BFMTV
Santé

Choléra à Mayotte: l'épidémie peut-elle s'étendre sur l'île et en métropole?

Mayotte est confrontée à une épidémie de choléra depuis le mois de mars, avec 65 cas rapportés ce vendredi. Cette épidémie est-elle "contenue", comme l'affirme le ministre de la Santé Frédéric Valletoux? Existe-t-il un risque d'extension à la métropole?

Le gouvernement se veut rassurant. Alors que l'épidémie de choléra à Mayotte a fait un mort, le ministre chargé de la Santé, Frédéric Valletoux, a affirmé jeudi que cette "poussée" était "contenue". "Il n'y a pas d'explosion, mais ça ne veut pas dire que ça va s'arrêter du jour au lendemain", a dit le ministre à la presse, en marge d'une visite du CHU de l'île.

Cette toxi-infection digestive aiguë a touché pour le moment 65 personnes à Mayotte, selon des chiffres donnés par le ministre sur RTL ce vendredi. Elle a fait un premier mort sur l'île mercredi, une petite fille de trois ans, selon l'Autorité régionale de Santé. Elle a débuté en mars avec des cas importés, la plupart sur des personnes venant des Comores voisines où une épidémie sévit depuis le début de l'année et par où transitent vers Mayotte de nombreux migrants venant de la République démocratique du Congo. 

Un mort du choléra à Mayotte : l’épidémie peut-elle s’étendre?
Un mort du choléra à Mayotte : l’épidémie peut-elle s’étendre?
4:03

Un risque d'explosion à Mayotte?

Il n'y a "pour l'instant qu'un seul foyer", le quartier Kirson à Koungou, a-t-il déclaré Frédéric Valletoux sur RTL, tout en relevant une "lente élévation du niveau de personnes touchées". L'épidémie "est sous contrôle" et "circonscrite", grâce à "une intervention des services de santé sur la vaccination, la prise en charge, l'accompagnement des personnes touchées", a précisé le ministre délégué.

Les données de la veille sanitaire sur le choléra "sont malheureusement publiées selon un rythme irrégulier par l’ARS de Mayotte, ce qui nous empêche de vérifier le bien-fondé des propos du ministre", relève auprès de BFMTV.com l'épidémiologiste Antoine Flahault. "Il est clair cependant que le choléra est une maladie infectieuse que l’on sait contrôler. Mais cela demande des moyens et une volonté politique forte, tant en termes de vaccination que d’assainissement de l’eau sur l’île et alentour", ajoute l'auteur de Prévenez-moi! Une meilleure santé à tout âge (Robert Laffont).

Vaccins, distributions d'eau...

À Mayotte, plus de 3.700 personnes ont été vaccinées pour le moment dans le seul quartier de Kirson, a indiqué Fédéric Valletoux vendredi. "Des stocks, on en a. Il y a aujourd'hui à peu près 7.000 vaccins sur l'île. 6.000 vaccins arrivent la semaine prochaine. On a encore des doses possibles et dans des volumes plus importants pour le début de l'été".

Par ailleurs, alors que le choléra se transmet notamment via des eaux contaminées par la bactérie, "l'Etat va continuer des distributions d'eau autant que nécessaire" et "des rampes d'eau ont été installées dans certains quartiers", a assuré le ministre délégué.

Une épidémie qui va être "difficile" à "juguler"

Mais l'île est confrontée à de nombreuses difficultés, au niveau du système de santé par exemple. Mayotte ne compte qu'un hôpital et les équipes "souffrent parce qu'elles sont soumises en permanence et depuis longtemps à des rythmes extrêmement tendus", a reconnu le ministre Frédéric Valletoux.

Par ailleurs, la plupart des cas rapportés à Mayotte sont importés des Comores, "avec lesquelles Mayotte a des échanges pluriquotidiens légaux ou illégaux", souligne Antoine Flahault. "Ce pays très pauvre et limitrophe du département français de Mayotte n’a pas les moyens, seul, de vacciner toute sa population ni surtout de conduire les travaux d’assainissement de l’eau qui permettrait de régler durablement cette crise sanitaire lancinante", poursuit le professeur de santé publique à l'Université de Genève.

Interrogé jeudi sur RTL, Benjamin Davido, infectiologue à l'hôpital de Garches (Hauts-de-Seine), a souligné que "pour fermer la vanne du robinet, il faudrait, entre guillemets, s'attaquer également à ce qui se passe aux Comores". L'épidémie actuelle va être "très difficile" à "juguler, et on risque de se retrouver avec une augmentation très rapide des cas, peut-être même plusieurs autres décès qui vont arriver", a-t-il prévenu.

Quel risque pour la métropole?

L'épidémie pourrait-elle arriver en métropole? En France métropolitaine, cette maladie est devenue très rare et essentiellement rapportée par des voyageurs de retour de pays ou de zones infectés: on compte en moyenne zéro à deux cas par an depuis le début des années 2000, selon Santé publique France.

Il faut remonter à 1986 pour trouver trace d'une flambée en France métropolitaine, essentiellement à partir de cas importés d'Afrique du Nord, avec plus d'une trentaine de cas et un enfant de 10 ans mort après un séjour en Algérie. Le Groupe spécial mondial de lutte contre le choléra, qui regroupe des ONG, des instituts universitaires et des agences de l'ONU, souligne que si "le choléra a été éradiqué dans les pays développés il y a des décennies, il continue de toucher de manière disproportionnée les communautés les plus pauvres et les plus vulnérables".

Aussi, l'épidémiologiste Antoine Flahault est catégorique: malgré l'épisode actuel à Mayotte, "il n’existe aucun risque que le choléra se répande de manière épidémique en métropole ni même à La Réunion". En métropole, "tout le contrôle sanitaire qui tourne autour (du choléra, NDLR), que ce soit les PCR, les méthodes de diagnostic et d'isolement, fait que ces cas sont rapidement identifiés, isolés, contrôlés, traités", a également déclaré à RTL l'infectiologue Benjamin Davido.

Ce risque minime a également à voir avec le mode de transmission du choléra, principalement liée à l'absorption d'eau ou d'aliments contaminés. "Le bacille du choléra n’a pas de réservoir animal, il survit dans l’environnement (un peu comme le virus de la poliomyélite), on dispose d’un vaccin efficace et on a su éliminer le risque d’épidémie de choléra de tous les pays riches par l’assainissement de l’eau", explique Antoine Flahault.

Et de plaider: "n’est-il pas temps de se débarrasser définitivement du choléra, alors que cette maladie cause encore plusieurs millions de cas par an et plusieurs dizaines de milliers de décès totalement évitables à travers le monde?"

Sophie Cazaux