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Parlement

Prorogation de l'état d'urgence: nuit de débats houleux à l'Assemblée

L'examen du projet de loi reconduisant pour six mois l'état d'urgence a été à la fois âpre et long. Les dissensions ont porté sur l'essentiel: la défense des valeurs républicaines contre le terrorisme.

Six jours après l'attentat de Nice, les procès d'intention, joutes verbales, chicaneries et outrances ont fusé à l'Assemblée nationale. La nuit de mardi à mercredi a été longue et les débats sur la prorogation de l'état d'urgence, houleux. Quelque sept heures et demie ont été nécessaires pour que le projet de loi prolongeant pour la quatrième fois le régime d'exception, cette fois pour six mois, soit voté au petit matin, à 4h53. A une écrasante majorité, puisque seuls 26 députés ont voté contre. Fait assez rare pour être souligné, l'hémicycle était plein en cette nuit de juillet.

Mais si le vote a donc été franc et massif, pourquoi tant d'altercations et d'atermoiements? C'est que le débat, au-delà du traditionnel clivage gauche-droite, a débordé dans les rangs mêmes des deux grands partis de gouvernement. Etat de droit contre enfermements préventifs, démocratie contre République et jusqu'à la durée de la prorogation, les élus se sont écharpés sur les valeurs.

Par rapport au texte initial, la droite voulait pousser le curseur un cran plus loin en matière sécuritaire, tandis qu'une partie de la gauche rétorquait l'avoir déjà fait avec le retour des perquisitions administratives (suspendues en mai) et une prorogation de six contre trois mois. De quoi transformer le palais Bourbon en bouillant chaudron.

> Une séance en commission des lois tourne court

Les passes d'armes ont débuté dès avant l'examen du projet de loi, mardi soir en commission des lois, quand les députés passaient en revue des amendements. La charge est notamment venue du député des Alpes-Maritimes Eric Ciotti. "Vous voulez favoriser les sorties de personnes radicalisées dans la société", a-t-il lancé. La phrase, "Vous êtes des 'Bisounours'", a même été entendue. Le député PS Dominique Raimbourg qui présidait les discussions a perdu son calme en s'écriant "c'est moi qui préside". La séance a été suspendue.

> Clash frontal entre Valls et Wauquiez

Le point d'orgue de la confrontation nocturne a été la joute verbale opposant Manuel Valls, Premier ministre, à Laurent Wauquiez, député Les Républicains de la Haute-Loire. La discorde portait sur l'instauration de centres de rétention pour les "supects" d'actes terroristes, autrement dit à titre préventif. Pour le député icaunais Guillaume Larrivé, le rejet du principe par la gauche est tout à la fois une "faute juridique, politique, pratique" de Manuel Valls. "L'Etat de droit ça n'est pas l'Etat de faiblesse", a-t-il assené.

Le numéro deux du parti Les Républicains a aussi défendu cette rétention administrative, provoquant l'ire du Premier ministre.

"Dans ceux à l'origine de très nombreux attentats terroristes au cours des derniers mois, il y avait très souvent des individus qui étaient surveillés par les réseaux de renseignement, classés dans les fichiers S, et qui, si vous aviez appliqué cette mesure, n'auraient pas pu passer à l'acte", a accusé Laurent Wauquiez, demandant de "changer le droit". 

Là où "vous invoquez les libertés personnelles des terroristes, nous disons: il n'y a pas de liberté pour les ennemis de la République", a-t-il ajouté, sous des huées à gauche. "Dehors, facho", a-t-on pu entendre sur certains bancs de gauche.

La réponse du Premier ministre a été cinglante, allant jusqu'à traiter le numéro deux de Les Républicains d'"opportuniste".

"La France dont je dirige le gouvernement ne sera pas celle où seront instaurés des centres où l'on enferme de manière indéterminée, pour un temps indéterminé, des individus que l'on suspecte. (...) La notion même de suspect a entraîné ce pays à des moments donnés, dans son histoire au cours des deux derniers siècles, dans le pire. Je ne me laisserai jamais entraîner par un opportuniste dans cette voie-là", a conclu Manuel Valls, sous les applaudissements de son camp.

> Quand la gauche vote des mesures "de droite"

Hors de l'habituel clash droite-gauche, les débats transcendent les formations politiques. "On ne va pas laisser à la droite le monopole de la fermeté et de la sécurité", s'est exclamé le député socialiste des Bouches-du-Rhône Patrick Mennucci, rapporte Apolline de Malherbe, éditorialiste politique à BFMTV. "Faut pas pousser mémé dans les orties", s'est également emporté Philippe Doucet, député PS d'Argenteuil-Bezons, devant ses collègues.

Certaines mesures proposées par la droite auront donc finalement été adoptées à une large majorité. On pense notamment à l'autorisation les fouilles des véhicules sans instruction du procureur et des contrôles d'identité, ou encore au durcissement de l'application des peines concernant les terroristes.

A droite, Guillaume Larrivé a donc été partiellement entendu. "Nous avons fait beaucoup de propositions concrètes, un certain nombre ont été retenues, je pense à la fouille des bagages et des véhicules qui sera désormais autorisée (...) sans accord explicite du procureur", s'est-il félicité.

> Collard pique une colère noire

L'extrême droite, en la personne du député Rassemblement bleu marine du Gard Gilbert Collard, a également donné de la voix. L'élu a traité les membres du gouvernement d'"incapables d'Etat". 

"Si l'état d'urgence avait été appliqué l'assassin de Nice n'aurait pas été là. Et je vous le dis, que ça vous plaise ou non, ces morts vous regardent et vous aurez des comptes à leur rendre bandes d'incapables", a-t-il vociféré.

David Namias