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Après la mort "inattendue" de trois patients en quelques mois, les urgences de Grenoble sous haute tension

Le manque de personnel, conjugué à une fermeture de lits et des urgences de nuit d'autres établissements de la zone, provoque un engorgement du service qui touche particulièrement la psychiatrie.

La situation est intenable au CHU Grenoble Alpes. Le 12 avril, un homme de 91 ans est mort dans les couloirs du service d'urgences du centre hospitalier isérois après avoir attendu trois jours une place en gériatrie. Lors de son arrivée dans l'établissement, son pronostic vital n'était pas engagé, les médecins évoquant seulement un état de confusion lié à son âge.

Cette disparition tragique est la troisième depuis décembre 2022 dans le CHU. Une femme de 47 ans était morte à la fin de l'année dernière dans les toilettes des urgences. Peu après, un deuxième patient avait perdu la vie dans les murs de l'établissement. Tous ces patients sont morts de manière "inattendue", c'est-à-dire sans présenter d'urgence vitale à l'entrée.

"Pour cette personne (le nonagénaire, ndlr), lors de sa venue aux urgences, il n’y avait pas de risque vital engagé sur sa santé. Dans tous les cas, une stagnation aux urgences pour une personne qui n’a pas de problème de santé peut largement en créer", explique Sarah, une infirmière du CHU, à BFMTV.

Manque de personnel

Selon les syndicats, cette situation est due à un manque de personnel criant dans l'établissement, qui a provoqué la fermeture progressive de 200 lits. "On aurait au moins besoin de 120 infirmières et d'une quarantaine d’aides-soignantes pour rouvrir des lits", détaille à BFMTV Sara Fernandez, infirmière en traumatologie et secrétaire générale CGT du CHU Grenoble Alpes.

"Si la situation est compliquée dans tous les services", elle l'est particulièrement aux urgences: le service, plutôt calibré pour "55 personnes en même temps", accuse des moyennes à "80 patients, avec parfois des pics à 100 ou 110 personnes", ajoute-t-elle.

Sur les quatre services d'urgences du territoire, deux sont fermés la nuit depuis un an et demi, après être passés par un fonctionnement "dégradé", ce qui a concentré les prises en charge à Grenoble.

Le service compte "en moyenne 142 passages par 24 heures" et "70 à 90 patients sont présents en même temps au sein du service dont environ 30 patients en attente d'une hospitalisation", avec 50% des postes d'urgentistes "vacants depuis plus d'un an et demi", selon la direction de l'hôpital.

Les services psychiatriques particulièrement touchés

Conséquence de l'engorgement des urgences du CHU, la situation est en grande tension du côté des urgences psychiatriques. "Le nombre de lits fermés en psychiatrie sur le reste du territoire est particulièrement important" et parmi les patients en attente d'une hospitalisation d'urgence actuellement, "40 à 50% concernent la filière psychiatrique", pointe encore la direction du CHU.

Selon le Dr Marc Blancher, chef de service des urgences du CHU, les trois patients disparus avaient justement pour point commun de souffrir de troubles psychiatriques et géronto-psychiques.

"Ce qui dysfonctionne, c’est l’organisation de l’aval des urgences. Les patients psychiatriques et les patients âgés avec des problèmes sociaux, personne ne veut s’en occuper, personne ne sait s’en occuper. Ils restent aux urgences, et parfois meurent aux urgences", avance-t-il encore, à notre antenne.

"Si les problèmes ne sont pas réglés d'ici à la fin du mois, le service va tomber", assure -t-il encore, lui qui craint "une désertion" des médecins, "extrêmement fatigués".

D'autant que l'entrée en vigueur, début avril, de la loi Rist, qui plafonne les rémunérations des médecins intérimaires à l'hôpital, a compliqué les choses: avec le désistement des intérimaires, "nous n'arrivons même pas à atteindre le service public minimum", dit-il.

"Ce ne sera pas le dernier"

Le 10 avril dernier, pour protester contre leurs conditions de travail, les médecins urgentistes ont acheminé dans le hall d'entrée de l'hôpital, avec leur accord, neuf patients en attente d'hospitalisation au service des urgences. La direction de l'hôpital a condamné "fermement" cette action tout en reconnaissant les "fortes difficultés de la filière urgence", dans un courriel interne que l'AFP a pu consulter.

Avant la mort de l'homme de 91 ans, les syndicats avaient fait début avril un signalement pour "mise en danger de la vie d'autrui", classé sans suite par le parquet de Grenoble.

"Le signalement dénonce une inaction des pouvoirs publics qui ne justifie pas l'ouverture d'une enquête pénale et me conduit à le classer sans suite à ce jour pour absence d'infraction pénale", avait justifié le procureur Éric Vaillant.

Lors de son allocution lundi passé, Emmanuel Macron a évoqué la crise des hôpitaux, assurant vouloir "désengorger tous nos services d'urgences" d'ici fin 2024. Une promesse jugée "impossible" par le corps médical.

A Grenoble, on ne se fait guère d'illusions sur la suite des événements. "Ce n'est malheureusement pas le premier et vu la situation, ce ne sera pas le dernier", conclut un médecin urgentiste.

https://twitter.com/Hugo_Septier Hugo Septier Journaliste BFMTV