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Racisme, "WikiZédia"... Un journaliste a infiltré Génération Z, les jeunes soutiens de Zemmour

Affiche d'Éric Zemmour, à Willer-sur-Thur (Haut-Rhin), le 9 novembre 2021

Affiche d'Éric Zemmour, à Willer-sur-Thur (Haut-Rhin), le 9 novembre 2021 - SEBASTIEN BOZON © 2019 AFP

Le journaliste Vincent Bresson a plongé pendant près de quatre mois dans la campagne d'Éric Zemmour, en prenant part à Génération Z, le groupe de jeunes soutiens du polémiste.

"Une plongée en eaux profondes dans le réacteur de la propagande zemmourienne." C'est avec ces quelques mots que les éditeurs de la Goutte d'Or présentent leur nouveau livre-enquête, Au coeur du Z - que BFMTV.com a pu lire -, au cours duquel le journaliste indépendant Vincent Bresson infiltre la campagne d'Éric Zemmour.

En septembre dernier, le jeune homme de 27 ans, blanc, diplômé, baptisé et élevé dans des valeurs catholiques, décide de mettre ce qu'il qualifie d'atouts aux yeux du polémiste pour s'immerger auprès de la jeunesse qui gravite autour de lui. S'autobaptisant Génération Z, GenZ ou GZ, elle s'est d'abord lancée dans l'ombre, afin de soutenir la présence médiatique du soixantenaire, avant même l'officialisation de sa candidature.

Il garde son prénom - pour être sûr de réagir lorsqu'on l'appelle -, mais troque son nom de famille pour celui d'un ami d'enfance: Carayon. Il ne possède aucun papier justifiant sa nouvelle identité mais aucune preuve ne lui sera jamais demandée. Ni lorsqu'il colle des affiches avec la Génération Z, ni lorsqu'il rejoint la cellule numérique du candidat, ni lorsqu'il se voit confier les clés du QG de campagne.

"Nègres" et "grand remplacement"

Vincent Bresson passe quatre mois auprès des soutiens de l'ancien journaliste politique. Son premier contact avec eux intervient le soir du 13 octobre dernier, lors d'une session collage dans le quartier des Gobelins à Paris (13e arrondissement). Avec lui trois garçons, trois étudiants. Et dès cette première virée avec de jeunes zemmouriens, les thèses de leur leader et des propos racistes font très vite leur apparition.

Cédric* habite le quartier de la Gare du Nord, et, selon lui là-bas: "Quand t'es blanc, t'es un peu seul. On est remplacés! Les gauchistes ne veulent pas voir le réel." Avant d'ajouter: "Puisque les gauchistes les aiment tant, les immigrés, je les enverrais bien dans ces pays. Tu sais, y a eu des Nègres qui faisaient de la traite, avant, en Afrique. Je veux qu’on fasse pareil et qu’on vende les gauchos au plus offrant!"

"Grand remplacement", "guerre civile"... Les théories popularisées par le candidat d'extrême-droite ont déjà imprégné la plupart des militants que le journaliste infiltré rencontre.

Termes dénigrants et stéréotypes tenaces

L'emploi de termes dénigrants concerne autant les personnes racisées, que les femmes et personnes LGBT. Les stéréotypes sont tenaces. Comme lorsque Dimitri*, chargé d'assurer la sécurité du QG de campagne, balance à un militant arabe qui lui demande s'il peut acheter son appartement: "Toi, déjà, avec ta tête, on te le vendra pas." Cela concerne les jeunes militants anonymes ainsi que ses soutiens les plus expérimentés. Comme lorsque l'ancien préfet Gilbert Payet, conseiller technique et juridique d'Éric Zemmour, et Sophie Clavel, secrétaire personnelle du candidat, appellent un homme noir "Mamadou".

"Si, publiquement, le Z rejette constamment le terme raciste, j’observe que nombre de ses soutiens jugent clairement une partie de la population en fonction de sa couleur de peau. (...) Des militants de base jusqu’à deux hauts cadres du clan d’Éric Zemmour, j’ai le sentiment depuis le début de mon immersion que les personnes dont la peau n’est pas blanche sont souvent jugées avec mépris. Voire dépréciation. En tout cas, différemment. (...) À mes yeux, cela traduit une duplicité: l’égalité promise par le concept 'd’assimilation', prôné par le Z, n’est pas au rendez-vous", analyse Vincent Bresson.

Le journaliste rapporte également ce moment un peu irréel, lors du nouvel an, où Valentin*, se plaignant de la "musique de pédés" qui passe, décide de mettre un chant de la Wehrmacht, l'armée du Troisième Reich. Ce dernier la chantera, avec une autre militante, la main sur le cœur.

"Saturer les réseaux sociaux"

L'enquête de Vincent Bresson permet de vivre au plus près le début de campagne d'Éric Zemmour, dans ses moments les plus quotidiens, des sessions de tractage aux discussions à son QG de campagne, dont il obtient très facilement les clés. Le bureau du candidat y reste très souvent ouvert, le journaliste se disant sidéré par "le peu de protection qui entoure cette campagne".

Le livre permet de mieux cerner le profil des jeunes, voire très jeunes, militants, majoritairement des garçons encore étudiants, dont le rôle est de "saturer les réseaux sociaux et parfois même l'espace médiatique", résume l'auteur. Il met notamment au jour le projet "WikiZédia", consistant à utiliser l'encyclopédie en ligne Wikipédia pour promouvoir le polémiste. Une dizaine de ses militants s'activent ainsi à modifier différentes pages consacrées à Éric Zemmour, ses soutiens ou les idées qu'il véhicule.

"Si on est bons, ce qu’on fait aujourd’hui, ce sera dans les livres d’histoire de nos petits-enfants", promet alors Samuel Lafont, chef de la stratégie numérique. Vincent Bresson a mis fin à son infiltration dans le courant du mois de janvier, peu de temps avant la parution de son livre, alors que les membres de la cellule numérique étaient toujours très actifs.

*Le prénom a été modifié

Clément Boutin Journaliste BFMTV