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Selon une étude américaine, le changement climatique rend moins sensibles les végétaux à la sécheresse (image d'illustration)

chillervirus – Pixabay – CC

"Un mal-être constant": ils souffrent d'éco-anxiété, le mal du changement climatique

L'éco-anxiété, ou solastalgie, est une détresse psychologique provoquée par la prise de conscience de l'ampleur du changement climatique. Témoignages.

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Des méga-feux qui ravagent le Canada ou la Sibérie, la hausse du niveau des océans, la fonte du pergélisol ou encore la perte de la biodiversité, les signes du changement climatique sont nombreux. Pour certains et certaines, cette modification rapide du climat et l'augmentation des événements climatiques extrêmes qui lui sont associés représentent une véritable source d'angoisses.

"J'en suis malade"

Comme Marie (qui a souhaité que son prénom soit modifié), une traductrice de 44 ans qui réside en Haute-Savoie. Elle se dit particulièrement inquiète pour ses deux enfants.

"C'est un stress quotidien de penser que j'ai mis des enfants au monde et qu'ils vont vivre là-dedans", témoigne-t-elle pour BFMTV.com. "Parfois, j'ai des flashs affreux sur ce qui les attend, j'en suis malade, ça m'empêche de dormir la nuit. Souvent, pendant mes insomnies, j'en pleure."

Marie souffre d'éco-anxiété, une détresse prospective liée à l'avenir, parfois également appelée solastalgie, un néologisme inventé par un philosophe australien au début des années 2000. "Si les deux notions sont similaires, elles n'ont cependant pas la même temporalité", nous explique Charline Schmerber, praticienne en psychothérapie qui a mené une enquête sur le sujet. "La solastalgie est plus rétrospective et liée à un constat de perte."

"Je me disais 'à quoi bon'"

Salomé Rolland, une étudiante bruxelloise en dernière année de psychologie, a vécu une période particulièrement difficile il y a trois ans. L'élément déclencheur: le rapport choc du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (Giec) de 2018 dans lequel il assurait que la Terre était au bord du gouffre.

"Je m'intéresse à l'écologie depuis l'enfance mais je n'avais pas réalisé l'ampleur du problème", témoigne la jeune femme de 24 ans. "Ce rapport m'a bouleversée. Le pire, c'était l'incertitude, le fait qu'on ne contrôlait rien."
Des inondations ont frappé la ville de Helmetta, dans le New Jersey, avec le passage de la tempête Henri, dimanche 22 août 2021
Des inondations ont frappé la ville de Helmetta, dans le New Jersey, avec le passage de la tempête Henri, dimanche 22 août 2021 © Tom Brenner - AFP

Pour Salomé, la vie perd même de son sens. "J'étais très déprimée, je ne voyais plus quel était l'intérêt d'étudier, de travailler. Je me disais 'à quoi bon'." En consultation, les patients arrivent souvent avec des visions apocalyptiques de l'avenir. Une phrase revient souvent: "J'ai perdu la joie."

"Certains m'ont déjà dit qu'ils avaient du mal à se réjouir quand un de leurs amis leur avait annoncé attendre un enfant", poursuit Charline Schmerber, spécialiste de l'éco-anxiété et de la solastalgie. "C'est comme si ça les heurtait."

"Je me dis qu'on n'y arrivera jamais"

Ces inquiétudes sur l'avenir questionnent même leurs projets de vie. Comme pour Maëva*, une comédienne de 36 ans. Cette Parisienne remet aujourd'hui en cause son désir de fonder une famille, elle qui pourtant ne voyait pas son avenir sans enfant. "Avoir un enfant, c'est une vraie question que je me pose", confie-t-elle. "Quel sens ça aurait? Quel monde leur offre-t-on?"

Angoissée depuis plusieurs années par le changement climatique, la jeune femme se dit avant tout résignée, voire défaitiste. Maëva fait pourtant attention à ses choix, opte pour des produits réutilisables, en vrac, bio, locaux, limite l'usage de la voiture mais a l'impression que c'est peine perdue.

"C'est une goutte d'eau. Je ne crois pas qu'on puisse redresser la barre et je me demande vers quoi on se dirige. Quand je vois tout le plastique que l'on continue de consommer, je me dis qu'on n'y arrivera jamais."
La fonte de la banquise arctique
La fonte de la banquise arctique © Simon MALFATTO © 2019 AFP

"La culpabilité à mettre au monde un enfant"

Chacun aurait en soi le potentiel pour devenir éco-anxieux, assure à BFMTV.com Alice Desbiolles, médecin en santé publique, épidémiologiste et auteure de L'éco-anxiété, vivre sereinement dans un monde abîmé. Certains profils semblent tout de même davantage touchés, comme les scientifiques, les professionnels de l'environnement, les militants écologistes et les jeunes.

"Les jeunes adultes sont très concernés", pointe-t-elle pour BFMTV.com. "Ils n'ont pas le même horizon temporel que les personnes plus âgées. Dans trente ou cinquante ans, ils seront toujours là."

Llena*, une jeune femme de 23 ans qui réside dans le Rhône et vient d'achever ses études d'histoire, est sur le point d'accoucher. Mais elle n'a pas vécu sa grossesse sereinement. "J'ai eu de grosses angoisses et de la culpabilité à mettre au monde un nouvel être humain", confie-t-elle à BFMTV.com. Elle évoque la pression démographique qui augmente et l'épuisement des ressources.

