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"Taxe lapin": cette mesure portée par Gabriel Attal ne fait pas l'unanimité des professionnels de santé

Une médecin examine une enfant dans une maison de santé à Pontgibaud, dans le Puy-de-Dôme, le 24 novembre 2022.

Une médecin examine une enfant dans une maison de santé à Pontgibaud, dans le Puy-de-Dôme, le 24 novembre 2022. - Jeff PACHOUD / AFP

Pointant du doigt des millions de rendez-vous non honorés par an chez le médecin, Gabriel Attal a déclaré ce mardi 30 janvier vouloir "prendre des mesures claires", sans en préciser la teneur. Certains spécialistes de la santé saluent cette annonce quand d'autres la déplorent.

"Quand on a rendez-vous chez le médecin et qu'on ne vient pas sans prévenir, on paie". Le Premier ministre Gabriel Attal a été ferme ce mardi 30 janvier lors de son discours de politique générale, pointant du doigt les "trop nombreux rendez-vous médicaux qui ne sont pas honorés".

"Il est insupportable pour les médecins de savoir que des patients ont un rendez-vous et qu'ils ne se présentent pas. Pour les Français, il est insupportable de savoir que des millions d'heures sont perdues alors qu'ils attendent parfois des mois avant d'avoir un rendez-vous", a-t-il déclaré.

L'Académie nationale de médecine et le Conseil national de l'Ordre des médecins affirmaient dans un communiqué publié en janvier 2023 que "6 à 10% des patients ne se présentent pas à leur rendez-vous", soit "près de 27 millions de rendez-vous non honorés par an". L'Assurance maladie soulignait quant à elle en octobre 2023 que "5% des Français reconnaissent au moins un rendez-vous non honoré et non annulé au cours de l’année".

"Une certaine somme qui pourrait être de 10 euros"

Le locataire de Matignon a ainsi annoncé vouloir mettre en place "des mesures claires" sans toutefois en détailler les modalités d'application. En avril 2023 alors qu'il était ministre de l’Action et des Comptes publics, Gabriel Attal avait dessiné une ébauche auprès de Ouest-France.

"Si vous ne vous présentez pas, le remboursement du rendez-vous suivant serait minoré d’une certaine somme qui pourrait être de 10 euros. 5 euros iront au professionnel de santé et 5 euros à l’Assurance maladie", avait-il proposé.

"Une dérive consumériste du soin"

Dans le monde médical, cette mesure divise. Le syndicat Union française pour une médecine libre (UFML) a salué la "sanction financière" portée par Gabriel Attal lors de son discours.

En 2022, ce syndicat avait demandé dans une pétition la "modification de l’article R.4127-53 du Code de la santé publique qui dispose que les honoraires ne peuvent être réclamés qu’à l’occasion d’actes réellement effectués". Il dénonçait "une dérive consumériste du soin".

Si le président de la Confédération des syndicats médicaux français, Franck Devulder, se dit, auprès de BFMTV.com "soulagé qu'enfin le gouvernement par la voix de son Premier ministre s'intéresse à ce problème", il se demande quant à lui si la taxe est la bonne solution.

Ce gastro-entérologue, qui invite le Premier ministre dans un communiqué à "passer des paroles aux actes" estime qu'il faut passer par d'autres mesures non-financières. Comme l'interdiction sur les plateformes de prendre plusieurs rendez-vous avec des mêmes spécialistes sur une même période ou encore la mise en place d'une réponse à un SMS de rappel visant à confirmer sa présence à un rendez-vous.

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Concernant les retombées de cette taxe, la présidente du Syndicat des médecins libéraux (SML), Sophie Bauer contactée par BFMTV.com suggère que "les sommes prélevées à ces patients reviennent aux médecins qui ont perdu des consultations".

"27 millions de consultations sont perdues par an à cause de ces patients sans gêne. Cela correspond à l'activité de 4.500 médecins qui est ainsi totalement perdue", précise-t-elle en se disant "très favorable" à la mise en place d'une telle mesure.

Le président de la CSMF, Franck Devulder, n'est pas du même avis. Il ne souhaite pas que cette taxe retombe "dans la poche des médecins, du moins pas entièrement" mais qu'elle serve à "améliorer la qualité des soins" ou encore à "protéger les plus faibles".

Baisse des effectifs de médecins traitants

D'autres spécialistes dénoncent quant à eux cette "taxe lapin". "Les grandes oreilles des lapins cachent le vrai problème", juge Jean-Christophe Nogrette, président du syndicat MG France à BFMTV.com. Soit "une intense difficulté des Français à trouver un médecin traitant près de chez eux pour les suivre dans la durée".

Il pointe du doigt la baisse des effectifs des médecins généralistes traitants: "c’est au bas mot 50 millions de rendez-vous (une estimation qu'il souligne "donner à la louche", NDLR) de médecin généraliste dont nous avons besoin pour assurer la réponse aux besoins de la population".

Ce à quoi s'accorde Gérard Raymond, le président de France Assos Santé qui représente les usagers de la santé : "l'offre du territoire ne répond pas aux demandes et il faut parfois attendre des semaines avant de voir son médecin".

"Une mesure punitive n'est pas la solution et risque de peser sur les plus vulnérables", remarque quant à elle Marie-Pierre Gariel, administratrice de l'Union nationale des associations familiales (Unaf) qui déplore aussi un nom de taxe "infantilisant".

Ces spécialistes remettent également en doute l'ampleur du phénomène. Quand Gérard Raymond juge que les chiffres présentés sont "exagérés", Jean-Christophe Nogrette souligne que les "6,5 millions de 'lapins'" sont à mettre en perspective avec les "250 millions d’actes chaque année en médecine générale".

De là, se posent les questions sur les modalités. "Nous ne savons pas comment cela va marcher mais il n'est pas question que nous fassions de la délation de nos patients qui posent des lapins", affirme le président du syndicat MG France.

Le président de France Assos Santé se demande comment une telle taxe est applicable en vertu du Code de la santé publique qui stipule que seuls les "actes réalisés" peuvent être facturés ou encore à qui va bénéficier cette taxe, "aux plateformes?".

"C'est un effet d'annonce, ce n'est pas comme ça qu'on créé un lien de confiance entre les utilisateurs et le système de santé", conclut-il.

Juliette Brossault