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"C'est un crève-cœur": comment le guide Michelin décide-t-il de retirer une étoile à des restaurants?

Le guide Michelin a annoncé lundi le retrait d'une étoile aux tables de Guy Savoy et Christopher Coutanceau notamment. Une telle décision est longuement pesée, assure Michelin à BFMTV.com. Elle peut avoir des conséquences psychologiques et financières importantes.

Ces derniers jours, Guy Savoy a retiré un astérisque de sa biographie Instagram. Ce geste, en apparence anodin, est lourd de conséquences après une annonce en a choqué plus d'un dans le milieu de la gastronomie. Le guide Michelin a fait savoir ce lundi qu'il retirait une étoile à plusieurs restaurants pour son édition 2023, dont des établissements de chefs très connus comme Guy Savoy et Christopher Coutanceau (de trois à deux étoiles) ou Michel Sarran (de deux à une étoile).

De telles décisions sont mûrement réfléchies pour un guide qui se targue d'être "un ouvrage essentiel et incontournable pour les voyageurs et les gastronomes du monde entier".

Pour les prendre, les inspecteurs se basent sur cinq critères, explique à BFMTV.com une experte du guide qui s'exprime sous couvert de l'anonymat: "sont évaluées la qualité des produits, l'harmonie des saveurs, les techniques de cuisine, la régularité (dans le menu et au long de l'année) et la personnalité du chef telle qu'elle s'exprime dans son assiette". Le service ou la décoration ne sont pas pris en compte, selon le guide.

Michelin, qui cultive le secret autour de son guide, envoie des inspecteurs anonymes issus du monde de la restauration et de l’hôtellerie goûter les plats des restaurants évalués. Une fois la première étoile obtenue, elle est reconsidérée par le guide tous les ans et il en va de même pour des deux ou trois étoiles.

Lorsque la note est dégradée, "cela veut dire qu'on a constaté une baisse de la qualité", explique l'experte de Michelin.

Plusieurs essais et plusieurs inspecteurs

Mais cette décision n'est pas prise à la légère, insiste-t-elle: "on ne lésine pas sur le nombre d'essais de tables quand on a un doute". Les inspecteurs se rendent plusieurs fois et à plusieurs personnes dans les restaurants évalués et il est déjà arrivé qu'ils s'y rendent une dizaine de fois.

La décision finale est toujours collégiale et prise selon les cinq critères mentionnés: "le guide Michelin n'est pas fait pour les chefs, mais pour les clients".

Cette inspectrice l'assure: "retirer une étoile, c'est un crève-cœur. On mesure pleinement les conséquences que cela peut avoir. Mais notre recommandation doit être fiable: c'est une question de responsabilité vis-à-vis des clients".

Des "larmes" et un "coup" à l'ego

En effet, les conséquences sont nombreuses pour les chefs dévalués. "Jusqu'à présent, je n'avais connu que de meilleurs moments dans ma carrière. Ce soir, je pense aux équipes et je vais leur parler dès demain. On a perdu le match cette année mais on va le regagner l'année prochaine", a déclaré Guy Savoy à l'AFP dans la foulée de l'annonce de sa rétrogradation.

Sur BFMTV ce mardi, Michel Sarran a affirmé que son ego en avait "pris un coup": "on vous explique que cette année, vous ne méritez pas la note qu'on vous a attribuée, on ne sait pas trop pourquoi", a-t-il déploré.

"Psychologiquement, c'est très dur, j'avoue qu'hier, j'ai quand même eu quelques larmes", a-t-il ajouté.

Un impact psychologique important

Pour Olivier Gergaud, professeur d'économie à l'école de commerce Kedge, l'impact psychologique de la perte d'une étoile est "énorme". "C'est une institution, les chefs y sont très sensibles, c'est une vraie reconnaissance pour la cuisine et la brigade et les chefs cherchent les étoiles", développe auprès de BFMTV.com le chercheur, qui étudie le guide Michelin depuis vingt ans.

Après la perte de deux étoiles par un de ses restaurants, le chef britannique Gordon Ramsay avait, par exemple, estimé en 2014, lors d'une interview à la télévision norvégienne, que "c'était comme perdre une petite amie, on veut qu'elle revienne".

Marc Veyrat, dont le restaurant a été rétrogradé en 2019, a raconté lundi à BFMTV avoir "fait une dépression pendant un an et demi" et jugé que sa dévaluation avait "mis en péril" son entreprise.

Des conséquences financières pour certains

Pour certains restaurants, une diminution de la note peut en effet se répercuter sur les finances. Cet impact dépend de plusieurs variables, selon Olivier Gergaud, qui y a consacré une étude publiée dans la Harvard Business Review en 2017. Il observe que certains enregistrent des pertes financières en raison d'une baisse du nombre de clients, voire mettent la clé sous la porte, tandis que d'autres restaurants parviennent à se maintenir grâce à la solide réputation de leur chef.

Pour ne plus subir cette pression, quelques chefs ont pris une décision radicale, à l'instar de Sébastien Bras. Ce chef ex-triple étoilé avait demandé en 2017 à ne plus paraître avec son restaurant dans le guide pour avoir "l'esprit libre". Il a été réintégré - avec deux étoiles - en 2019, à son propre étonnement.

D'autres essaient de faire contre mauvaise fortune bon cœur, comme Michel Sarran, qui a déclaré ce mardi: "je sais qu'il y a des gens qui me soutiennent, des gens qui m'aiment, et ce n'est pas Michelin qui va changer ça".

"Je travaille pour les clients qui viennent tous les jours parce que ce sont eux qui me font vivre, ce n'est pas le guide Michelin", a-t-il aussi affirmé.

Sophie Cazaux