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"C'était super violent": comment les groupes Whatsapp de voisins peuvent vite devenir un enfer

Les groupes Whatsapp de voisins se sont multipliés à l'occasion du premier confinement.

Les groupes Whatsapp de voisins se sont multipliés à l'occasion du premier confinement. - PIERRE-OSCAR BRUNET / BFMTV

Si les groupes Whatsapp de voisins, souvent nés durant la crise sanitaire, se sont montrés efficaces à leurs débuts, ils ont aussi déçu. Et ont parfois renforcé les tensions entre habitants d'un même immeuble.

"Au début, c'était plutôt idyllique", se souvient Jean*. "Certains voisins proposaient de livrer les courses des personnes âgées, on se répartissait le temps pour sortir dans le jardin. Mais ça a dérivé et c'est devenu nocif."

Cet habitant de Saint-Ouen-sur-Seine (Seine-Saint-Denis) explique comment le groupe WhatsApp des propriétaires de sa résidence d'une cinquantaine d'appartements - créé lors du premier confinement - a rapidement tourné au vinaigre.

"C'était le grand déballage. Les mégots retrouvés dans le jardin, le groom cassé de la porte, c'était forcément de la faute des locataires du premier étage... Ils étaient la cause de tous nos maux."

Des accusations portées sans aucun fondement. Jean ne supportait plus l'hostilité de leurs messages. "De passif-agressif, le ton a basculé dans l'agressivité pure", jusqu'à tomber dans les attaques personnelles - "du niveau de certains commentaires sur Twitter". Il décide alors de quitter le groupe car il "créait des tensions là où il aurait dû les résoudre".

Un voisin sur deux

Comme dans la résidence de Jean, les groupes WhatsApp de voisins sont de plus en plus courants. Dans une enquête de l'Institut national d'études démographiques (Ined) publiée en 2021, quelque 57% des personnes interrogées affirmaient utiliser les outils numériques (SMS, mails ou réseaux sociaux) pour communiquer avec leurs voisins.

Mais cela ne concerne pas tout le monde: la pratique semble davantage développée dans les quartiers bourgeois et gentrifiés. Les voisins les plus enclins à communiquer via ces outils ont souvent un revenu et un niveau d'études supérieurs: 71% des cadres à dominante culturelle les utilisaient contre seulement 33% des ouvriers non qualifiés.

La pratique a pris de l'ampleur avec la crise sanitaire, comme c'est le cas dans la résidence de Jean. "C'était à la fois un moyen de s'entraider mais aussi de briser l'isolement", explique Marie Després-Lonnet, professeure en sciences de l'information et de la communication à l'Université Lumière Lyon 2 et directrice de l'Institut de la communication, qui a étudié le phénomène. "Il y a eu de beaux exemples de solidarité."

Une vie sociale "réinventée"?

Garde d'animaux de compagnie, prêts d'outils, commande de paniers de fruits et légumes... Ces groupes sont souvent très efficaces, salue Laurence Allard, maîtresse de conférences en sciences de la communication et chercheuse à l'Université Sorbonne Nouvelle-Paris 3.

"Ils pallient le manque de sociabilité des modes de vie urbains", note-t-elle pour BFMTV.com. "Ces groupes revitalisent la vie sociale et réinventent la civilité urbaine."

Si Marie Després-Lonnet a elle aussi pu observer des "rapprochements" entre voisins, elle considère pourtant que ces groupes n'ont pas fondamentalement modifié les relations de voisinage. "Quand elles étaient implicites ou limitées à bonjour/bonsoir, elles n'ont pas davantage évoluées."

Car selon cette universitaire, ces échanges n'avaient pas vocation à durer. "Après la crise sanitaire, quand les gens ont retrouvé leur vie, c'est devenu périphérique", estime-t-elle. "On n'avait plus grand-chose à se dire et on est passé à autre chose."

Des discussions parfois "super violentes"

Le groupe WhatsApp de la copropriété de Lisa* n'a effectivement rien changé aux relations de voisinage. Cette propriétaire parisienne, installée dans un immeuble d'une vingtaine d'appartements, aurait pourtant bien aimé qu'il permette de nouer des liens. "Jamais personne n'a proposé un apéro, c'est nul", regrette-t-elle pour BFMTV.com. "La seule fois qu'un voisin m'a adressé la parole, c'était pour m'engueuler parce que je parlais trop fort au téléphone."

