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Netflix, Prime Video, Disney+… pourquoi les plateformes de streaming multiplient les séries locales

Laure Calamy dans la série Max "Une amie dévouée", prévue pour 2024.

Laure Calamy dans la série Max "Une amie dévouée", prévue pour 2024. - Rémy Grandroques/Warner Bros. Discovery 

Au festival Séries Mania, les grandes plateformes de streaming américaines ont dévoilé leurs prochaines créations. Avec un axe commun: la multiplication des séries locales, notamment françaises.

Les plateformes de streaming entrent dans l'ère de la maturité. Dix ans après l'arrivée de Netflix en France, événement qui a fait basculer l'audiovisuel dans une autre dimension, les plateformes américaines ont revu leur stratégie. Fini les "cowboys" hollywoodiens qui imposent leurs méthodes et leurs productions au marché européen. Désormais, Netflix, Disney, Amazon et compagnie s'ancrent dans chaque pays pour développer des créations originales plus locales et plus variées.

Preuve de cette nouvelle stratégie, les investissements des géants du streaming n'ont jamais été aussi élevés sur le Vieux Continent. Ils représentent 24% des investissements dans les contenus originaux européens (chaînes et plateformes), soit environ cinq milliards d'euros en 2022 (+70% en un an), selon l'Observatoire européen de l'audiovisuel.

Et si Netflix reste le principal commanditaire auprès des producteurs locaux, cette hausse est surtout poussée par l'émergence des autres plateformes, notamment Disney+ et Prime Video qui, à leur tour, jouent le jeu des séries locales. Au festival Séries Mania, tous les "streamers" majeurs ont ainsi multiplié les annonces de séries françaises, espagnoles, allemandes, grecques, danoises…

"Les plateformes de streaming ne font plus peur"

Tous les pays européens ne bénéficient évidemment pas des mêmes investissements de la part des plateformes. La France représente à ce titre 13% des investissements des streamers en Europe, à la troisième place derrière le Royaume-Uni (36%) et l’Espagne (19%). Un écart qui tient notamment au potentiel linguistique de chaque pays. Alors que les séries britanniques peuvent aisément rencontrer un écho mondial et que les séries espagnoles sont facilement diffusables en Amérique latine, les séries en langue française s'adressent à une audience moins globalisée.

Mais cela ne veut pas dire pour autant que les "petits" pays européens sont le parent pauvre de ces investissements. Les producteurs locaux s'estiment désormais mieux considérés par les plateformes de streaming américaines, comme l'a expliqué Pandora Gagnon da Cunha Telles, PDG d'Ukbar Filmes, une des principales sociétés de production au Portugal, lors d'une conférence sur le sujet à Séries Mania.

"Les streamers ne font plus peur pour les petits pays européens. Désormais, ils représentent des opportunités pour faire émerger des projets et les montrer dans le monde entier", se rejouit-elle.

"Au début, nous sommes venus avec notre modèle hollywoodien. Nous prenions beaucoup de risques donc nous voulions garder la maîtrise des projets. Nous avons évolué, nos contrats sont plus flexibles aujourd’hui. Il y a un échange avec les producteurs, ils n’ont pas tous les même priorités", reconnaît Larry Tanz, vice-président de Netflix en charge des contenus pour l'Europe, l'Afrique et le Moyen-Orient, alors que les géants du streaming ont été particulièrement ciblés lors de la grève des scénaristes à Hollywood.

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Un autre facteur entre en ligne de compte pour les plateformes au moment d'arrêter leurs choix d'investissement en Europe: la pénétration du streaming dans les foyers. En France, un ménage souscrit en moyenne à un abonnement de streaming (101 abonnements pour 100 ménages), selon l'Observatoire européen de l'audiovisuel. Loin de la Norvège (260 pour 100) et du Danemark (218 pour 100) mais aussi du Royaume-Uni (159 pour 100) et juste derrière l’Allemagne (109 pour 100). Mais devant l’Espagne, à 95 pour 100, et l’Italie, à 81 pour 100.

Des créations originales plus locales et plus variées

Résultat, les plateformes multiplient les créations originales à l'échelle locale. "En ce moment, nous avons 40 projets en cours en Europe et nous travaillons avec 400 producteurs", explique Larry Tanz. "On veut que vous pensiez à Netflix en premier quand vous allumez votre télévision", ajoute-t-il, d'où la volonté de la plateforme "de s’adresser au public le plus large, dans toutes les langues".

