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"Ça reste un gamin": ces parents racontent pourquoi ils fouillent (ou pas) le téléphone de leur enfant

Une adolescente assise sur un pas de porte, en train d'écrire sur son smartphone (Photo d'illustration).

Une adolescente assise sur un pas de porte, en train d'écrire sur son smartphone (Photo d'illustration). - Pixabay

Face à une progéniture hyper connectée, de nombreux parents se sentent désemparés. Faut-il, ou non, fouiller le téléphone de ses enfants, comme l'a laissé entendre la secrétaire d'État Sabrina Agresti-Roubache? Si certains "surveillent" par précaution, d'autres se l'interdisent formellement "par respect". Des parents racontent ce dilemme à BFMTV.com.

Angélique ne s'en cache pas: elle surveille en permanence le téléphone portable et les réseaux sociaux de sa fille Ambre, âgée de 16 ans. Pourtant il y a deux ans lorsque la collégienne a eu son premier téléphone, mère et fille étaient tombées d'accord pour établir une relation basée sur la confiance mutuelle. Mais le jour où la quadragénaire a mis son nez dans les messages de sa fille par mégarde, elle est tombée de haut.

"Au début je ne checkais pas particulièrement, jusqu'au jour où je suis tombée sur des conversations et des photos inappropriées qu'elle avait sur Snapchat avec des inconnus" qui se sont révélés être des hommes majeurs, raconte cette mère de famille de cinq enfants, qui vit à Saint-Gobain (Aisne).

"Mon devoir de le surveiller"

Depuis, cette mère de 40 ans ne sait plus trop sur quel pied danser. Elle qui n'aimait pas bafouer l'intimité de sa fille a tout de même l'impression d'avoir un peu "perdu le contrôle" sur les activités en ligne de sa fille adolescente, qui a réussi à déjouer les contrôles parentaux. Snapchat, Whatsapp ou encore Instagram... Angélique a désormais pris l'habitude de fouiller les conversations de sa fille, sachant que celle-ci est capable de se mettre en danger, malgré les nombreuses tentatives de mise en garde de ses parents.

Peut-on fouiller dans le smartphone de son enfant?
Peut-on fouiller dans le smartphone de son enfant?
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Mais un parent a-t-il légitimement le droit de fouiller dans le smartphone de son enfant mineur? La secrétaire d'État Sabrina Agresti-Roubache affirmait ce mercredi 24 avril que les parents étaient dans leur droit le plus strict. "Parents, l'autorité c'est vous! Quelque chose qui me frappe ces dernières années, c'est de penser qu'un adolescent a une vie privée. Un adolescent est un mineur", a-t-elle déclaré sur France 2.

Un avis partagé par bon nombre de parents d'enfants et d'adolescents. Chez Anne-Sophie, cette condition était non-négociable pour que son fils de bientôt 12 ans détienne son propre smartphone. "C'était ça ou rien", explique la trentenaire. Si elle refuse de fliquer le jeune Noah, elle jette un coup d'œil de temps en temps, "de façon aléatoire" au téléphone de son fils.

"Je fais exprès de lui demander son téléphone quand il ne s'y attend pas, pour lui rappeler que je l'ai à l'œil", raconte encore cette assistante maternelle originaire de Pérone (Somme). "On a beau faire confiance, ça reste un gamin, c'est mon devoir de le surveiller".

"C'est mon intimité!"

Plusieurs fois par semaine, Anne-Sophie passe au crible ses photos, les SMS qu'il échange ou encore l'historique de son moteur de recherche. Elle fait aussi défiler son fil Tiktok -"pour toi"- afin de voir quels contenus lui sont proposés par la plateforme, l'algorithme étant basé sur nos préférences.

Comme elle, Florence se sent "quelque part obligée" de surveiller ce que fait en ligne sa fille de bientôt 13 ans. L'année dernière, elle et son ex-conjoint ont également été surpris de tomber sur des conversations et captures d'écran évoquant la sexualité de sa fille Nessa.

Lorsqu'elle a appris que ses parents -notamment son père- avaient jeté un œil à son portable un jour où il traînait dans sa chambre, Florence raconte que la jeune fille est entrée dans une colère noire. "Tu n'as pas le droit de fouiller mon portable!", "C'est mon intimité!", a-t-elle défendu.

Pourtant ce qui intéresse Anne-Sophie ou Florence, ce n'est pas de "fliquer" leurs adolescents mais plutôt de les protéger des menaces extérieures: cyberharcèlement, contenus violents, risque d'embrigadement, mauvaises rencontres, sites pornographiques. Alors en complément, les deux mamans s'efforcent à faire de la prévention sur les dangers d'internet: "À la maison on essaie de lui faire comprendre qu'on ne sait jamais vraiment à qui on parle sur internet", explique Anne-Sophie.

"C'est de l'inquiétude, c'est tout. Avec tout ce qu'on voit aujourd'hui... Je ne veux pas la couper du monde mais je sais qu'elle ne se méfie pas assez. À cet âge-là je trouve qu'ils font confiance beaucoup trop facilement".

"Un mauvais signal pour la confiance"

La loi française ne tranche pas de manière définitive la question de l'accès des parents au téléphone de son enfant. Si l'article 9 du Code civil appelle au "respect de la vie privée" de l'enfant, l'article 371-1 du Code civil vient rappeler que l'autorité parentale "est un ensemble de droits et de devoirs ayant pour finalité l'intérêt de l'enfant." Le même article souligne néanmoins que "les parents associent l'enfant aux décisions qui le concernent, selon son âge et son degré de maturité."

De leur côté, psychologues et pédiatres plaident aussi plutôt pour le dialogue et l'accompagnement. Marie Danet, psychologue et maîtresse de conférences en psychologie du développement à l'Université de Lille, explique à BFMTV.com que fouiller en cachette représente "un mauvais signal pour la confiance et la relation parent-enfant", "du même ordre que fouiller dans la chambre de son enfant ou lire son journal intime".

"Si on ne respecte pas les limites de son enfant, comment peut-on espérer qu'il nous fasse confiance?", s'interroge Mélanie, la mère de Nathan, 15 ans, qui n'a jamais fouiné dans le smartphone de son fils et espère n'avoir jamais à le faire.

"C'est son intimité, son jardin secret et je le respecte", affirme Mélanie. "Les enfants et les adolescents sont des personnes à part entière", défend-t-elle. "Ça me fait halluciner que certains parents ne voient pas de problème d'outrepasser leur consentement".

"Le risque zéro n'existe pas"

Eden, 12 ans, se dit reconnaissant vis-à-vis de ses parents, car il sait pertinemment qu'eux non plus n'enfreindraient pas son espace numérique sans lui demander l'autorisation. "C'est la base, en fait. Je n'ai rien à cacher mais en vrai c'est important qu'ils respectent ça", expose l'adolescent, qui assure ne pas avoir de mal à livrer le code de son smartphone à sa mère.

Cela ne signifie pas, toutefois, que Mélanie et son époux n'ont jamais de craintes vis-à-vis de leur fils collégien. "Bien sûr qu'on ne maîtrise pas tout, que le risque zéro n'existe pas... mais dans la 'vie réelle' non plus", poursuit cette mère de famille, enseignante de profession. Elle préfère toutefois privilégier le dialogue et la pédagogie sur ces sujets-là, afin que l'adolescent apprenne à "prendre du recul face aux situations" et à "juger par lui-même".

"Si on estime qu'ils ne sont pas capables de s'autogérer sur internet, alors mieux vaut ne pas leur donner de portable", décrète la quadragénaire.
Jeanne Bulant Journaliste BFMTV