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Soupçons d'espionnage: doit-on vraiment se méfier de Huawei ?

Huawei est accusé d'espionnage industriel par les Etats-Unis.

Huawei est accusé d'espionnage industriel par les Etats-Unis. - WANG ZHAO / AFP

Le géant chinois des télécoms plie sous le poids des accusations d’espionnage directes ou indirectes, et se voit perçu par bon nombre de pays occidentaux comme une menace pour leur sécurité nationale. En retour, la Chine dénonce la "discrimination" que subirait Huawei concernant les projets de 5G en Europe.

L’affaire Huawei, cas d’école des vives tensions commerciales entre les États-Unis et la Chine, se corse encore davantage. Le ministère américain de la Justice vient de dévoiler 13 chefs d'inculpation, liés à des violations des sanctions américaines contre l'Iran, à l'encontre du groupe chinois de télécoms et de sa directrice financière Meng Wanzhou. Cette dernière a été arrêtée au Canada en décembre 2018, sur demande d'enquêteurs américains. En parallèle, deux filiales de l'entreprise ont été inculpées pour vol de secrets industriels.

L'annonce n'est qu'un chapitre supplémentaire au bras de fer entamé depuis de longs mois déjà entre les pays occidentaux et l'entreprise chinoise. De lourds soupçons pèsent sur Huawei et ZTE, autre géant chinois des télécoms, depuis un rapport du Congrès américain en 2012. Le document arguait que la Chine pourrait un jour déstabiliser les États-Unis par le biais de son réseau de télécommunications si ce dernier devenait dépendant d'équipements chinois. Or Huawei s'intéresse de très près au développement des réseaux 5G, amenés à sous-tendre les voitures autonomes, villes intelligentes ou autres millions d'objets connectés. 

Un décret présidentiel, à la teneur radicale, est en cours de finalisation pour interdire aux entreprises américaines de se fournir en équipements télécoms de groupes "à risques" pour la sécurité nationale. Huawei en fait pleinement partie.

Un bras de fer durable

Pour justifier cette méfiance à l'égard de Huawei, de nombreux arguments viennent s'aligner. En avril dernier, la FCC, le gendarme américain des télécoms, a voté le blocage les ventes de Huawei et ZTE à des opérateurs américains. L'organisation avait pour cela avancé des "impératifs de sécurité nationale", rapportait Le Figaro.

La FCC juge également les sociétés chinoises trop proches du gouvernement de Pékin, d'où des craintes d'attaques sur les réseaux américains. Elle voit en leurs équipements des outils facilement utilisables par les services de renseignements nationaux, pour espionner les flux d'informations et les conversations amenées à transiter sur ces mêmes réseaux. 

Ces soupçons sont alimentés par le profil du fondateur du groupe, Ren Zhengfei, ancien de l'armée chinoise. N'étant pas côté en Bourse, Huawei est opaque quant à l'identité de ses actionnaires. Si le capital de l'entreprise est officiellement détenu par ses salariés, le manque de transparence de l'entreprise renforce l'hypothèse d'une proximité avec l'Etat chinois. 

Un jeu de dominos

Dans le durcissement de sa politique à l'encontre de Huawei, le gouvernement américain entend emmener avec lui ses pays alliés. Plusieurs Etats, au premier rang desquels figurent l'Australie, la Nouvelle-Zélande et le Canada, ont purement et simplement exclu Huawei du déploiement de la 5G, au nom de failles sécuritaires et de soupçons d'espionnage.

L'Europe n'est pas épargnée par le phénomène. En septembre dernier, une note interne de la Commission européenne faisait état d'une série de questions de sécurité soulevées par la présence grandissante des entreprises chinoises Huawei et ZTE sur le territoire européen. Le document de trois pages mentionnait la présence probable de "backdoors", ou portes dérobées, qui permettent de récupérer des informations confidentielles dans les équipements de ces deux entreprises. En Allemagne, l'opérateur national Deutsche Telekom a déjà "réévalué sa stratégie d'achats" envers le groupe.

Pourtant, aucune preuve tangible d'espionnage n'a été étayée. Les accusations successives ont une à une été démenties par l'entreprise. "Il n'y aucune preuve que Huawei menace la sécurité nationale de quelque pays que ce soit", avait martelé mi-décembre Ken Hu, vice-président du groupe, comme le relevait L'Express. Ce vendredi, le ministre chinois des Affaires étrangères Wang Yi a dénoncé une campagne internationale "injuste et immorale" à l'égard du champion national.

La tension est encore montée d'un cran ces derniers jours. L'ambassadeur auprès de l'UE, Zhang Ming, laisse entrevoir de "lourdes conséquences" sur la coopération économique et scientifique mondiale, en raison des tentatives visant à réduire la participation des entreprises chinoises aux futurs projets européens pour les réseaux 5G.

En France, un amendement protecteur

Dans ce marasme, la France entend maintenir une position plus équilibrée. "Il ne s’agit ni d’être totalement paranoïaque, ni totalement naïf", juge le député LaREM Eric Bothorel auprès de BFM Tech. "Force est de reconnaître que pour un certain nombre d’opérateurs, Huawei est parfois moins cher et plus performant. Il s'agit-là d'un acteur qui dynamise le marché par son innovation et ses bas prix."

Un amendement à la loi Pacte tente d'apporter une réponse ferme aux suspicions à l'encontre de Huawei, en usant de diplomatie. Le texte est voué à veiller encore plus à la sécurité des réseaux télécoms tout en préservant la présomption d'innocence de l'équipementier chinois. Il contraindrait les opérateurs télécom à obtenir une autorisation de l'Anssi pour tout nouveau déploiement de matériel, dont ceux liés à la 5G.

"Dans la disposition de l’amendement aujourd’hui en discussion, aucun acteur n'est stigmatisé", souligne Eric Bothorel. "Tous les équipementiers télécom seront soumis au même régime."

Malgré ces précautions, l'Etat français reste intransigeant dès lors qu'il s'agit de ses infrastructures les plus sensibles. Les opérateurs ne peuvent par exemple pas utiliser les équipements de Huawei en Île-de-France pour préserver la sécurité du cœur administratif et économique du pays. Si Bouygues Telecom et SFR (propriété du groupe Altice, comme BFMTV) continuent de recourir au géant chinois, Orange a averti en décembre qu'il ne s'appuierait plus sur ce prestataire. 

En Europe, la bataille de la 5G se jouera essentiellement entre Huawei, le suédois Ericsson et le finlandais Nokia. Et pour préserver sa souveraineté face à l'appétit chinois, l'Europe en vient à avancer de l'argent. Fin août, un prêt de 500 millions d'euros a été accordé à Nokia pour lui éviter d'être distancé par Huawei dans l'installation du réseau mobile du futur.

https://twitter.com/Elsa_Trujillo_?s=09 Elsa Trujillo Journaliste BFM Tech