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Suicide de Lindsay: quelle responsabilité des réseaux sociaux dans les affaires de harcèlement?

Facebook est visé par la famille de Lindsay pour avoir failli en termes de modération et de lutte contre des propos haineux. Par le passé, la plateforme a déjà été ciblée par des plaintes dans des affaires de cyberharcèlement.

Quelle responsabilité pour les réseaux sociaux dans les cas de cyberharcèlement? Parmi les quatre plaintes déposées par la famille de Lindsay, cette collégienne de 13 ans qui s'est suicidée le 12 mai, l'une vise Meta, la maison-mère de Facebook et Instagram. Les deux entités françaises sont accusées de "non assistance à personne en péril".

Interrogé par Tech&Co, l'avocat de la famille dénonce des "défaillances énormes" du côté des réseaux sociaux en ce qui concerne la "modération des contenus et de lutte contre les propos haineux adressés à la victime", avant son suicide, mais aussi après. Instagram est également épinglé par Me Pierre Debuisson qui cite un "compte sur lequel il est écrit 'Lindsay est enfin morte'".

"Il faut que les réseaux sociaux et les députés prennent la mesure de ce fléau qu'est le harcèlement sur ces plateformes et agissent", enjoint l'avocat. "Ce n'est pas normal que des propos injurieux continuent d'exister sur ces réseaux et qu'ils ne soient pas supprimés."

Contacté par Tech&Co, un porte-parole de Meta a réagi: "Nous adressons nos plus sincères condoléances à la famille de Lindsay et à ses proches. Nous ne tolérons pas l'intimidation et le harcèlement sur nos plateformes et continuons à prendre des mesures contre les contenus et les comptes qui enfreignent nos règles lorsque nous en avons connaissance."

"Un espace de non-droit"

"Nous allons mettre sous pression les réseaux sociaux de manière beaucoup plus accentuée", a assuré le ministre de l'Éducation, Pap Ndiaye, invité de BFMTV ce jeudi.

"Les réseaux ont leur part de responsabilité (...) Nous devons faire en sorte qu'ils soient beaucoup plus réactifs lorsque des situations de harcèlement circulent" prévient-il.

Il affirme également que son ministère va se concerter "avec d'autres" pour "agir de manière extrêmement ferme à l'égard des réseaux sociaux".

"Le cyberharcèlement ne s'arrête jamais", rappelle Samuel Comblez, directeur des opérations de l'association E-enfance, interrogé par BFMTV. "Là où les réseaux sociaux ont une responsabilité, c'est qu'à partir du moment où un contenu a été signalé, ils ont une obligation de les supprimer voire de fermer des comptes, et l'on peine à avoir des réponses."

Il souligne également que dans "le cyberharcèlement, plus on attend, plus les contenus vont continuer à être diffusés". "Il n'y a pas de raison que l'espace numérique soit un espace de non-droit", insiste-t-il.

D'autres plaintes contre Meta

Ce n'est pas la première fois que Meta est visé par des plaintes pour cyberharcèlement. En France, en 2019 une plainte avait été déposée à l'encontre de Facebook dans le cadre d'une affaire de cyberharcèlement dans un collège de Nîmes. Des collégiens étaient visés pour avoir diffusé des images et des montages à caractère pornographique de leurs victimes sur les réseaux sociaux. Messenger et Snapchat ont fait l'objet d'une plainte pour "diffusion d’images et de photos à caractère pornographique et complicité de corruption de mineurs".

En octobre 2022, la justice anglaise a reconnu la responsabilité des réseaux sociaux dans le suicide de Molly Russel, 14 ans, cinq ans plus tôt. Les enquêteurs chargés d'établir les causes du décès ont établi que "les effets négatifs des contenus en ligne" ont "contribué " à sa mort. Certains faisaient l'apologie des actes d'automutilation commis par des jeunes.

Facebook et Pinterest ont été reconnus en partie responsables, mais n'ont pas eu d'amende à payer et aucune poursuite n'a été engagée.

Aux États-Unis, au mois de janvier, une mère a porté plainte contre Instagram après le suicide de sa fille. Alors que sa fille était accro aux réseaux sociaux, la plainte indique que Facebook et Snapchat "ont sciemment et délibérément conçu, fabriqué, commercialisé des réseaux sociaux qui sont déraisonnablement dangereux parce qu'ils sont pensés pour créer une dépendance visant les utilisateurs mineurs".

Twitter fait l'objet d'une plainte émanant de Magali Berdah, déposée en avril pour complicité de harcèlement moral aggravé. L'agente d'influenceurs exige notamment la suppression définitive du compte de Booba dans une guerre qui oppose les deux personnalités depuis plusieurs mois.

Les réseaux sociaux assurent agir

En 2021, Facebook a annoncé avoir renforcé sa lutte contre le harcèlement en ligne en s'attaquant au harcèlement de masse. Le réseau peut ainsi retirer des messages privés ou des commentaires qui relèvent du harcèlement en fonction du contexte et d'informations additionnelles.

Côté Instagram, la plateforme a abandonné son idée de faire un réseau réservé aux plus jeunes. Depuis deux ans, les demandes de messages directs qui contiennent des propos offensants sont censés être directement masqués et ne pas apparaître pas dans la messagerie principale. En 2019, une intelligence artificielle a été lancée pour avertir les personnes souhaitant publier des messages injurieux.

Sur Twitter, il est possible de demander au réseau social de retirer des photos ou des vidéos publiées sans le consentement d'une personne. "Cette mise à jour va nous permettre de prendre des mesures sur des contenus qui ne sont pas explicitement abusifs mais qui ont été partagés sans l'accord de la personne qui y figure", précisait l'entreprise dans un communiqué.

Sauf que peu de temps après son arrivée à la tête de Twitter, Elon Musk a licencié une bonne partie des équipes de modération. Fin 2021, souffrait déjà d'un manque de moyens humains, avec moins de 2000 modérateurs dans le monde pour environ 400 millions d'utilisateurs - soit environ un modérateur pour 200.000 utilisateurs.

Twitter est régulièrement sollicité par les enquêteurs pour identifier des auteurs de harcèlement par leur adresse IP. Mais la plateforme, basée en Irlande, ne répond pas toujours favorablement aux demandes, ce qui va à l'encontre de la loi française. L'article 60-1 du code de procédure pénale impose en effet un partage de données lors de requêtes judiciaires, sous peine d'une amende de 3.750 euros

Margaux Vulliet