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Pranks, vidéos intimes... Faut-il davantage protéger les enfants d'influenceurs?

Des parents prenant une photo avec leur enfant (photo d'illustration).

Des parents prenant une photo avec leur enfant (photo d'illustration). - Peggy_Marco / Pixabay

Une proposition de loi visant notamment à protéger la dignité des enfants d'influenceurs a été adoptée ce lundi à l'Assemblée nationale. Elle vient compléter une première loi de 2020, qui n'a pas été entièrement appliquée.

Fin janvier, l'influenceuse Jessica Thivenin a fait croire à son fils de trois ans qu'elle lui touchait le visage avec des excréments. Dégoûté, le petit a pleuré puis boudé. Et ce prank a fini sur Tiktok, où il a été vu 6 millions de fois.

Le député Renaissance Bruno Studer y a vu une "atteinte à l'image" du petit garçon. Quelques jours plus tôt, il déposait une proposition de loi sur le droit à l'image des enfants sur Internet, alarmé par les vidéos de ce type et la multiplication des vlogs familiaux, qui montrent notamment des enfants dans leur quotidien ou leurs vacances

Ce texte, adopté à l'unanimité par les députés ce lundi, prévoit que les parents d'un enfant mineur exercent en commun son droit à l'image et qu'ils associent l'enfant "selon son âge et son degré de maturité à cet exercice".

Elle rend également possible pour un parent, s'il est en désaccord avec l'autre sur la question, de saisir le juge aux affaires familiales. Ce dernier peut, s'il l'estime nécessaire, interdire à l'un des parents de publier des contenus relatifs à l'enfant sur les réseaux sociaux.

Les influenceurs "famille" dans le viseur du député

Le député du Bas-Rhin ne s'en cache pas: une partie de sa proposition de loi vise directement les créateurs de contenus qui exposent leurs enfants sur les réseaux sociaux. C'est plus particulièrement le cas du dernier article, qui ouvre la voie, dans le cas où le juge l'estime nécessaire, à une délégation forcée de l'autorité parentale.

En clair: des parents qui publient des contenus présentant une atteinte à la dignité de leur enfant peuvent se voir retirer son droit à l'image. Il serait alors confié à un tiers, un autre membre de la famille par exemple.

"À la tentation de la viralité, il faut privilégier l’impératif de l'intimité", est-il écrit dans l'exposé des motifs de la proposition de loi, qui doit désormais passer par le Sénat.

Ce dernier cite aussi "les vidéos de bébés sur le pot ou dans le bain" parmi les contenus problématiques publiés sur les réseaux sociaux. Sans compter que, selon le député, une large partie des contenus pédopornographiques que l'on trouve en ligne est détournée à partir de photos ou vidéos d'enfants publiées par leurs propres parents.

"C'est la poursuite des travaux que j'ai entamés avec la loi sur les enfants influenceurs de 2020, c'était un premier pas dans cette régulation de l'image des enfants en ligne" explique Bruno Studer à BFMTV.com. Ce texte a déjà dessiné un cadre pour les enfants influenceurs: il a permis de professionnaliser le secteur avec des règles similaires aux enfants mannequins ou aux comédiens mineurs.

Depuis la publication d'un premier décret en avril 2022, les parents qui veulent par exemple créer une chaîne Youtube dont leurs enfants sont les principaux acteurs doivent auparavant en demander l'autorisation auprès de l'administration. Contactée par BFMTV.com, la Direction générale du travail, qui dépend du ministère du Travail, nous a indiqué "ne pas disposer" du nombre de dossiers déposés à ce jour.

La loi de 2020 oblige également les parents à placer une partie des revenus perçus par leur enfant à la Caisse des dépôts et consignations jusqu'à leur majorité, comme c'est la règle pour les enfants du spectacle. Sophie Benarab, directrice de l'agence d'influenceurs Maison Made in, estime qu'il est désormais "un peu plus facile d'expliquer aux marques pourquoi elles doivent payer l'enfant" qui apparaît dans un partenariat.

Le flou règne pour les enfants d'influenceurs

S'il s'agit là de règles pour les enfants influenceurs, qu'en est-il pour les "enfants d'influenceurs"? Bien plus nombreux que les premiers, ils apparaissent pour certains régulièrement sur les réseaux sociaux de leurs parents, parfois dans des placements de produits, sans toutefois être l'objet principal du compte.

