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Retraites, méga-bassines: à quoi correspond "l'ultra-gauche" dont Darmanin dénonce "l'extrême violence"?

Des bus de gendarmerie brûlés à Saint-Soline

Des bus de gendarmerie brûlés à Saint-Soline - AFP

Le ministre de l'Intérieur a condamné à plusieurs reprises ces derniers jours les violences de groupes "d'ultra-gauche", que ce soit dans le cortège de la manifestation contre la réforme des retraites, ou dans le rassemblement s'opposant aux méga-bassines de Sainte-Soline.

"À Sainte-Soline, l’ultra-gauche et l’extrême gauche sont d’une extrême violence contre nos gendarmes", écrivait Gérald Darmanin sur Twitter samedi, après les manifestations contre les méga-bassines dans les Deux-Sèvres. Le ministre de l'Intérieur avait déjà condamné, quelques jours auparavant, "l'ultra-gauche" après les violences lors des manifestations contre la réforme des retraites jeudi.

Mais avec l'utilisation de ce terme, qui est concrètement visé par Gérald Darmanin? La qualification "d'ultra-gauche" a en effet été associée ces dernières années à des groupes hétérogènes: aussi bien aux zadistes de Notre-Dame-des-Landes qu'aux militants formant les black blocs ou encore à des manifestants écologistes.

Avec ce terme, il y a au départ l'idée d'un mouvement radical à gauche prônant une rupture avec le système actuel. Le Larousse donne ainsi une définition large de "l'ultra-gauche", parlant d'un "courant autonome qui se démarque de l’extrême gauche en refusant les règles institutionnelles et qui a parfois recours à des modes d’action violents."

Le terme, qui a émergé dans les années 1910/1920, désignait au départ les gauches marxistes antiléninistes, et a été repris ces dernières années avec une forte connotation négative pour désigner une myriade de groupes de la gauche radicale.

"Le groupe visé n'est pas clair"

Mais "l'ultra-gauche" n'est pas un parti politique ni une organisation définie, en ce sens avec l'emploi de ce terme, "le groupe visé n'est pas clair", explique à BFMTV.com le sociologue Michel Kokoreff.

L'auteur de Spectre de l'ultra-gauche, l'État, les révolutions et nous, souligne que les mouvements regroupés sous ce qualificatif sont multiples. Il parle d'une "constellation de groupes affinitaires en réseaux à l'esprit libertaire, anti-autoritaire, anti-partis et anti-syndicats, féministe et écologiste, prônant des pratiques radicales d'auto-organisation, l'autonomie et la démocratie directe".

"L'ultra-gauche" telle qu'elle est visée est une "constellation qui va des anarchistes aux autonomistes" en passant par les anti-capitalistes, les anti-étatistes ou encore les anti-fascistes, abonde Sylvaine Bulle, sociologue du conflit, auteure de Irréductibles. Enquête sur des milieux de vie de Bure à Notre-Dame-des-Landes.

Pour ces chercheurs, parler "d'ultra-gauche" a donc un sens limité, car cela regroupe des idéologies différentes qui sont alors visées toutes ensemble sur le même plan. Dans les faits ce terme "ne correspond à rien", déclare Sylvaine Bulle.

Association entre "ultra-gauche" et "violences"

Derrière cette expression le gouvernement semble en fait en particulier viser les manifestants auteurs de violences. Gérald Darmanin a ainsi systématiquement associé "ultra-gauche" et "violences" lors de ses récentes prises de paroles.

Pour un conseiller du gouvernement à BFMTV.com, cette association est claire, les groupes dits de "l'ultra-gauche" sont des groupes d'extrême gauche qui "visent à imposer leurs idées par la violence". Il parle de "mouvements et d'actions violentes" de "l'ultra-gauche".

Mais là encore, les chercheurs appellent à la nuance. "Si le spectre ou le fantôme de l'ultra-gauche est synonyme de 'violence' du point de vue de l'ordre social, ses militants ou activistes ne le sont pas par essence", explique ainsi Michel Kokoreff. Leur objectif premier est qu'ils "aspirent à un autre monde, à un bien vivre en commun."

Pour lui, "l'ultra-gauche" est "une construction destinée à alimenter les discours anxiogènes sur la violence de la rue et ses 'casseurs'".

Il faut aussi rappeler que cette expression a déjà été utilisée par des membres du gouvernement dans un tout autre contexte. En 2020, le ministère de l'Éducation avait ainsi été accusé par Médiapart et Libération de financer et de téléguider le syndicat 'Avenir Lycéen'. Le ministre Jean-Michel Blanquer avait alors reproché à "l'ultra-gauche" de "créer de la polémique pour rien". Le terme ne visait, à ce moment-là, pas des auteurs de violences.

Un risque de "biais sémantique"

Sylvaine Bulle souligne qu'avec ce flou dans la définition de ce groupe, il y a un risque de "biais sémantique et idéologique". Gérald Darmanin a par exemple, à plusieurs reprises, associé dans ses discours "ultra-gauche" et "extrême gauche" dans une même phrase, le tout en condamnant la violence de certains manifestants.

Avec cette association, "l'extrême gauche est elle-aussi renvoyée à la violence", déclare-t-elle.

Considérant le fait que la manifestation contre les bassines de Sainte-Soline défendait des buts écologiques, "cela peut infuser dans la tête du public que l'écologie est violente" et "décrédibiliser le combat écologique", ajoute la chercheuse.

Dans l'entourage de Gérald Darmanin, on assure tout de même qu'une différence est bien faite entre les partis politiques d'extrême gauche et les militants auteurs de violences, ceux qui restent donc appelés par le gouvernement "l'ultra-gauche".

Salomé Vincendon
Salomé Vincendon Journaliste BFMTV