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Stellar Blade: face à la polémique sur le physique de son héroïne, le créateur du jeu revendique "le droit à la diversité"

Attendu le 26 avril sur PS5, Stellar Blade a dû faire face à une polémique sur son héroïne jugée trop sexy par certains. Une plastique qui a éclipsé un titre coréen qui a aussi "le droit d'exister", explique son créateur en exclusivité à Tech&Co.

L’ambiance post-apocalyptique a décidément la cote. Si la série Fallout ne vous a pas donné envie de vous remettre au(x) jeu(x), Stellar Blade va peut-être finir de vous convaincre que la fin du monde est toujours un terrain de jeu palpitant, notamment quand, en toile de fond, on parle de fin de l’humanité et de son remplacement. Encore un coup de l’intelligence artificielle? Non, pas cette fois. Même si l’on devine l’influence d’un remplacement massif de l’être humain par une entité tout autre.

"C’est peut-être cliché, mais il est vrai que les craintes autour de nos emplois se sont accrues et certains ont été remplacés par l’IA. Donc en poussant la réflexion encore plus loin, j’ai envisagé la fin de l’humanité remplacée par quelque chose qui ne serait pas vraiment humain", confie à Tech&Co Kim Hyung Tae, créateur de Stellar Blade et cofondateur du studio Shift Up. "Quand cela arriverait, que deviendrais-je? À quoi ressemblerait la situation? Ce fut la réflexion de base de Stellar Blade.

Stellar Blade
Stellar Blade © Playstation / Shift Up

Une Barbarella 2024

Ainsi, démarra la création du tout premier jeu sur console du studio coréen jusque-là spécialisé dans le jeu mobile (Destiny Child). L’idée était d’en faire un jeu d’action mettant en scène une héroïne, Eve, opposée à d’horribles créatures déshumanisées autant physiquement que dans leur volonté de dominer la Terre désolée et détruite tandis que les humains ont fui. Au sein du 7e Escadron aéroporté - composé de femmes sculpturales androïdes -, Eve est une soldate chargée d’éliminer des créatures, les Naytiba, qui ont pris possession de la planète afin de rendre le pouvoir aux êtres humains dont les survivants sont à Xion, dernière ville de la planète.

À coup d’armes futuristes, d’options de combat, de coups dans tous les sens, voici donc notre héroïne en talons et tenue moulante, cheveux au vent et minois enfantin, parcourant le désert, les plaines arides et les villes détruites pour réussir sa mission. "J’étais un grand fan des films dystopiques des années 1980-90", raconte Kim Hyung Tae. "Ceux qui décrivent l’avenir de l’humanité de manière extrême et négative. Ce fut mon inspiration. Mais c’est aussi le film Alita: Battle Angel, inspiré d’un manga futuriste de Yukito Kishiro, qui a été notre principale influence."

Jane Fonda incarnant Barbarella dans le film du même nom de Roger Vadim (1968)
Jane Fonda incarnant Barbarella dans le film du même nom de Roger Vadim (1968) © Paramount

Un côté film de science-fiction post-apocalyptique et d’action avec une héroïne aussi sexy qu’intraitable qui ne serait pas sans rappeler Barbarella version 2024 aux plus anciens. Et ses formes mises en exergue n’ont pas manqué de susciter la polémique en Occident, certains reprochant l’approche trop sexualisée de la création du personnage.

"Je comprends parfaitement ce qu’il s’est passé sur ce point, la conception des personnages et pourquoi c’est devenu un sujet plus important qu’on ne le pensait", confie le créateur du jeu. "La Corée est restée un peu en dehors du problème, c’était donc difficile pour nous de vraiment saisir ce qu’il se passait."

"J’ai été surpris de voir que cela était pris beaucoup plus au sérieux que ce à quoi je m’attendais", explique-t-il.

Et de souligner que le rapport à la beauté n’est pas saisi pareil dans son pays et en Occident. Il est vrai qu’en Corée du Sud, la plastique est importante et la question de la chirurgie dans tous les esprits dès qu’il est question d’avoir une apparence parfaite. Et de confier que les joueurs de ce type de jeux d’action ont souvent plus envie de jouer avec des personnages hors du commun, beaux si possible et différents de ce qu’ils voient au quotidien.

"Important que ce genre de jeux puisse aussi exister"

Stellar Blade ne serait-il pas le reflet de différences culturelles encore prégnantes qui, même avec les meilleures velléités d’ouverture à l’internationale, provoquent encore un peu d’incompréhension? Sans doute, reconnaît le directeur du jeu, qui veut tout de même que "ce genre de jeux puisse aussi exister".

"Bien sûr qu’il faut garder à l’esprit les questions de réalisme lors de la création et je respecte cela. Mais ce ne sont pas les seuls points qui doivent exister", revendique-t-il. "Il est important de conserver de la diversité." Et l’on ne peut pas dire que le personnage d’Eve n’est pas réaliste ni respectueux (hormis peut-être de combattre en talons aiguilles...). De plus, comme il le rappelait au moment où la polémique éclata, l’héroïne sera vue la majorité du temps par les joueurs… de dos. Le point sur lequel ils ont "soigné sa création".

Pour lui, il est nécessaire d’avoir un marché du jeu vidéo "sain et diversifié" dans ses propositions. "Différents types de jeux doivent pouvoir coexister", réclame le créatif. "Et j’espère que cela sera accepté par de nombreuses personnes." Car pas question pour lui de toucher au jeu ou de le modifier selon les endroits du monde. Les joueurs ont le droit de découvrir l’œuvre intégrale. C’est pour cela que Stellar Blade ne sera pas censuré. Même Playstation connu pour être parfois frileux n’a pas l’intention de faire changer le studio de position.

Stellar Blade, plus qu'un jeu sexy

Shift up espère néanmoins que ce ne sera pas la seule étiquette - certes sexy - à coller au jeu. "Il y a d’autres aspects dans lesquels nous avons mis beaucoup d’efforts comme les combats de boss, l’exploration ou encore les interactions avec les autres personnages. J’espère que les joueurs auront aussi un œil dessus, car nous avons eu à cœur de bien faire les choses", plaide-t-il.

Stellar Blade
Stellar Blade © Playstation / Shift Up

Et il est vrai que, pour sa première apparition sur console, Stellar Blade, une exclusivité de plus pour la PS5, a mis la barre très haut. Dans le soin apporté à la création des décors, des personnages et des Naytiba même affreux. Le jeu est lumineux, peaufiné, parfois trop parfait sans doute à l’image de son héroïne. Un premier jeu console qui veut conquérir les joueurs et surfer sur la vague à succès coréenne. Les œuvres culturelles de la péninsule asiatique, des séries TV à la musique en passant par les jeux vidéo, semblent actuellement vouées à la réussite populaire.

"Il y a un intérêt croissant pour la culture coréenne et beaucoup commencent à réaliser qu’en Corée, on sait créer du contenu auquel tout le monde peut s’identifier. On veut que Stellar Blade en soit un digne représentant et un point de départ pour s’intéresser davantage à la culture coréenne. En espérant que cela contribue à ce que tout le monde s’entende et s’aime". Un vœu pieux, avec ou sans polémique pour faire bien involontairement parler de soi.

Melinda Davan-Soulas