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"On se sent impuissants": des parents d'enfants contaminés par la bactérie E.coli racontent leur calvaire

Giulia et sa mère (gauche), Brune et sa mère (centre) et le petit Nolan (droite): trois enfants contaminés par la bactérie E Coli.

Giulia et sa mère (gauche), Brune et sa mère (centre) et le petit Nolan (droite): trois enfants contaminés par la bactérie E Coli. - BFMTV

Reins endommagés, séquelles neurologiques ou décès... Ces dernières semaines, plusieurs dizaines d'enfants ont développé des syndromes hémolityques et urémiques (SHU) après avoir mangé des pizzas surgelées Buitoni. Mais avant cela, de précédents scandales alimentaires ont eu des conséquences graves sur des enfants contaminés par la bactérie E.coli. Leurs parents témoignent auprès de BFMTV.com.

"À l'hôpital, on nous disait que ce n'était qu'une gastro classique, mais je voyais bien qu'il y avait autre chose". Depuis le mois de février en France, deux enfants sont morts et plusieurs dizaines d'autres ont développé des cas graves de syndromes hémolytiques et urémiques (SHU) après avoir été contaminés par la bactérie E.coli en mangeant des pizzas surgelées de la marque Buitoni.

Si l'ampleur de cette épidémie est inédite en France, elle est loin d'être la première. Avant l'affaire des pizzas surgelées, d'autres enfants ont par le passé développé ce syndrome méconnu après avoir ingéré des aliments intoxiqués par Escherichia coli, que ce soit à cause de fromage à base de lait cru ou encore de steaks hâchés. Provoquant, dans certains cas, des séquelles graves et irréversibles.

Des premiers symptômes comparables à une gastro

La petite Brune n'a pas encore 15 mois lorsqu'en août 2019, elle est contaminée par la bactérie lors d'un repas de famille. Ce jour-là, un plateau de fromages circule autour de la table.

"Personne ne se souvient si elle a mangé un morceau de fromage d'elle-même ou si quelqu'un lui en a donné un bout", raconte à BFMTV.com sa mère, Dorothée Dutel, vice-présidente de l'association "SHU Sortons du silence".

Mais deux jours plus tard, la petite fille développe des premiers symptômes comparables à ceux d'une gastro-entérite: des diarrhées très fréquentes et des selles sanguinolentes.

Jusque là, les équipes médicales ne trouvent pas cela particulièrement alarmant: ni chez le médecin, ni à l'hôpital. À Lyon, les médecins vérifient qu'elle est bien hydratée puis la renvoient chez elle, mais la petite fille continue de vomir dans la voiture sur le chemin du retour et les symptômes gastriques se poursuivent le lendemain.

Dorothée Dutel et sa fille Brune, contaminée par la bactérie E Coli.
Dorothée Dutel et sa fille Brune, contaminée par la bactérie E Coli. © BFMTV

Dans les jours qui suivent, la fillette est de plus en plus dans un état léthargique. "Je me souviens qu'elle avait le teint très pâle, elle bougeait peu, ne parlait plus et râlait constamment", nous raconte sa mère. Ses parents remarquent que "des bleus apparaissent sur son corps et son visage se met à gonfler" car la fillette fait un oedème.

La fillette d'un an est en souffrance: les médecins expliqueront plus tard qu'à ce moment-là, ses reins avaient probablement déjà arrêté de fonctionner.

Ayant l'impression de ne pas être pris au sérieux malgré les symptômes inquiétants que présentent leur fille, les parents de Brune décident d'aller voir un autre médecin. Cette fois, celui-ci les envoie aux urgences d'un hôpital de Lyon avec un courrier signé de sa main: c'est là qu'un SHU est diagnostiqué à la petite-fille.

Un syndrome particulièrement méconnu

"On a complètement découvert ce terme. Là, on ne comprend rien, on nous dit maintenant qu'il va falloir que ça aille très vite. C'est extrêmement frustrant car on nous dit qu'il n'y a rien à faire si ce n'est attendre, et surtout qu'on ne peut traiter que les causes de la maladie. On se sent impuissant", se souvient Dorothée Dutel.

Deux traitements en cours d'essais cliniques sont alors testés sur la petite-fille pour essayer de ralentir la toxine.

"Les premiers symptômes du SHU sont systématiquement d'ordre digestifs car on contracte la bactérie via l'eau ou la nourriture", explique à BFMTV.com Anne-Laure Sellier-Leclerc, néphro-pédiatre aux Hospices civils de Lyon, spécialiste de la maladie.

"Une fois que la bactérie libère la toxine à l'intérieur du corps, celle-ci s'accroche au tube digestif. On parle ensuite de SHU lorsque celle-ci parvient à passer à travers sa paroi et qu'elle se retrouve dans le sang. Elle s'attaque d'abord aux globules rouges puis selon les susceptibilité individuelles, elle peut s'attaquer aux organes un à un: d'abord aux reins, parfois au foie ou au pancréas. Dans certains cas la toxine peut même toucher le système neurologique voire le coeur".

Le 14 mai prochain, Brune aura quatre ans. Elle avait pu finalement sortir de l'hôpital après trois semaines, mais avec un suivi régulier. Elle doit désormais prendre un traitement neuphroprotecteur car ses reins ne font plus leur rôle de filtrage normal.

Des atteintes neurologiques

Ces symptômes gastriques, la petite Giulia les a eu aussi début avril 2019, quelques jours après avoir mangé un morceau de fromage saint-marcellin.

"Les médecins nous ont dit que ça n'était sans doute que ça. Mais je voyais que son état se détériorait (...) Elle ne mangeait plus, ne buvait plus, elle ne faisait que vomir et était vraiment très molle", se souvient sa mère, Carla Luque.