"C'est terrible de se dire que notre enfant qui aura 30 ans en 2050 vivra directement le changement climatique (selon le Giec, qui a décrété l'alerte rouge, des effets dévastateurs du dérèglement climatique se feront ressentir à cette écheance avec des conséquences dramatiques pour les populations, NDLR). Que sera sa vie? C'est une pression permanente de se dire qu'on ne peut rien faire."
Un pompier mobilisé sur l'incendie dans le Var, à Vidauban, le 18 août 2021
Un pompier mobilisé sur l'incendie dans le Var, à Vidauban, le 18 août 2021 © NICOLAS TUCAT © 2019 AFP

La jeune femme est tout de même parvenue à s'apaiser et à concilier leur future vie à trois avec ses aspirations écologiques. Avec son conjoint, des stratégies ont ainsi été trouvées afin que la famille ait le moins d'impact sur la planète - achat de vêtements de seconde main, les produits jetables sont proscrits.

"On fait notre possible à notre échelle", ajoute Llena. "On s'est inscrits au compost de la ville, ça nous tenait à cœur. Quand, au début, on nous a annoncés qu'on était sur liste d'attente, j'en ai fondu en larmes. Ça me faisait mal au cœur de devoir jeter ce qui pouvait être compostable. Et puis finalement on a eu une place. On a donc rejoint cette association et ça nous a fait beaucoup de bien. On a rencontré des personnes qui partagent les mêmes valeurs, ça redonne de l'espoir."

Pour certains et certaines de ces éco-anxieux, s'engager personnellement s'est en effet avéré un moyen efficace pour lutter contre ces angoisses. C'est ce qu'il s'est passé pour Nathan*, un étudiant angevin de 23 ans, qui a vécu un moment difficile après avoir réalisé l'ampleur du changement climatique.

"J'étais en L2 de Sciences et vie de la Terre et on avait des cours sur la biodiversité et le changement climatique", se souvient-il pour BFMTV.com. "J'ai réalisé que c'était bien plus grave que ce que je pensais. J'étais complètement perdu, j'avais peur de l'avenir, je ne savais plus quoi faire de ma vie. C'était un stress permanent, un mal-être constant, j'en parlais tout le temps, mes proches ne comprenaient pas."

Une prise de conscience écologique qu'il dit avoir vécue "comme un deuil". "Je suis passé par toutes les étapes: de la colère à la négociation jusqu'à l'acceptation." Aujourd'hui, Nathan assure aller mieux. Notamment depuis qu'il a décidé de prendre un virage écologique.

Il a renoncé à la biologie moléculaire et réorienté ses études: il est aujourd'hui en M1 d'écologie et développement durable en alternance. Quand il n'est pas sur les bancs de l'université, il travaille comme chef de projet pour une entreprise qui installe des éoliennes. Il s'est également engagé dans plusieurs associations.

"Je me suis dit qu'il fallait faire quelque chose", poursuit Nathan. "J'ai toujours été engagé. Du coup, j'ai orienté cet engagement vers l'écologie. Passer à l'action m'a fait accepter la situation et me sentir mieux."

"Une pulsion de vie"

Agir, c'est également ce qui a aidé Salomé Rolland, qui évoquait un peu plus haut sa difficile prise de conscience. Après plusieurs mois d'angoisse et d'un sentiment d'impuissance, la jeune femme parvient à rebondir.

"J'ai décidé qu'il ne fallait pas rester passif face à cette situation et qu'il fallait que j'en fasse mon métier pour donner aux générations futures le meilleur avenir possible."
Vue aérienne d'une zone de déforestation de la forêt amazonienne, le 7 août 2020 près de Sinop, dans l'Etat du Mato Grosso, au Brésil
Vue aérienne d'une zone de déforestation de la forêt amazonienne, le 7 août 2020 près de Sinop, dans l'Etat du Mato Grosso, au Brésil © Florian PLAUCHEUR © 2019 AFP

Après avoir participé à plusieurs marches pour le climat, elle se convertit au zéro déchet, lutte contre les bouteilles en plastique dans sa faculté, devient végétarienne et décide de se lancer dans la recherche pour étudier les liens entre les émotions face au changement climatique et les comportements qui en découlent. "M'engager m'a énormément aidée", poursuit la jeune femme. "Je me sens en phase avec mes valeurs."

Pour la médecin Alice Desbiolles, l'éco-anxiété ne condamne pas au malheur. "Si elle n'est pas pathologique, ce qui est une minorité des cas, elle permet souvent, de se reconnecter à soi avec de nouvelles valeurs, de déclencher une mise en mouvement, de nouveaux choix de vie." Elle voit même dans l'éco-anxiété une réaction salutaire.

"L'éco-anxiété est en réalité un nouveau rapport à soi, aux autres et au monde. C'est une transition intérieure qui donne de nouvelles orientations à ses aspirations. Ce n'est pas quelque chose de sclérosant, c'est au contraire une pulsion de vie."

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https://twitter.com/chussonnois Céline Hussonnois-Alaya Journaliste BFMTV