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Pourquoi la loi sur les influenceurs évite d'interdire la publicité pour l'alcool?

C’est un angle mort de la récente loi de régulation de l’influence: la promotion de l’alcool par les influenceurs n’a pas été interdite. Ce sera néanmoins une conséquence indirecte du texte, assure son rapporteur à Tech&Co.

"Même si on écrit pas noir sur blanc 'il est interdit de faire la promotion d’alcool pour les influenceurs', de facto cela va devenir une conséquence de ce texte", assure à Tech&Co Stéphane Vojetta, député Renaissance derrière la proposition de loi d’encadrement des pratiques des influenceurs débattue à l’Assemblée nationale.

Le texte interdit la promotion de la chirurgie esthétique et des placements financiers à risque, et encadre strictement celle des jeux d’argent. Mais dans le secteur de l'alcool, il ne fait qu’entériner que les influenceurs sont soumis aux mêmes règles que les publicitaires, en particulier la réglementation prévue par la loi Evin.

Clarification des règles

Timidement, le texte rappelle que les personnes exerçant dans le domaine de l’influence sont "soumises aux articles L. 3323‑2 à L. 3323‑4 du code de la santé publique"... et donc à son passage sur la publicité des boissons alcoolisées. Depuis 2009, la loi Evin l’autorise sur Internet, sous certaines conditions. L’influenceur est tenu d’apposer la mention "L'abus d'alcool est dangereux pour la santé, à consommer avec modération" en légende dans sa publication ou sa story, et de présenter les caractéristiques "objectives" du produit.

"Mais la loi Evin est aussi complétée par des règlements européens qui s’appliquent sur la publicité pour les boissons alcoolisées", ajoute Stéphane Vojetta. "Ils disent qu’il n’est pas possible de faire la promotion d’alcool en représentant une personne en train de consommer, ni de susciter l’impression de réussite grâce au produit, ni de donner une image négative de la sobriété."

Ces modes de promotion de l'alcool étaient jusqu'ici privilégiés par les influenceurs, à la manière de la star de téléréalité Bastos qui publie sur Instagram des photos de verres conviviaux entre amis pour faire la promo de vin.

Le député Renaissance reconnaît cependant qu’il aurait "préféré pouvoir interdire à 100% les promotions de boissons alcoolisées par des influenceurs sur les réseaux sociaux".

Enjeux viticoles

Alors pourquoi pas d’interdiction pure et simple? "Sur nos 577 députés, beaucoup représentent des territoires viticoles où a lieu la production d’alcool, et n’ont pas forcément envie de rouvrir la loi Evin, en tout cas dans le cadre d’une proposition de loi sur les influenceurs", explique l’élu à Tech&Co. Franceinfo qui le citait ce matin, mentionnait la pression des alcooliers et des députés "sensibles aux arguments de l’industrie".

Ce que disait craindre en fait le député, c’est de "mettre le texte en danger". D’après lui, la proposition de loi aurait pu être attaquée pour "inconstitutionnalité" en raison "de la création d’une inégalité entre les divers canaux de publicité pour les boissons alcoolisées".

Contenus "objectifs"?

La loi Evin interdit pourtant déjà la publicité de l’alcool à la télévision et au cinéma, considérés comme des "supports publicitaires qui s’imposent à tous", et en particulier aux mineurs, que le texte souhaite préserver. Or les réseaux sociaux sont utilisés par 7 adolescents sur 10 selon les chiffres de l’Arcom, et le système de "scrolling" sur Instagram ou encore TikTok les expose parfois à du contenu non choisi.

"Sur le papier on vous dit que tous les contenus vont être objectifs: mais en réalité, les influenceurs, par leur statut propre, plongent leur communauté dans un univers", fait remarquer Indra Seebarun, chargée d’étude pour l’association Addiction France. "La marque d’alcool s’associe à l’image de l’influenceur à qui elle fait appel."

Ces célébrités du web ont construit un lien de confiance avec leur communauté, et mettent parfois en avant un mode de vie glamour et idéalisé.

"Par ailleurs, d’après ce que nous avons pu constater, les moyens de contrôle ne permettront pas de contrôler tout le volume [de contenus] qui affluent aujourd’hui", alerte la représentante de l’association, qui a répertorié 7000 contenus en un an et demi d’influenceurs faisant la publicité de boissons alcoolisées.

Pour contrôler et éventuellement sanctionner des créateurs, Bruno Le Maire a annoncé que quinze agents de la DGCCRF formeront "dans les prochaines semaines" une "brigade de l'influence commerciale". Le ministère précisait vendredi à Tech&Co que ces nouveaux postes s'ajouteront aux effectifs déjà existants de ce service du ministère de l'Économie chargé de la répression des fraudes.

Lucie Lequier