Depuis, la jeune femme a dû arrêter de travailler pour pouvoir prendre soin de sa fille de 4 ans et demi, reconnue handicapée à 80%.

"Ce jour-là j'ai été alertée parce qu'elle était toute faible et très pâle, et dès qu'elle essayait de manger, elle vomissait automatiquement: elle ne gardait rien", poursuit Carla Luque. "Puis elle louchait beaucoup alors qu'elle n'avait normalement pas de problèmes de vue. J'ai appris plus tard que c'était des convulsions internes".

À la différence de Brune, "la bactérie est montée en très peu de temps" au cerveau de la petite Giulia, qui en garde aujourd'hui de très lourdes séquelles. Lorsqu'elle arrive en réanimation à Lyon, on lui diagnostique le fameux SHU lié à la bactérie E.coli et on la plonge dans le coma quelques jours pour éviter qu'elle ne souffre.

"A part attendre, on ne pouvait rien faire"

"Ensuite tout s'est dégradé", raconte la mère de la petite fille. "Elle ne s'est pas réveillée tout de suite avec les séquelles neurologiques mais plus le temps passait, plus elle perdait. L'hôpital ne savait pas trop nous dire ce qui allait arriver parce qu'on ne sait pas ce que la bactérie peut faire exactement. Donc à part attendre, on en pouvait rien faire".

"Quand ils ont vu qu'elle avait les noyaux (du cerveau) touchés, ils nous ont dit 'on ne sait pas comment elle sera' à son réveil", nous raconte Carla Luque. "On nous a dit tout et son contraire: au début on nous a dit qu'elle serait dans un état végétatif toute sa vie, après on nous a dit que ça irait mais qu'elle serait aveugle alors qu'elle a maintenant retrouvé la vue à 100%. Elle a des lunettes mais elle voit. On nous a aussi qu'au bout d'un an elle marcherait, parlerait. Mais en fait, personne ne sait exactement comment elle va évoluer".

"Maintenant, Giulia va mieux", selon sa mère. "Elle comprend les choses mais elle ne marche pas, elle ne parle pas et n'utilise toujours pas ses bras. Pour tout ce qui est motricité, c'est encore compliqué".

La petite Giulia, contaminée par la bactérie E Coli, et sa mère Carla Luque.
La petite Giulia, contaminée par la bactérie E Coli, et sa mère Carla Luque. © BFMTV

Pour les deux fillettes, les agences régionales de santé incriminent la bactérie 0.26, "celle qui se trouve dans le lait de la vache". En effet en 2019, une quinzaine d'enfants sont contaminés par E.coli par le biais de fromages au lait cru.

"C'est infernal de voir son fils souffrir toute la journée"

Le petit Nolan, lui, n'a pas survécu aux très lourdes séquelles que lui a laissé le syndrome hémolytique et urémique (SHU), contracté en 2011 après avoir mangé un steak hâché de chez Lidl avec de la purée, alors qu'il n'avait pas encore deux ans.

En septembre 2019, le petit garçon meurt, à l'âge de 10 ans, huit ans après avoir été contaminé par E.coli et après sept ans de lourds traitements et d'hospitalisation.

"Ça a été très vite", se souvient sa mère Priscilla Moittié, bientôt 36 ans, dont le livre "Nolan se repose enfin" sort ce mercredi aux éditions Flammarion. "La bactérie s'en est pris à ses reins d'abord. (...) Il souffrait énormément. Puis on nous a annoncé qu'il aurait de très lourdes séquelles neurologiques".

Comme pour la petite Giulia, les médecins annoncent aux parents que Nolan risque de devenir aveugle. Ce qui ne sera finalement pas le cas. Toutefois, ses membres se raidissent, et on lui annonce qu'il ne pourra plus jamais parler, s'alimenter tout seul ni même bouger les jambes ni les bras.

"J'étais en pleurs", raconte la mère de famille, qui vit à Breteuil (Oise) et a deux autres enfants. "J'ai dit à mon mari 'c'est fini, la vie de Nolan est foutue'. Tout ça pour avoir mangé un simple steak hâché".
Le petit Nolan le jour de ses 10 ans, entouré de ses parents et de son frère.
Le petit Nolan le jour de ses 10 ans, entouré de ses parents et de son frère. © BFMTV

Ensuite, le petit garçon est hospitalisé pendant sept ans. "Il n'a été tranquille qu'un an", regrette sa mère. "C'était infernal de voir son fils souffrir toute la journée comme ça".

"Ça a été un long supplice car il n'a pas arrêté de souffrir un seul instant", avait également déclaré Florence Rault, l'avocate de la famille à l'époque. "Les membres qui se déforment, les os qui se cassent, il a dû subir différentes interventions chirurgicales, il ne pouvait plus manger, déglutir, parler, se mouvoir car il n'avait plus de coordination".

Atteint de diabète, Nolan "était alimenté par sonde" avec "des prises de médicaments plusieurs fois par jour, des séjours réguliers à l'hôpital. Son corps a fini par lâcher", "conséquence de toutes ces pathologies qui n'ont fait que s'aggraver et qui ont complètement détérioré" son état de santé.

Comme Nolan, quinze autres enfants avaient eux aussi été intoxiqués par ces steaks hachés dans les Hauts-de-France. En 2017, le fabriquant Guy Larmotte a été condamné par le tribunal correctionnel de Douai à trois ans de prison, dont deux ferme, et 50.000 euros d'amende pour avoir omis d'opérer des contrôles sur des steaks produits par son entreprise.

Jeanne Bulant Journaliste BFMTV