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Inondations, urbanisme... comment Google utilise l'IA pour relever les défis sociétaux en Afrique

Au Ghana, Google développe des solutions basées sur l'IA destinées à relever les défis que représentent la planification urbaine ou encore la prévention des risques d'inondations en Afrique.

Le géant américain Google a choisi Accra (Ghana) pour lancer son premier laboratoire de recherche spécialisé sur l'intelligence artificielle (IA) basé en Afrique. Un institut inauguré en 2019 dans ce pays anglophone d'Afrique de l'Ouest dont l'objectif est de développer des solutions qui répondent aux défis sociétaux auquel fait face le continent: entre autres, le réchauffement climatique, l'étalement urbain anarchique ou encore l'apprentissage des langues africaines par les machines.

"Le centre de recherche en intelligence artificielle d'Accra se concentre sur la compréhension de la planète à travers les images satellite. C'est-à-dire comprendre la météo, étudier la planification urbaine: 'où sont les maisons et où sont les routes?'", explique à Tech&Co Abdoulaye Diack, chef de programme au sein du laboratoire de recherche spécialisé sur l'IA implanté par Google à Accra.

Anticiper les risques d'inondations avec Flood Hub

"On développe aussi des solutions pour anticiper les risques d'inondations. Dans un premier temps, nous avons essayé de régler un gros problème en Afrique qui est l'absence de prévisions météorologiques qui permettent d'anticiper les risques d'inondations", relate le chercheur d'origine sénégalaise de passage à Paris mardi 5 décembre.

Abdoulaye Diack lors de l'événement Google AI le 5 décembre à Paris.
Abdoulaye Diack lors de l'événement Google AI le 5 décembre à Paris. © Anthony Ghnassia

Dans ce but, les travaux entamés par Google à Accra ont contribué à la naissance de la plateforme Flood Hub. Basée sur l’IA, elle va compiler les prévisions météo et les images satellites puis les combiner à un modèle hydraulique qui prévoit la quantité d’eau s’écoulant dans une rivière mais aussi les inondations.

Flood Hub de Google
Flood Hub de Google © Google

"Flood Hub couvre 80 pays et envoie des notifications à 460 millions de personnes", souligne Abdoulaye Diack. En raison du manque de données locales à exploiter, Flood Hub extrapole des données météorologiques européennes pour prévoir jusqu'à sept jours les risques d'inondation pour l'Afrique et permettre aux gouvernements, aux organisations humanitaires et aux particuliers de s'y préparer en consultant les données prévisionnelles.

Un outil essentiel alors que plus de 60% de la population du continent travaille dans l'agriculture et que le réchauffement climatique accentue la multiplication de risques de pluies diluviennes. Sur le continent, les institutions et les particuliers utilisent déjà Flood Hub pour se préparer aux inondations fluviales, indique Abdoulaye Diack.

Cartographier les bâtiments avec Open Buildings

En raison du manque d'infrastructures dédiées à leurs collectes, le manque de données constitue le principal frein à l'essor de l'IA en Afrique. Des informations pourtant essentielles pour cartographier les villes, connaître leur densité de population ainsi que les zones dans lesquelles se massent les habitants afin d'établir une planification urbaine cohérente.

"Si vous observez des cartes en vous promenant dans les rues de certaines métropoles africaines, vous remarquerez que certains quartiers n'y figurent pas. Parce qu'il s'agit de maisons très proches les unes des autres ou construites avec des matériaux de fortunes qui sont difficiles à détecter pour une IA", dépeint Abdoulaye Diack.

Pour remédier à ce problème, les équipes de Google à Accra ont conçu Open Buildings, une base de données ouvertes qui répertorie, à partir d'images satellites en haute résolution et d'outils d'apprentissage automatique, 516 millions de bâtiments situés sur le sol africain soit 64% du continent. "Cela inclut les camps de réfugiés et les zones urbaines très denses" dans lesquelles plus d'un milliard d'Africains vivront d'ici 2030, précise Abdoulaye Diack.

L'outil permet, par exemple, de coordonner une réponse humanitaire en cas d'urgence, mesurer les conséquences des catastrophes naturelles en estimant le nombre de bâtiments touchés ou encore évaluer les besoins énergétiques de la population.

Intégrer les langues africaines dans Google Assistant

La ville de Derna (Libye), dévastée par des inondations meurtrières en septembre 2023, ainsi que le Maroc, secoué par un tremblement de terre à la même période, ont notamment bénéficié de cette solution. Cette dernière a notamment permis d'identifier les zones d'habitation touchées ainsi que les édifices détruits par les deux catastrophes naturelles afin d'organiser au mieux les secours et la reconstruction.

Enfin, le laboratoire de recherche de Google au Ghana s'est penché sur les langues africaines dont la majorité est peu accessible en ligne faute de données en quantité suffisante. "Tu peux parler à Google Assistant en Français ou en Anglais mais pas en Wolof ou d'autres langues africaines. Or, on voulait s'assurer qu'elles soient intégrées ", explique Abdoulaye Diack.

Le centre s'est associé à l'université du Ghana pour produire des jeux de données en open source. Avec cela, "n'importe quel développeur au Ghana peut entraîner un modèle d'IA pour qu'il fonctionne avec les langues du Ghana", détaille Abdoulaye Diack. Pour le moment, seule l'intelligence artificielle Google Bard inclut la langue Swahili.

Accélérer la transformation digitale en Afrique

Selon Abdoulaye Diack, le continent africain n'attend personne dans la révolution de l'IA qui s'annonce. Il en veut pour preuve l'essor des investissements consentis dans le domaine par les investisseurs étrangers et la multiplication des créations de startups locales dans le domaine.

L'ingénieur sénégalais note toutefois un bémol: la lenteur de la transformation digitale en cours sur le continent. "Si vous allez à l'hôpital, il y a des grandes chances pour que vos données de santé soient écrites sur du papier au lieu d'être stockées sur des serveurs. Comment voulez-vous appliquer l'IA de cette manière?", interroge-t-il en précisant que plusieurs startups de santé africaines commencent à s'emparer du sujet. "Elles veulent se servir de l'IA pour définir le parcours de santé du patient de A à Z".

Par ailleurs, à l'instar du Rwanda, certains gouvernements africains adoptent des législations favorables au développement de l'IA. "Récemment, la startup InstaDeep a ouvert un bureau dans le pays. Je sais également qu'il y a beaucoup d'activité au Maroc grâce à la législation", soutient Aboudlaye Diack. Concrètement, le principal défi à relever est d'accélérer la transformation digitale du continent et de juguler la fuite des cerveaux.

"Un pays comme la Roumanie embauche de nombreux chercheurs africains. C'est un problème si tout le monde s'en va. La question sera de savoir comment on les garde sur le continent", estime Abdoulaye Diack. D'après lui, le salut de ce dernier passe par d'importants investissements de la part des gouvernements locaux et des programmes qui favorisent le retour des chercheurs africains dans leurs pays d'origines.

Louis Mbembe