple, mais petit à petit leurs messages se sont noyés dans un flot de contenus politiques et de débats inutiles" poursuit la jeune femme.

"Je viens d’une famille catholique de droite, les débats lors des repas sont souvent animés, mais sont toujours nuancés et dans le respect de l’opinion de chacun" assure-t-elle. Sur WhatsApp, la nuance semble s'effacer.

"J’ai fini par quitter le groupe il y a un an, une dizaine d’autres personnes ont fait de même et on a créé un autre groupe sur WhatsApp".

Marie aussi a fini par partir du groupe WhatsApp de sa famille. Lassée des notifications, pression de devoir répondre en permanence… elle est rapidement partie. "Au départ, on a créé ce groupe WhatsApp pour s’envoyer des bêtises ou pour savoir qui venait manger à la maison". Une grande partie de sa famille habite à Dijon et le groupe compte une trentaine de cousins "sans compter les oncles et tantes".

Ponctuée par les anniversaires et quelques nouvelles, la discussion reste souvent superficielle. "Il y a une espèce de pression où il faut répondre et poster des trucs. Dès qu’il y a un anniversaire tout le monde répond tout de suite, comme si j’étais obligé de le faire. Je ne vais pas souhaiter l’anniversaire d’un cousin éloigné si je n’ai rien à lui dire", s'emporte-t-elle.

Comment quitter un groupe WhatsApp
Comment quitter un groupe WhatsApp © BFMTV

"Si j’ai envie de prendre des nouvelles, j’appelle directement la personne et je n’ai pas besoin d’un groupe pour le faire". Marie pointe une sorte de fausseté: "donner l’illusion que l’on est une famille exemplaire". L'un de ses oncles et sa mère lui ont demandé pourquoi il est parti du groupe. "Il y a beaucoup de contentieux dans ma famille dans la vie réelle, et dans ce groupe on dirait que rien de tout cela n’existe".

"Saturation et hyperconnexion"

Pour Catherine Lejealle, sociologue et chercheuse à l'ISC Paris, il y a "une sorte de saturation et cela concerne autant les adultes que les plus jeunes", explique-t-elle à Tech&Co. A l'image de ce père de famille américain qui a clairement exprimé son ras-le-bol à sa famille en disant qu'il n'y avait rien d'intéressant dans ces discussions. "Et beaucoup de monde s'est reconnu dans ce discours, des jeunes comme des moins jeunes", souligne la sociologue.

Catherine Lejealle définit ces pratiques comme de l’hyperconnexion. "Dans ces groupes, les utilisateurs sont très vite assaillis d’informations qui ne sont pas vraiment importantes, qui n’apportent pas grand chose". Dès lors, une double contrainte apparaît: "à la fois on ne peut pas vraiment partir du groupe puisque ça reste notre famille et en même temps on n’a pas envie de répondre".

Et l'outil lui-même, c'est-à-dire WhatsApp, peut créer une incompréhension entre les générations: "d’un côté WhatsApp est un super outil pour les aînés puisqu'il leur permet de garder un lien quotidien avec leur famille, surtout qu’aujourd’hui une grande partie d’entre-eux sait désormais l’utiliser," décrypte la chercheuse. "D’un autre côté, les jeunes sont tellement sollicités par des messages et des notifications au cours de la journée, qu’ils ne regardent même plus ce qu’il s’y passe".

D'un point de vue sociologique, ces groupes WhatsApp s'opposent totalement à ce que le linguiste Roman Jakobson appelle la fonction phatique: une des fonctions de la communication est de délivrer une information et réaffirmer le lien "sauf que là c’est tout l’inverse qui se produit", souligne Catherine Lejealle. Avec ces groupes, il faut montrer son intérêt, réagir en permanence, annoncer que l’on a bien pris l’information. Le cercle familial peut devenir pesant.

Fermer les yeux... et bloquer les notifications

C’est ce qu’a pu vivre Adrien. "J’ai compris que ma famille était homophobe grâce à WhatsApp". Le jeune homme de 24 ans vient de Lyon. Il y a cinq ans il a fait son coming-out à ses parents, "ça leur a pris du temps pour l’accepter mais maintenant ça se passe très bien", dit-il en souriant.

