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Le recours à l'orthophoniste est-il trop fréquent pour les élèves de primaire?

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Pour Jean-Michel Blanquer, "il y a des vraies et des fausses dyslexies". Le ministre de l'Éducation nationale dénonce également un abus du recours aux orthophonistes pour les enfants à l'école primaire. Ce n'est pas le point de vue de ces professionnels.

Les enfants à l'école primaire sont-ils surmédicalisés? Le ministre de l'Éducation nationale a regretté dans une interview au Parisien "une telle inflation du besoin en orthophonistes". Selon Jean-Michel Blanquer, "il y a des vraies et des fausses dyslexies". Le locataire de la Rue de Grenelle estime également que l'on "surmédicalise des sujets qui ne sont pas médicaux".

Six catégories de troubles

L'orthophonie est apparue en France en 1828, comme le rappelle le site de la Fédération nationale des orthophonistes (FNO), et la profession a été légalisée en 1964. Il s'agit de traiter les "troubles de la communication, du langage dans toutes ses dimensions, de la cognition mathématique, de la parole, de la voix et des fonctions oro-myo-faciales", indique le code de santé publique.

De quoi parle Jean-Michel Blanquer? Des enfants diagnostiqués dyslexiques, dysorthographiques ou encore dyscalculiques. Comme l'explique la Fédération française des dys (FFDys), sont ainsi désignés "les troubles cognitifs spécifiques et les troubles des apprentissages qu'ils induisent".

Il en existe six catégories: les troubles de l'acquisition du langage écrit, appelés dyslexie pour la lecture et dysorthographie pour l'écriture; ceux du langage oral, c'est-à-dire la dysphasie; les troubles du développement moteur, appelés dyspraxie; ceux de l'attention, comme l'hyperactivité; les troubles de la mémoire et enfin ceux liés aux activités numériques, appelés dyscalculie. Selon l'Inserm, "dans près de 40% des cas, un enfant concerné par les troubles 'dys' présente plusieurs types de troubles des apprentissages".

3 à 5% des enfants scolarisés seraient concernés

Difficile d'estimer précisément le nombre d'enfants scolarisés souffrant de ces troubles des apprentissages, mais selon le ministère de la Santé, il serait de l'ordre de 3 à 5%. Plus inquiétant: la moitié d'entre eux serait en situation de "grave échec scolaire".

Une étude datant de 2004 évoquait 7,5% des élèves de CE1 dyslexiques, rapporte un document de la commission nationale de la naissance et de la santé de l'enfant, l'Inserm évoque quant à lui jusqu'à 12% de la population générale. Et selon la Haute Autorité de santé, 3,5 à 5,6% des enfants scolarisés souffriraient de troubles de l'attention.

L'abus d'emploi de la "dyslexie"

Pour Marie-Edith Fleutot, secrétaire fédérale de la Fédération des orthophonistes de France, il y a bien une hausse des consultations, mais pour de mauvaises raisons.

"Si un enfant ne s'en sort pas dans l'apprentissage de l'écrit, on l'envoie chez l'orthophoniste en présupposant que c'est pathologique, indique-t-elle à BFMTV.com. Mais il y a des enfants qui n'ont rien à faire dans nos cabinets. Tous ceux qui ont des troubles d'apprentissage n'ont pas forcément de troubles neurologiques."

Elle regrette que le terme "dyslexie" ait été galvaudé par l'abus de son emploi. "Cela évacue toute dimension psycho-affective qui peut aussi être la cause de ces difficultés d'apprentissage, pointe Marie-Edith Fleutot. De plus en plus d'enfants sont fâchés avec le langage écrit, mais pour d'autres raisons. Leur cerveau est tout à fait d'aplomb."

"Il n'y a pas de vraie ou de fausse dyslexie"

Cécile Corallini, secrétaire générale de la FNO, assure quant à elle à BFMTV.com que la prévalence est la même d'année en année. "Pour nous, il n'y a pas plus ou moins d'enfants souffrant de 'dys'." Et corrige les propos de Jean-Michel Blanquer.

