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Porno, arnaques, harcèlement: pourquoi le projet de loi sur le numérique sera difficile à appliquer

De l'accès aux sites pornographiques au filtre anti-arnaque en passant par le bannissement des réseaux sociaux, les principales mesures du projet de loi se confrontent à des difficultés techniques.

Comment sécuriser l'usage d'internet? C'est à cette question que tente de répondre une poignée de députés depuis ce mardi 19 septembre. Réunis en commission spéciale, ils épluchent les quelque 888 amendements du projet de loi sur la sécurisation et la régulation de l'espace numérique. Mais si la volonté de rendre les navigations sur internet plus sûres est bien présente, les solutions pour le faire manquent cruellement.

Parmi les mesures proposées, trois grandes idées ressortent: le bannissement des réseaux sociaux des personnes commettant des infractions en ligne (notamment liées au cyberharcèlement et aux messages haineux), le blocage des sites pornographiques pour les mineurs, ou la mise en place d'un filtre anti-arnaque.

Toujours pas de blocage des sites pornos

Mais afin de bien endiguer les dérives en ligne, il s'agit de trouver des solutions techniques adaptées. Un défi bien plus relevé qu'il n'y paraît. Pour s'en assurer, il suffit de regarder les débats générés par le blocage des sites pornographiques.

Il est reproché aux sites pour adultes - tels que Pornhub, XVideos ou XHamster - de ne pas correctement vérifier l'âge de leurs visiteurs. Depuis juillet 2020, une loi indique que la déclaration de majorité n'est pas suffisante et qu'une vérification s'impose. Pourtant, malgré une demande de blocage pour cinq sites pornographiques initiée en 2021, c'est le statu quo.

La raison est avant tout technique comme le pointe la récente décision du tribunal judiciaire de Paris. Le 7 juillet, l'instance a décidé de ne pas bloquer les différents sites. Elle souligne notamment le fait qu'aucune directive pour mettre en place un procédé technique de vérification de l'âge n'est proposée.

L'idée serait donc de passer par un système de double authentification: un site ou une application (par exemple, l'opérateur télécom) vérifie l'identité de l'internaute et valide l'âge auprès des autres sites, comme les sites pornographiques. Sur le principe, le premier ne sait jamais dans quel but est utilisée l'attestation de majorité, donc les deux acteurs sont totalement séparés. En pratique, on peut craindre d'éventuelles fuites de données ou de fraudes.

Le casse-tête du banissement

La difficulté est la même pour le bannissement des personnes sur les réseaux sociaux. Si le projet de loi inclut la suspension du ou des comptes incriminés dans le cadre d'une infraction, il prévoit que l'auteur à l'origine des publications ne puisse plus accéder aux plateformes pour une durée de six mois à un an.

Là encore, il s'agit de trouver la bonne méthode pour lier des comptes sur les réseaux sociaux à une personne physique. Une méthode qui n'est pour l'heure pas précisée par le projet de loi. Un amendement propose de passer par l'outil France identité, qui dématérialise la carte d'identité. Mais cette option se heurte à la loi française, qui n'oblige pas les citoyens à disposer d'une carte d'identité, et par extension d'une carte d'identité numérique.

La mesure la plus commune du blocage d'adresse IP n'est pas idéale puisqu'elle empêcherait toutes les personnes d'un même foyer d'accéder aux services. Aussi, le blocage d'une adresse mail s'apparente à une mesure trop facilement détournable.

Pour l'avocat Alexandre Archambault, contacté par Tech&Co en avril, la seule solution permettant d'appliquer efficacement cette loi est de disposer de la carte d'identité, d'un justificatif de domicile ainsi que du numéro de téléphone de la personne incriminée.

Restriction abusive des libertés

Enfin, le filtre anti-arnaque est lui aussi soumis à ces problèmes. En juin, les gendarmes des données personnelles (Cnil), des télécoms (Arcep) et du numérique (Arcom) ont émis des réserves sur la mise en place technique et concrète des sanctions.

Afin qu'une telle mesure soit appliquée, il faudrait créer une liste rouge des sites frauduleux. Les fournisseurs d'accès à internet auront ainsi accès à cette liste. Et c'est à partir de celle-ci que les navigateurs web empêcheraient la connexion aux sites malveillants.

Mais avec des modalités techniques encore à préciser, la Cnil pointe un risque "de conduire à une restriction abusive des libertés de communication". Elle préconise ainsi que les dispositions de blocage par les fournisseurs d'accès internet ne soient réservés qu'aux cas les plus graves.

Pierre Monnier