Le reste de sa famille comme ses cousins ou oncles et tantes ne sont pas au courant. "Dans le groupe WhatsApp de la famille, beaucoup partagent des contenus qu’ils voient passer sur les réseaux sociaux dont Facebook. Ce sont surtout mes oncles qui ont une soixantaine d’années".

Parmi ces contenus partagés, "on trouve des publications parfois racistes et homophobes. Au début, Adrien ne réagit pas, il ne répond que très rarement aux messages dans la conversation de famille. "Seulement pour les anniversaires ou la bonne année".

Après avoir fait son coming-out à ses parents, rien ne change, "et je ne voulais pas créer de polémique dans la conversation en leur disant qu’ils étaient homophobes. Mais ce qui m’a fait le plus de peine c’est de voir que mes parents ne réagissaient pas et même parfois répondaient à ces messages insultants". Pour le moment, il a désactivé les notifications sans avoir quitté le groupe.

Désactiver les notifications ou quitter le groupe.
Désactiver les notifications ou quitter le groupe. © Margaux Vulliet

Il reste attaché à ce groupe maintenant qu’il vit à Rennes. "Ça me fait rire quand je vois mes grands-parents qui mettent quatre smileys dans un message, mes parents qui ne comprennent pas pourquoi les GIF sont maintenant démodés et quand mes cousins encore adolescents utilisent des mots que je ne comprends pas, je me sens vieux", confie-t-il en souriant.

Quand les aînés s'essayent aux messages vocaux

Dans la famille de Louise, c’est un peu cette même décontraction qui définit leur groupe WhatsApp. Sa famille est éparpillée un peu partout en France "donc cela permet de garder contact. Je trouve ça bien que ce groupe existe, le seul truc c’est que les générations au-dessus ne savent pas du tout l’utiliser", s'amuse-t-elle à préciser. Des messages vocaux incompréhensibles des grands-parents, des selfies très mal cadrés des oncles… La conversation est surtout tenue par les aînés. Et les correcteurs automatiques peuvent leur faire défaut.

Le groupe WhatsApp de la famille de Louise compte 59 membres et réunit tous les cousins éloignés et toutes les générations. "La jeune génération des cousins, on a mis les notifications en sourdine et on n'envoie quasiment rien". Louise y va de temps en temps pour voir ce qu’il se dit. Ce sont surtout les anniversaires qui sont souhaités, des naissances et des mariages qui sont annoncés.

Les correcteurs automatiques peuvent faire défaut
Les correcteurs automatiques peuvent faire défaut © Capture Louise WhatsApp

Ce groupe permet tout de même de renforcer les liens familiaux: "si des membres de la famille partent en week-end quelque part, ils peuvent se retrouver avec d’autres personnes de la famille. Autre anecdote, nous avons une maison de famille en Lorraine et à chaque fois qu’un membre de notre famille y va, il faut qu’il le signale alors on reçoit toujours la même photo, à différentes périodes de l’année, du chemin qui mène à la maison", raconte Louise un peu lassée.

Dernièrement une tante a envoyé un SMS d’arnaque Crit’air et a demandé sur le groupe comment elle devait procéder pour payer. "Évidement tout le monde lui a répondu qu’il fallait surtout ne rien faire!". Pour communiquer avec ses cousins, elle passe par d’autres canaux. "Ce sont plutôt les parents qui me donnent les nouvelles essentielles et intéressantes de la famille", conclut-elle.

Comment quitter un groupe discrètement?

Il est désormais possible de quitter un groupe un peu plus discrètement. Auparavant, tous les membres voyaient qu'un utilisateur était. En octobre dernier, WhatsApp a ajouté une fonction sur son application afin de quitter un groupe en toute discrétion. Désormais seul l'administrateur peut voir qu'un membre est parti. Pour cela, il faut appuyer sur le titre du groupe, faire défiler l'écran jusqu'en bas et cliquer sur Quitter le groupe.

Margaux Vulliet