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Cheveux courts, silhouette: le cyberharcèlement de Miss France, "c'est tout simplement du sexisme"

Miss France 2024, Miss Nord-Pas-de-Calais, Eve Gilles, sur scène après son élection à Dijon le 16 décembre 2023

Miss France 2024, Miss Nord-Pas-de-Calais, Eve Gilles, sur scène après son élection à Dijon le 16 décembre 2023 - ARNAUD FINISTRE © 2019 AFP

Eve Gilles, Miss France 2024 depuis samedi soir, est la cible de commentaires virulents sur son physique. En cause: ses cheveux courts et sa silhouette longiligne.

Sa silhouette n'incarnerait pas suffisamment la féminité, elle aurait les cheveux trop courts, sa poitrine ne serait pas suffisamment généreuse... C'est en substance les reproches qui sont adressés à Eve Gilles, Miss Nord-Pas-de-Calais et Miss France 2024 depuis son élection samedi soir à Dijon.

Si la jeune femme de 20 ans est louée par certains internautes pour sa ressemblance avec l'actrice américaine Halle Berry, la mannequin Linda Evangelista ou même la chanteuse Rihanna, elle est également la cible sur les réseaux sociaux d'un torrent de commentaires acerbes, voire haineux sur son physique.

"La longueur des cheveux, la taille de la poitrine, c'est extrêmement évocateur des critères de beauté dits féminins attendus et de la représentation qu'on en a", dénonce pour BFMTV.com Elsa Labouret, l'une des porte-parole de l'association Osez le féminisme. Des critères "extrêmement formatés" et des canons qui illustrent "ce qu'on attend d'une femme sur sa performance ou sa non performance de féminité".

"Commenter l'apparence d'une femme, la dévaloriser, c'est tout simplement du sexisme."

"Si elle avait été plus ronde et jugée comme ayant trop de formes, on aurait eu des critiques de la même violence", analyse pour BFMTV.com l'ethnologue Federica Tamarozzi, chargée de cours à l'Université de Genève.

Le symbole de la "diversité" féminine

Originaire de Dunkerque, Eve Gilles, étudiante en deuxième année de licence mathématiques et informatique, a justement fait de sa candidature le symbole de la "diversité" féminine.

Avant même son élection, la jeune femme confiait que sa coiffure était "l'une de (s)es particularités". Cette coupe pixie courte est peu habituelle dans les concours de beauté, concours dont elle disait vouloir "casser les codes". "Nous avons l'habitude de voir des belles Miss aux cheveux longs, moi, j'ai choisi un look androgyne aux cheveux courts", s'est-elle justifié.

Prise de parole dans la même tonalité lors de son discours de présentation. "La beauté ne se résume pas à une coupe de cheveux, ou a des formes qu'on a ou pas", a-t-elle déclaré sur scène. "Personne ne doit vous dicter qui vous êtes (...). La diversité, le changement peut parfois faire peur mais il fédère aussi. Et au cas où vous auriez un petite doute, la couronne tiendrait très bien, même sur mes cheveux courts."

Ce n'est pas la première fois qu'une Miss France est l'objet de critiques virulentes sur son physique. Vaimalama Chaves, sacrée en 2018, avait quant à elle été vilipendée pour son poids.

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Le sujet a fait réagir des responsables politiques, comme Sandrine Rousseau, qui a déclaré sur X (anciennement Twitter) être "effarée" par les commentaires sur Miss France 2024. "Nos cheveux, et ce que nous en faisons, la manière dont nous les coiffons, ne regardent pas les hommes. Point."

Même indignation pour Marine Tondelier, secrétaire nationale d'EELV. "On peut avoir chacun un avis sur le concours Miss France. Mais qu'on lâche la grappe aux femmes!" a-t-elle tempêté sur X (anciennement Twitter).

Le député du Nord et secrétaire national du Parti communiste, Fabien Roussel, a également dénoncé "la violence d'une société qui n'accepte pas que les femmes se définissent par elles-mêmes dans toute leur diversité".

Un concours "woke"?

La controverse a été relayée jusqu'à l'international. Le quotidien britannique The Telegraph évoque le concours de beauté "accusé de devenir 'woke' après avoir désigné une gagnante 'androgyne' avec une coupe de cheveux à la garçonne".

Car pour certains, le sacre d'Eve Gilles serait en effet le signe de l'immixtion de supposées valeurs "wokistes" au sein du concours Miss France. Absurde, juge Elsa Labouret, d'Osez le féminisme. Car si elle salue les récentes évolutions du règlement, elle estime que le concours reste très éloigné d'un événement militant.

"Il est vrai que Miss France a pris une direction plus inclusive et s'est ouvert à des représentations plus diverses des femmes." Depuis l'année dernière, les critères ont en effet été assouplis: la limite d'âge a été supprimée et les candidates peuvent désormais être transgenres, mariées, divorcées, mères ou tatouées.

"Mais on ne peut pas considérer que l'événement Miss France est féministe, on reste sur un concours de beauté qui met les femmes en compétition. C'est même plus du 'féminisme washing'."

Une rupture avec "les clichés de la féminité triomphante"

Au-delà du "body-shaming" qui transparaît dans la violence des commentaires, il y aurait autre chose en jeu, croit deviner Federica Tamarozzi qui a mené des recherches sur les normes de beauté des élections de Miss et co-autrice de l'article "Pas de demi-mesure pour les Miss: la beauté en ses critères". Elle rappelle que cette année, le jury était 100% féminin. Une humoriste, une actrice, une chanteuse, une sportive de haut niveau ou encore une grande cheffe patissière...

"Des femmes puissantes", pointe l'universitaire, qui ont peut-être voulu, consciemment ou non, proposer "un autre regard", notamment porté par le débat autour du 'male gaze'. "Avec les concours nationaux, on est habituellement plus proche d'un idéal de la belle voisine d'à côté."

"D'une certaine manière, Eve Gilles rompt avec les codes classiques, comme la cascades de cheveux et les clichés de la féminité triomphante. Et ce sont justement ses particularités qui lui ont permis de se différencier des autres concurrentes."

Une rupture de style qui a encore du mal à passer. Car pour cette ethnologue, également conservatrice responsable du département Europe au Musée d'ethnographie de Genève, ce qui se joue dans les concours de Miss catalyse souvent des questionnements de société plus amples. "C'est tout à fait dans l'air du temps. Une femme se résume-t-elle à ses attributs dits féminins?" Une analyse que partage Elsa Labouret, la porte-parole de l'association Osez le féminisme.

"Certaines personnes ont peur qu'en remettant en cause les stéréotypes de genre, les fondements de la société s'effondrent. Pour elles, Miss France reste un des derniers bastions de la féminité. Pourtant, ce concours et ses participantes évoluent, tout comme la société."

https://twitter.com/chussonnois Céline Hussonnois-Alaya Journaliste BFMTV