C'est par exemple le cas des filles de Cindy Poumeyrol. Cette influenceuse qui s'est fait connaître dans Koh Lanta montre ses deux filles sur son compte Instagram et les fait participer à certains placements de produits. Dans ce cas, elles touchent de l'argent qui est bloqué à la Caisse des dépôts et consignations car elles sont encadrées par une agence de mannequinat, affirme la créatrice de contenus à BFMTV.com.

Cindy Poumeyrol assure ne pas s'être posée beaucoup de questions avant de montrer ses enfants sur les réseaux sociaux, car ses partages "sont très spontanés". "J'étais déjà connue quand je suis tombée enceinte et j'ai accepté de jouer le jeu à fond", explique-t-elle.

"Ce qui me dérange, c'est quand on met en scène ses enfants", répond-elle. "Moi, je fais un partage réaliste de mon quotidien."

Mais, contrairement à Cindy Poumeyrol, "il y a des créateurs qui n'ont pas de contrats pour leurs enfants pour les contenus sponsorisés", selon Sophie Benarab, dont l'agence est spécialisée dans les contenus "famille".

Un décret d'application qui se fait attendre

La loi de 2020 prévoyait pour ce cas de figure des règles similaires à celles des enfants influenceurs: elles seraient applicables à partir d'un seuil de revenus générés par la présence de l'enfant, de temps de présence de ce dernier à l'image ou de nombre de contenus publiés où il apparaît.

Ces seuils attendent d'être fixés depuis deux ans et demi, par un décret. Bruno Studer assure interroger "régulièrement" le gouvernement sur la question, mais souligne que la définition de ces paliers présente plusieurs défis. "Sur le nombre d'heures passées à préparer un contenu avec un enfant par exemple, c'est du déclaratif simple: comment contrôler le nombre d'heures déclarées?", s'interroge le député.

"On peut faire beaucoup de vidéos et ne pas gagner d'argent. C'est pour cela que ça prend du temps, je ne jette pas la pierre au gouvernement", ajoute-t-il.

Avocate au barreau de Lille, Marilou Ollivier, dont le cabinet traite de dossiers relatifs à l'influence, identifie un autre problème: "Qui fait valoir le droit de ces enfants?". "L'inspection du travail est déjà débordée et manque d'effectif, donc elle ne va jamais se déplacer pour aller contrôler un influenceur", affirme-t-elle.

"Il est impossible de tout surveiller", répond le député Bruno Studer, qui se dit "conscient des limites de la loi" de 2020 et met en avant son rôle de "sensibilisation". "Il faut des moyens au sein des préfectures pour appliquer la loi", déclare-t-il toutefois.

Une relation de travail singulière

Marilou Ollivier, du cabinet Chhum avocats, juge également que pour les influenceurs qui publient des contenus avec leurs enfants, "il y a un vrai flou entre ce qui relève de la parentalité et ce qui s'inscrit dans le cadre d'une relation de travail". "Par exemple, quand on filme un enfant en lui disant quoi faire, on sort de son rôle de parent pour avoir un rôle d'employeur", explique-t-elle.

Selon une étude Potloc publiée en février par l'Observatoire de la parentalité et de l’éducation numérique (Open), 44% des 273 parents influenceurs interrogés disent obtenir le consentement de leur enfant avant de publier du contenu sur lui. 30% d'entre eux disent fixer une fréquence maximum de diffusion de photos/vidéos le concernant.

Ce mélange des genres fait que la relation parent influenceur - enfant (d')influenceur n'entre pas dans les cadres classiques de la relation employeur - salarié. Et un enfant (d')influenceur qui ne se sent pas respecté dans son travail ou ne veut plus apparaître sur les réseaux sociaux de ses parents va difficilement agir en conséquence.

"Qui va aller se plaindre, saisir la justice? Peut-être que dans quelques années, les enfants intenteront des actions mais c'est difficile, on intente contre ses propres parents", observe Marilou Ollivier.

De son côté, l'influenceuse Cindy Poumeyrol jure que si dans quelques années, ses filles lui demandent de retirer les publications où elles apparaissent, elle le fera volontiers.

"Si on fait attention à toutes les critiques, on ne fait plus rien", balaie-t-elle lorsqu'on lui parle des commentaires négatifs sur l'exposition de ses enfants sur les réseaux sociaux. "C'est juste assumer que je suis une personnalité publique, je vis de ça." Pour elle, "ça fait partie du job" de montrer la plupart des facettes de sa vie. Dont ses enfants.

Sophie Cazaux