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"J’étais dévastée", une ancienne salariée de Twitter raconte son licenciement brutal

Licenciée par Elon Musk, Melissa Ingle, ancienne data scientist pour Twitter, témoigne et raconte les dessous des licenciements massifs et s'inquiète de l'avenir d'une plateforme sans modération.

Sur les hauteurs de San Francisco, dans les rues pentues et colorées, Melissa Ingle, reçoit dans sa maison familiale. Dans le salon, en ce début de mois de décembre nuageux, trône un sapin fraîchement décoré. "C’est bientôt Noël et c’est assez stressant", s’inquiète-t-elle auprès de Tech&Co. Elle n’a pas touché d’indemnités de licenciement ni de salaire depuis un mois.

Comme beaucoup, elle fait partie de la vague de licenciements massive opérée par le nouveau patron de Twitter Elon Musk en novembre. Elle voudrait pourtant passer des fêtes de fin d’année "joyeuses avec ses deux enfants", poursuit-elle alors qu’elle jette un regard à une photo de ses enfants posée sur l’étagère.

Melissa Ingle a commencé à travailler chez Twitter en septembre 2021. Data scientist spécialisée dans la modération de contenus et spécifiquement dans la désinformation politique, son rôle était de passer en revue tous les termes qui viendraient violer les règles de la plateforme. Non seulement aux États-Unis, mais aussi partout dans le monde. Comme plus de la moitié des anciens salariés de Twitter, elle a été licenciée sans être remerciée au préalable. Dans son cas, en tant que contractuelle sous-traitante, elle ne disposait pas des avantages des autres salariés, comme le fait de disposer d’une mutuelle.

Le siège social de Twitter
Le siège social de Twitter © SAMANTHA LAUREY / AFP

"J'étais dévastée"

Installée à la table de salon, Melissa Ingle s’efforce d’apporter des réponses complètes et n’hésite pas à évoquer sa situation personnelle. Entre chacune de ses réponses, elle prend une grande inspiration pour tenter de calmer le stress. Elle se remémore avec émotion le jour où elle a appris son licenciement. C’était le 12 novembre très exactement. “La semaine des élections de mi-mandat aux États-Unis, et comme je travaillais sur la désinformation politique, j’étais très concernée par ces sujets et je n’avais aucune indication sur le travail à mener”.

Et de poursuivre: “J’étais au centre commercial avec ma fille et un ami. J’ai reçu une notification sur mon téléphone: mes accès professionnels avaient été retirés, je ne pouvais pas me connecter à ma boîte mail ou à la plateforme Slack. J’étais dévastée”.

Plusieurs questions lui viennent alors. Vivre à San Francisco, l’une des villes les plus chères, sans emploi? “Je me demandais si j’allais continuer à travailler et vivre ici”, reconnaît-elle.

Demande d'accès restée sans réponse de la part de la direction de Twitter
Demande d'accès restée sans réponse de la part de la direction de Twitter © Melissa Ingle

Puis, durant une semaine, aucune nouvelle de la direction de Twitter. Elle envoie des demandes en interne pour connaître la raison pour laquelle ses accès avaient été coupés. Mais ses sollicitations sont restées lettre morte. “Je ne savais pas ce qui allait arriver, il n’y avait pas de communication claire. La direction est complètement erratique, il n’y a eu aucune délibération collective, tous ces licenciements reposent sur une seule personne", poursuit-elle sans nommer Elon Musk.

Quelques jours plus tard, le 16 novembre, le nouveau patron envoie un mail à tous les salariés. Le message est simple: travaillez dur pour Twitter ou partez. Ils leur donnent 24h pour prendre une décision ou bien les accès seront fermés. “Aux États-Unis, dans le secteur de la tech notamment les salariés signent un accord de non-divulgation qui évite de dénigrer l’entreprise publiquement. De mon côté, je n’ai pas signé d’accord spécifique à cette situation de licenciement”.

C’est la raison pour laquelle, elle multiplie les interviews dans la presse américaine depuis son départ. “Les gens doivent connaître la manière dont fonctionne la modération”, martèle Melissa Ingle, tout en s’inquiétant de l’augmentation des contenus haineux et racistes depuis un mois. Des propos confirmés par une étude du Center for countering digital hate. Elle pointe également le manque d’ingénieurs spécialisés dans la modération alors même qu’Elon Musk a dissous le 12 décembre le conseil de confiance et de sécurité, une entité qui regroupait cent chercheurs indépendants et militants des droits de l’homme.

En 2020, les locaux de Twitter à San Francisco honoraient le mouvement Black Lives Matter
En 2020, les locaux de Twitter à San Francisco honoraient le mouvement Black Lives Matter © Tech&Co - Melinda Davan-Soulas

“C’est assez intéressant de voir que dès le mois d’avril, et les annonces de Musk concernant le rachat, il a pointé la politique de modération de Twitter”. En effet, le milliardaire se considère comme un "défenseur de la liberté d’expression absolue", quitte à ce que celle-ci soit à la limite de propos haineux, comme l’illustre de retour de comptes anciennement bannis à l’image de celui de Donald Trump.

"On croit en cette plateforme"

"Évidemment que la liberté d’expression est nécessaire", insiste Melissa Ingle. "Mais vous ne pouvez pas avoir une plateforme libre sans modération. Notre équipe a passé beaucoup de temps à tenter de répondre à ces problématiques”. Le jour du rachat, elle explique avoir été "terrifiée", mais cela ne l’a pas empêché de continuer à travailler. "Car on croit en cette plateforme", clame l’ancienne employée.

Elon Musk a tweeté à plusieurs reprises pour dénoncer les politiques de modération de Twitter avant son arrivée. Mais sa nouvelle gestion a mené à des controverses comme les Twitter Files.

Par conséquent, Melissa Ingle s’inquiète de l’avenir du réseau social. “Je tweete plus que jamais pour alerter de la situation. Des plateformes sans modération s’apparentent aux sites d’extrême droite comme 4Chan ou Gab. Pour autant, elle estime que Twitter n’est pas dans “une situation désespérée". "Grâce aux réseaux, des voix se sont fait entendre à travers Metoo ou Black Lives Matter", se rappelle-t-elle.

L’ancienne salariée est actuellement à la recherche d’un emploi et reste en contact avec ses collègues data scientist. "C’est important de garder contact. Dans un groupe WhatsApp composé d’une trentaine de personnes, on s’entraide, on se partage les annonces d’emploi". Parmi eux, certains travaillent toujours chez Twitter. "Ils ont peur de parler quand ils voient ce qu'il arrive à ceux qui ont parlé publiquement de manière négative de leur nouveau patron. Ils ont peur d’être virés ou de perdre les indemnités de licenciement", souligne-t-elle.

Avec Elon Musk, un mauvais tweet peut-être fatal. Eric Frohnhoefer travaillait chez Twitter pour le système d’exploitation Android et a osé contredire son nouveau patron. Elon Musk l’a licencié dans un message (supprimé depuis) indiquant simplement "il est viré".

Margaux Vulliet