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Alimentation

Le roquefort et le camembert menacés par la standardisation de l'industrie agroalimentaire

Des camemberts dans une coopérative d'Isigny-sur-Mer, dans le nord-ouest de la France, le 4 avril 2014. (Photo d'illustration)

Des camemberts dans une coopérative d'Isigny-sur-Mer, dans le nord-ouest de la France, le 4 avril 2014. (Photo d'illustration) - Charly Triballeau - AFP

Pour produire des fromages attrayants aux yeux des consommateurs, l'industrie agroalimentaire a procédé à une sélection des souches de champignons, appauvrissant leur diversité génétique. Aujourd'hui, cela pèse sur leur production.

Deux piliers du patrimoine gastronomique français sur la sellette. Il y a en effet un risque que le roquefort et le camembert disparaissent un jour des étals, rapporte le Centre national de la recherche scientifique (CNRS). Au grand dam des Français, friands de fromage: ils en ont consommé 27,4 kilogrammes chacun en 2020 selon Statista.

En cause? Les modalités de production de l'industrie agroalimentaire.

"Pour produire des fromages en grande quantité, les industriels ont sélectionné des souches de champignons correspondant aux cahiers des charges qu’ils se sont imposés", détaille l'article scientifique. Les fromages doivent avoir bon goût, un bon aspect visuel et les champignons sélectionnés doivent "pousser rapidement sur le fromage qu’ils se doivent de coloniser".

Une diversité des micro-organismes appauvrie

Cette "pression de sélection" a appauvri la diversité des micro-organismes de ces fromages, notamment les non-fermiers et ceux qui ne sont pas protégés par une AOP. Et a réduit leur diversité génétique. Les champignons sont donc devenus "quasi infertiles", ce qui "pèse lourdement sur la production des fromages".

"Les producteurs n’ont pas réalisé qu’ils avaient sélectionné un seul individu et que ça n’était pas durable à long terme", commente la biologiste Tatiana Giraud auprès du CNRS.

Tous les bleus, dont le roquefort, sont ensemencés "avec une seule et même souche" du champignon Penicillium roqueforti. Hormis le roquefort AOP qui utilise plusieurs souches différentes.

"Même les plus petits producteurs sont touchés, constate Tatiana Giraud. Car s’ils ont longtemps fait 'pousser' eux-mêmes leur propre souche de P. roqueforti, ils ont désormais tendance à acquérir leurs ferments auprès des grands producteurs de spores qui fournissent toute l’industrie agro-alimentaire."

Un camembert "en voie d'extinction"

Pour le camembert, c'est encore pire. Le CNRS estime que ce fromage "est au bord de l'extinction" car il est "inoculé que par une seule et même souche de Penicillium camemberti et ce partout sur Terre".

Cette souche a été choisie dès 1950 pour donner au camembert sa croûte blanche et duveteuse et pour se débarrasser des moisissures grises, vertes, ou orangées qui pouvaient apparaître.

Or, aujourd'hui il est "très compliqué pour tous les industriels du secteur d’obtenir des spores de P. camemberti en quantité suffisante pour inoculer leur production du fromage normand" insiste le CNRS.

Des solutions sont toutefois présentées par le centre scientifique pour remédier à cette situation. Pour sauver le camembert, il propose d'utiliser une souche proche génétiquement de P. camemberti: la Penicillium biforme, naturellement présente dans le lait cru. Toutefois, cela nécessiterait d'accepter de voir ce fromage changer de couleur, de texture, voire de goût.

Découverte d'une nouvelle souche

Pour le roquefort, le CNRS met en lumière la découverte d'une nouvelle souche de Penicillium roqueforti dans le bleu de Termignon, un fromage confectionné par quelques petits producteurs dans les Alpes françaises seulement.

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"Celle-ci pourrait en effet apporter aux producteurs la diversité génétique qui manque cruellement à leurs ferments", est-il étayé.

Si modifier technologiquement un gène est une méthode régulièrement pensée, cela ne représente pas une solution pour Tatiana Giraud.

"L’édition génomique est une autre forme de sélection, or, c’est de la diversité apportée par la reproduction sexuée entre des individus aux génomes différents dont on a aujourd’hui besoin", explique-t-elle. Une reproduction sexuée jusqu'ici abandonnée par les industriels au profit de la lignée clonale, responsable également de l'appauvrissement des souches.

Juliette Brossault