Avec ces productions locales, "on rétrécit le monde dans le bon sens du terme, on rapproche des gens de différentes cultures", estime Larry Tanz.

Une stratégie désormais commune à la plupart des grandes plateformes, Apple TV+ exceptée. Comme Netflix, Prime Video, Disney+ et Paramount+ ont installé des équipes éditoriales dans la plupart des pays d'Europe pour travailler au plus près des producteurs et des scénaristes. Même Max, la plateforme de Warner Bros. Discovery, qui sera lancée cet été en France (et le 21 mai dans le reste de l'Europe), a déjà montré patte blanche.

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"Nous allons acheter des contenus pour notre catalogue (qui contient notamment les séries HBO, ndlr) et nous allons produire des contenus originaux en Europe", dévoile Clément Schwebig, président de Warner Bros. Discovery pour l'Europe de l’Ouest et l'Afrique). "On coproduit déjà des films en France depuis plusieurs décennies", rappelle-t-il par ailleurs, citant les récents Simone, le voyage du siècle et Bernadette.

"Pour ces nouvelles séries, on a cherché ce qui pouvait le plus résonner avec les audiences locales. Et une bonne histoire résonne toujours", appuie Clément Schwebig.

Max a ainsi présenté trois séries originales françaises. Une amie dévouée, avec Laure Calamy, est tirée de l'histoire vraie de la "mythomane du Bataclan". Malditos, un "thriller criminel" autour d'une famille de gitans de Camargue. Et une adaptation du livre Vivre avec nos morts de la rabbine Delphine Horvilleur. "On ne veut pas faire le 'Succession' français. On veut s’inscrire dans la continuité de HBO, ajouter notre pierre à cette histoire", assure Vera Peltekian, vice-présidente en charge des productions originales de Max France.

À chaque plateforme sa stratégie locale

Produire des séries locales, oui mais lesquelles? C'est là que la stratégie de chaque plateforme diffère. Netflix assume ainsi de pousser les curseurs sur les genres les plus regardés localement.

"On veut faire la meilleure version de ce qui plaît aux gens dans chaque pays. Les films d’actions en France, le crime en Allemagne… Parfois ça marche, parfois non. Mais on ne s’enferme pas dans ce qui est attendu", explique Larry Tanz.

Le géant américain a ainsi présenté La cage, série créée par Franck Gastambide et qui se déroule dans l'univers du MMA, sport qui gagne en popularité dans l'Hexagone. Outre-Rhin, la série de braquage allemande Crooks vise une cible bien identifiée par Netflix. Et Kaos, série britannique qui réinterprète la mythologie grecque avec Jeff Goldblum, illustre l'ancrage européen de Netflix puisqu'elle a été en partie tournée dans son studio de Tres Cantos, près de Madrid, en Espagne.

Prime Video mise, elle, sur Ourika et un nom, celui du rappeur Booba. Élie Yaffa, de son vrai nom, a imaginé et joue dans cette série qui suit une famille de trafiquants en 2005, dans le cadre de l'embrasement des banlieues.

De son côté, Disney+ va surfer sur la tendances des séries situées dans l'univers de la haute-couture avec Becoming Karl Lagerfeld, création française qui met en scène les jeunes années du couturier, interprété par l'acteur allemand Daniel Brühl.

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Et la plateforme tente en parallèle un pari risqué puisqu'elle sera la première à se doter d'un "soap opera". Return to Las Sabinas, dotée de 70 épisodes qui seront diffusés quotidiennement du lundi au vendredi, est pensé comme "un soap premium, qui ne ressemble pas à une telenovela", selon Sofia Fabregas, responsable des créations originales de Disney+ Espagne.

"Notre objectif en Europe est d’atteindre le niveau de qualité de Disney aux États-Unis", résume Liam Keelan, vice-président en charge des contenus originaux de Disney+ pour l'Europe et l'Afrique.

Une formule qui résume assez bien l'évolution du streaming depuis quelques années. Plus question d'imaginer une audience mondialisée et uniforme. L'Europe est désormais une zone bien distincte des États-Unis, avec une audience qui des attentes bien spécifiques et un écosystème avec ses propres enjeux financiers et culturels.

Clément Lesaffre