Et sur son groupe de voisins, les échanges sont loin d'être chaleureux. Elle évoque un récent débat épineux autour du choix de couleur de réfection de la cage d'escalier. "À chaque fois qu'on proposait une couleur, (l'un des membres du conseil syndical) disait que c'était 'immonde', 'horrible', 'dégueulasse'", se rémémore-t-elle.

"C'était super violent. Du coup, plus personne n'osait rien proposer et c'est sa couleur qui l'a emportée."

Un vocabulaire fleuri qui n'a rien d'étonnant sur Whatsapp, relève la spécialiste des pratiques expressives digitales Laurence Allard. "C'est un réseau social de messagerie qui s'inscrit dans la généalogie de la discussion téléphonique. C'est comme une conversation qui serait augmentée avec le texte, d'où l'oralité des échanges."

Et ces groupes se multipliant - l'un réservé aux voisins, l'autre au travail, encore un aux amis et un dernier à la famille - il arrive que des "glissements" se produisent. "On échange sur plusieurs canaux en même temps et on finit par oublier la distance ou le degré d'intimité." Jusqu'à glisser vers des propos inappropriés ou des remarques franchement intrusives.

Un émoji pouce vers le haut

Comment répondre à de tels messages sans crainte de paraître impoli? "On sait comment on entre dans ce genre de groupe mais on ne sait pas comment en sortir", note Marie Després-Lonnet. Quitter le groupe - comme ce qu'a fait Jean - peut ainsi s'apparenter à une offense, comme une porte qu'on claque.

"Ce sont les règles de la vie sociale", poursuit Laurence Allard, également co-auteure de Écologies du smartphone. "Les rituels de la civilité sont transposés dans la vie numérique. La norme est donc de répondre, comme quelqu'un qui vous adresse un 'bonjour'."

Si Lisa, interrogée plus haut, fait quant à elle toujours partie de son groupe de voisins sur WhatsApp, les échanges sont minimaux. Lors de la venue d'un prestataire pour des réparations, la jeune femme était chargée de fixer le rendez-vous et a donc communiqué la date et l'heure aux autres propriétaires via le groupe WhatsApp. Personne n'a répondu. À l'exception d'un voisin qui a envoyé un émoji pouce vers le haut.

"Mais est-ce ça voulait dire qu'il était d'accord sur le principe ou qu'il serait là pour recevoir le prestataire?", s'interroge Lisa. "On pense que ce genre de groupe permet de régler plus facilement les choses car on est en contact directement les uns avec les autres, mais encore faut-il que les gens répondent."

Jardin partagé pour souder le groupe

Si certains groupes restent dynamiques, cette vigueur s'explique souvent par des projets communs. C'est le cas dans la résidence de Benoît Mainguy, président du syndicat coopératif d'une copropriété de 120 logements à Angers (Maine-et-Loire).

"On a par exemple mis en place une bibliothèque partagée et un récupérateur d'eau de pluie pour le jardin partagé", énumère-t-il pour BFMTV.com.

Un concert a également été organisé dans le jardin et une troupe de théâtre invitée à donner un spectacle. "L'idée, c'est que les voisins se rencontrent. En fait, tout est prétexte à créer du lien", ajoute-t-il.

Mais pour parvenir à ce résultat, il a fallu créer une dizaine de groupes WhatsApp - chacun consacré à une thématique, de la finance aux travaux en passant par la rénovation thermique, les relations de voisinage, le compostage ou le jardin - un compte privé et une page publique sur Facebook, un autre sur Matera (un prestataire de services pour syndicats coopératifs) et plusieurs formulaires en ligne réservés aux habitants de la résidence.

Une ampoule à remplacer? Un nom à changer sur une boîte aux lettres? L'objectif de ces nombreuses pages, formulaires et groupes est de simplifier la vie des résidents, assure Benoît Mainguy, particulièrement investi dans la vie de sa résidence. Et ça fonctionne. Mais il reconnaît que la mise en place de ces outils a parfois été compliquée.

"Au début, on avait un seul groupe sur WhatsApp. Si on ne le consultait pas régulièrement, on pouvait facilement se retrouver avec 200 messages, c'était compliqué de remonter le fil et on se noyait."

Le système n'est d'ailleurs pas encore optimal, juge-t-il. Les groupes sont ainsi en train de migrer sur Discord, un logiciel de messagerie. "Ça va permettre de créer une arborescence plus précise", ajoute Benoît Mainguy. "On pourra classer les conversations, en archiver certaines. Ce sera plus simple."

*Les témoins ont souhaité rester anonymes.

https://twitter.com/chussonnois Céline Hussonnois-Alaya Journaliste BFMTV