"Il n'y a pas de vraie ou de fausse dyslexie. On est dyslexique ou on ne l'est pas. Peut-être que les parents peuvent se poser des questions sur leurs enfants qui pourraient rencontrer des difficultés d'apprentissage, mais seul un orthophoniste peut poser un diagnostic de dyslexie."

Les propos du ministre ont également choqué Christine Auché-Le Magny, coordinatrice du comité scientifique de la FFDys. "De vraie et de fausse dyslexies? C'est comme si on disait qu'il y a de vraies ou de fausses lombalgies, de vraies ou de fausses douleurs. On ne peut pas rentrer dans ces débats", s'indigne-t-elle pour BFMTV.com.

Cécile Corallini tient également à rappeler que les orthophonistes sont avant tout des professionnels de santé et que chaque consultation ne débouche pas systématiquement sur un suivi.

"Les orthophonistes agissent sur prescription médicale, les enfants leurs sont adressés par un médecin, explique la secrétaire générale de la FNO. Il y a deux étapes dans le suivi. La première est d'effectuer un bilan pour poser un diagnostic. À l'issue de ce diagnostic, un suivi peut être entamé et un plan de soins est établi. Mais un grand nombre de bilans n'aboutissent pas sur une prise en charge. Car les enfants qui n'ont pas de troubles 'dys' n'ont évidemment pas besoin de suivi. Un enfant en échec scolaire ne souffre pas forcément de ces troubles."

"Je n'appelle pas ça de la surmédicalisation"

Contrairement aux propos du ministre de l'Éducation nationale, certains dénoncent au contraire un manque voire une absence de soins. "Nous estimons que 10% d'une tranche d'âge sont touchés par des troubles de l'apprentissage, dont 6 à 8% par des troubles spécifiques, les 'dys'", relève pour sa part Jocelyne Grousset, secrétaire générale adjointe du SNMSU-UNSA éducation, le Syndicat national des médecins scolaires et universitaires.

"Or, nous sommes très loin des 10% diagnostiqués et pris en charge, regrette-t-elle pour BFMTV.com. Le problème, c'est que ce sont surtout les enfants issus de catégories socio-professionnelles favorisées qui sont pris en charge. Les enfants de milieux défavorisés ne sont ni diagnostiqués, ni soignés."

Et selon cette médecin scolaire, parler de surmédicalisation est impropre. "Il y a des dyslexies plus ou moins graves, comme toutes les maladies, ajoute-t-elle. Il y a des enfants qui peuvent paraître dans la normalité mais qui ont pourtant besoin de consulter un orthophoniste." Certains peuvent avoir besoin de quelques séances au primaire, puis de nouveau à certains moments clés de leur scolarité. "Je n'appelle pas ça de la surmédicalisation."

Éviter des années d'échec scolaire

Également orthophoniste, Cécile Corallini prône au contraire une grande campagne de détection dès l'âge de 3 ans pour permettre "une meilleure prise en charge de ces enfants". C'est également ce que prône la FFDys, qui appelle à un dialogue entre l'Éducation nationale et la Santé.

"Il y a des enfants qui ont des troubles de l'apprentissage et qui ne sont ni détectés ni diagnostiqués, regrette Christine Auché-Le Magny. Cela entraîne une grande souffrance à l'école, une perte de l'estime de soi et créé des enfants handicapés qui refusent les apprentissages. Et cela n'a rien à voir avec la méthode d'apprentissage de la lecture et de l'écriture. La dyslexie est un trouble neuro-développemental."

Et selon la Fédération nationale des orthophonistes, un dépistage précoce ne signifiera pas pour autant davantage d'enfants "dys" mais la possibilité pour ces derniers d'être orientés plus tôt et d'éviter des années de difficultés et d'échec scolaires.

Céline Hussonnois-Alaya